Par un arrêt en date du 10 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause pénale stipulée dans un contrat de bail conclu entre un professionnel et un consommateur. Cette décision intervient dans le cadre d’un litige concernant un logement social. En l’espèce, une fondation proposant des logements sociaux avait conclu un contrat de bail avec un locataire. Ce contrat comportait une interdiction de sous-location et une obligation de résidence personnelle, assorties d’une clause pénale en cas de manquement.
Le locataire n’a pas respecté ses obligations, ayant lui-même sous-loué le bien à un tiers pour un loyer supérieur. Le bailleur a alors saisi le Rechtbank Amsterdam (tribunal de première instance d’Amsterdam) afin d’obtenir la résolution du bail, l’expulsion des occupants, ainsi que la condamnation du locataire au paiement d’une pénalité contractuelle de 5 000 euros. Il demandait également la restitution des profits tirés de la sous-location illicite, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile néerlandais.
La juridiction de renvoi, doutant de la conformité de la clause pénale avec la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives, a saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles. Elle cherchait à savoir comment apprécier le caractère potentiellement disproportionné d’une indemnité lorsque plusieurs clauses pénales existent pour des manquements de natures différentes. Elle s’interrogeait aussi sur l’incidence d’une demande distincte, fondée sur la loi nationale, visant à la restitution des profits illégitimes.
La Cour de justice a jugé que le juge national doit tenir compte de l’effet cumulatif des clauses du contrat, en accordant une importance particulière à celles qui sanctionnent un même manquement. Elle a par ailleurs estimé qu’une demande en réparation fondée sur une disposition légale nationale, et non sur le contrat, n’entre pas dans le champ d’application de la directive, bien qu’elle puisse faire partie du contexte général de l’appréciation.
La Cour clarifie ainsi la méthode d’analyse du caractère abusif des clauses pénales en présence de sanctions multiples (I), tout en définissant la portée de son contrôle par rapport aux remèdes prévus par le droit national (II).
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I. La méthode d’appréciation clarifiée du caractère abusif
Pour déterminer si une clause pénale est abusive, la Cour de justice impose au juge national de procéder à une analyse contextuelle du contrat. Cette analyse doit d’abord considérer l’interaction de l’ensemble des clauses (A) avant de se concentrer plus spécifiquement sur le cumul de sanctions visant un même manquement contractuel (B).
A. La prise en compte de l’effet cumulatif des clauses
La Cour rappelle une règle fondamentale issue de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13. Le caractère abusif d’une clause s’apprécie non pas de manière isolée, mais en tenant compte « de toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend ». L’arrêt réaffirme que cette approche globale est nécessaire pour évaluer si, en dépit de l’exigence de bonne foi, un déséquilibre significatif est créé au détriment du consommateur.
L’analyse de l’effet cumulatif potentiel de toutes les stipulations contractuelles constitue donc un prérequis. La Cour précise que « le juge national doit, afin de porter une appréciation sur le caractère éventuellement abusif de la clause contractuelle qui sert de base à la demande dont il est saisi, tenir compte de toutes les autres clauses dudit contrat ». Cette démarche permet d’évaluer si la sanction contestée, même raisonnable en apparence, ne devient pas excessive en s’ajoutant à d’autres obligations ou pénalités prévues par ailleurs dans le contrat. L’interaction entre les différentes clauses est donc déterminante pour juger de l’équilibre général de la convention.
B. La focalisation sur les clauses sanctionnant un même manquement
Si l’examen doit porter sur l’ensemble du contrat, la Cour apporte une précision méthodologique essentielle. Elle distingue la situation d’espèce de celle de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, où un seul manquement entraînait l’application simultanée de plusieurs sanctions. Dans la présente affaire, les différentes clauses pénales du contrat visent des manquements de nature distincte.
La Cour souligne que l’analyse du cumul prend toute son importance lorsque plusieurs sanctions peuvent être appliquées pour une seule et même défaillance. En conséquence, « une importance significative doit être attachée à celles de ces clauses ayant trait à un même manquement ». Il appartient donc à la juridiction nationale de vérifier si, pour le manquement constaté, à savoir la sous-location non autorisée, d’autres clauses pénales du contrat pourraient être invoquées par le professionnel, même si celui-ci n’en a réclamé l’application que d’une seule dans son action en justice. C’est l’effet cumulé de ces sanctions potentiellement applicables à une unique faute qui doit être évalué pour juger du caractère proportionné ou non de l’indemnité.
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II. La portée de la solution au regard du droit national et du rôle du juge
Au-delà de la méthode, l’arrêt délimite le périmètre du contrôle opéré au titre de la directive 93/13. Il établit une distinction claire entre les sanctions contractuelles et les remèdes issus de la loi (A), tout en confirmant le rôle central du juge national dans l’appréciation concrète des faits de l’espèce (B).
A. L’exclusion du champ de la directive des sanctions fondées sur la loi
La seconde question portait sur l’articulation entre la clause pénale contractuelle et la demande du bailleur en restitution des profits, fondée sur l’article 6:104 du Code civil néerlandais. La Cour adopte sur ce point une position stricte, rappelant que la directive ne s’applique qu’aux « clauses contractuelles qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle ».
Dès lors, un mécanisme de réparation qui trouve sa source non pas dans le contrat mais dans une disposition législative de droit commun échappe au contrôle du caractère abusif au sens de la directive. La Cour le formule sans ambiguïté : « la circonstance que le fondement de cette demande trouve sa source dans la réglementation nationale empêche qu’une disposition de droit national […] puisse relever du champ d’application de la directive 93/13 ». Cette exclusion est logique, la directive ayant pour objet de réguler l’équilibre des relations contractuelles et non de remettre en cause les choix du législateur national en matière de responsabilité civile. La demande en restitution des profits n’est donc pas une « sanction » à cumuler avec la clause pénale pour l’appréciation de son caractère abusif.
B. La confirmation du rôle essentiel du juge national dans l’appréciation *in concreto*
En définitive, la Cour de justice fournit les critères d’interprétation mais renvoie l’application au juge national. C’est à lui qu’il incombe de se prononcer sur la qualification de la clause « en fonction des circonstances propres au cas d’espèce ». Cette appréciation *in concreto* doit notamment prendre en compte la nature de l’obligation contractuelle violée.
La Cour souligne elle-même la particularité du manquement en l’espèce. Dans le cadre d’un bail portant sur un logement social, l’interdiction de sous-location et l’obligation de résidence personnelle « revêtent une nature particulière, qui participe de l’essence même du rapport contractuel ». Ce faisant, elle suggère que la finalité sociale du contrat peut justifier une sanction plus sévère pour en garantir l’objet. Il appartiendra donc au juge néerlandais de peser, d’une part, le montant de la pénalité et son cumul éventuel avec d’autres sanctions contractuelles pour le même fait, et, d’autre part, le caractère fondamental de l’obligation bafouée, afin de déterminer si le déséquilibre au détriment du consommateur est, en l’occurrence, significatif.