Par un arrêt en date du 11 janvier 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à préciser les conditions d’application d’un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux services de rénovation et de réparation. En l’espèce, une société de construction avait réalisé des travaux de réaménagement sur plusieurs immeubles appartenant à des sociétés commerciales. Estimant que ces travaux concernaient des biens à usage d’habitation, elle avait appliqué un taux réduit de TVA. L’administration fiscale nationale a par la suite remis en cause cette pratique, considérant que les immeubles n’étaient pas effectivement utilisés comme habitations au moment des prestations, et a procédé à une liquidation supplémentaire de la taxe. Saisie du litige, la juridiction administrative de première instance a annulé cette décision, mais l’administration fiscale a formé un recours devant la juridiction suprême. Cette dernière, confrontée à une divergence d’interprétation sur la notion de « logement privé » au sens du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.
Il était ainsi demandé si les dispositions pertinentes de la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée s’opposaient à une législation nationale qui conditionne le bénéfice du taux réduit de TVA, pour les services de réparation et de rénovation, au fait que les logements concernés soient effectivement utilisés en tant qu’habitation au moment où les opérations ont lieu. En d’autres termes, la simple destination d’un bien à l’habitation suffit-elle à le qualifier de « logement privé » pour l’application de ce régime fiscal favorable, ou une occupation effective est-elle requise ? La Cour de justice de l’Union européenne répond que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une telle exigence nationale, validant ainsi une approche stricte de la notion de logement privé.
La solution retenue par la Cour repose sur une définition précise du logement privé, fondée sur son usage effectif (I), laquelle est justifiée par une interprétation téléologique des objectifs poursuivis par la directive (II).
I. La consécration du critère de l’usage effectif du logement privé
La Cour de justice précise la notion de « logements privés » en s’attachant à une interprétation littérale des termes, qui met en évidence l’importance de l’utilisation concrète du bien (A), distinguant ainsi clairement les biens d’habitation des biens à finalité commerciale ou d’investissement (B).
A. Une définition littérale axée sur l’habitation réelle
La Cour procède à une analyse sémantique des termes « logement » et « privé » pour déterminer le champ d’application de la disposition. Elle rappelle que le terme « logement » désigne un bien destiné à l’habitation et servant de résidence, tandis que l’adjectif « privé » le distingue des logements de fonction ou des établissements commerciaux comme les hôtels. Il en découle, selon la Cour, que les services de rénovation et de réparation visés par le taux réduit doivent nécessairement porter sur des biens qui sont utilisés à des fins d’habitation privée.
L’argument central du raisonnement de la Cour réside dans l’idée que les notions de résidence et d’utilisation « renvoient à une exploitation concrète de celui-ci ». Par cette formule, la Cour écarte une interprétation qui se contenterait de la seule destination juridique ou administrative du bien. Un immeuble simplement agréé pour l’habitation mais vacant, ou en attente d’une première occupation, ne saurait donc être qualifié de « logement privé » au sens de cette disposition. L’effectivité de l’usage devient ainsi le critère déterminant pour l’application du taux réduit.
B. La nécessaire exclusion des biens à usage commercial ou d’investissement
Cette interprétation conduit logiquement à exclure du bénéfice du taux réduit les services qui, bien que portant sur des biens résidentiels, sont en réalité fournis dans un contexte commercial. La Cour précise que sont exclus « les services de rénovation ou de réparation qui concernent des biens qui, à la date d’exécution de ces services, sont utilisés par leur propriétaire pour des fins commerciales ou d’investissement ». Cette précision est essentielle car elle vise directement les situations où un bien immobilier, même de type résidentiel, est détenu non pas pour servir de résidence au propriétaire, mais comme un actif destiné à générer des revenus ou une plus-value.
Dans le cas d’espèce, les biens étaient détenus par des sociétés commerciales, ce qui pouvait laisser présumer une telle finalité d’investissement. En liant l’application du taux réduit à l’usage effectif en tant qu’habitation privée, la Cour s’assure que le dispositif ne bénéficie pas indûment à des opérateurs économiques qui agissent dans le cadre de leur activité professionnelle, mais se concentre bien sur le particulier occupant son propre logement.
Au-delà de cette analyse sémantique, la Cour justifie sa position par une lecture finaliste des dispositions en cause, rappelant que l’objectif du taux réduit de TVA est d’alléger la charge fiscale du seul consommateur final.
II. Une interprétation téléologique restrictive au service des objectifs de la directive
La Cour de justice renforce sa solution en s’appuyant sur les principes fondamentaux du droit de la TVA. Elle mobilise le principe d’interprétation stricte des régimes dérogatoires (A) pour justifier une lecture rigoureuse de la notion de logement privé, tout en soulignant que la finalité de la mesure est de favoriser exclusivement le consommateur final (B).
A. Le principe d’interprétation stricte des régimes dérogatoires
L’arrêt rappelle une règle cardinale en matière de TVA : l’application d’un taux réduit constitue une dérogation au principe du taux normal et doit, à ce titre, être interprétée strictement. Ce principe impose de ne pas étendre le bénéfice d’un régime fiscal favorable au-delà des situations clairement et expressément visées par le législateur de l’Union. Appliquer le taux réduit à des immeubles non encore habités reviendrait à adopter une interprétation extensive de la notion de « logements privés », ce qui serait contraire à cette jurisprudence constante.
En se fondant sur ce principe, la Cour légitime le choix d’une définition resserrée de la notion de logement, qui exige une occupation effective. Cette approche garantit la cohérence du système de la TVA en limitant les exceptions et en prévenant les risques d’optimisation fiscale. La condition d’une utilisation effective du logement apparaît ainsi comme une garantie contre un élargissement non maîtrisé du champ d’application du taux réduit.
B. La finalité de la mesure : l’allégement de la charge fiscale du consommateur final
L’argument décisif de la Cour repose sur l’objectif même de la disposition. Le taux réduit pour les services à forte intensité de main-d’œuvre vise à favoriser le consommateur final, c’est-à-dire celui qui supporte définitivement le poids de la TVA sans pouvoir la déduire. Or, un entrepreneur ou une société commerciale qui fait rénover un bien, même résidentiel, dans le cadre de son activité économique, a généralement le droit de déduire la TVA payée en amont. Pour cet opérateur, le taux de TVA est neutre. En revanche, « l’application d’un taux réduit à ces prestations favorise le consommateur final qui habite effectivement l’immeuble faisant l’objet des travaux ».
En conséquence, le bénéfice de la mesure ne se justifie que lorsque le coût des travaux de rénovation ou de réparation est supporté par un particulier pour le logement qu’il utilise personnellement. La condition d’usage effectif est donc le seul critère pertinent pour s’assurer que l’avantage fiscal atteint sa cible. La Cour prend soin de nuancer son propos en précisant que l’usage effectif ne requiert pas une occupation permanente durant les travaux, admettant ainsi le cas des résidences secondaires ou des inoccupations temporaires qui ne modifient pas le caractère privé et habité du logement.