Cour de justice de l’Union européenne, le 10 septembre 2020, n°C-738/19

Par un arrêt du 10 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les modalités d’appréciation du caractère abusif d’une clause pénale dans un contrat de bail social. En l’espèce, une fondation proposant des logements sociaux avait consenti un bail à un locataire. Le contrat interdisait la sous-location du bien et imposait au locataire d’y établir sa résidence principale, sous peine d’une pénalité contractuelle d’un montant forfaitaire. Ayant constaté que le locataire avait enfreint ces obligations en sous-louant le logement, la fondation a saisi le Rechtbank Amsterdam (tribunal de première instance d’Amsterdam). Elle demandait la résolution du contrat, l’expulsion des occupants, ainsi que la condamnation du locataire au paiement de la pénalité prévue et à la restitution des profits tirés de la sous-location illicite. Saisie du litige, la juridiction néerlandaise a émis des doutes sur la conformité de la clause pénale avec la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives. Elle a donc posé à la Cour de justice une question préjudicielle visant à déterminer si, pour apprécier le caractère disproportionné d’une telle clause, il convenait de tenir compte de l’effet cumulatif de l’ensemble des clauses pénales du contrat, même si elles sanctionnent des manquements distincts. Elle s’interrogeait également sur l’incidence d’une demande de restitution des profits fondée non sur le contrat mais sur le droit national. La Cour a jugé que l’examen du caractère abusif d’une clause doit tenir compte de son interaction avec les autres clauses contractuelles, mais qu’une « importance significative doit être attachée à celles de ces clauses ayant trait à un même manquement ». Elle a par ailleurs estimé qu’une demande de réparation fondée sur une disposition légale nationale, et non sur le contrat, échappe au champ d’application de la directive. Cette décision clarifie ainsi la méthode d’évaluation de l’effet cumulatif des clauses pénales (I), tout en traçant une ligne de partage entre le contrôle contractuel et les recours issus du droit commun (II).

I. La méthode précisée de l’appréciation de l’effet cumulatif des clauses pénales

La Cour de justice affine l’analyse que le juge national doit mener pour évaluer une clause pénale. Si elle confirme la nécessité d’une appréciation globale des stipulations contractuelles (A), elle recentre l’examen de l’effet cumulatif sur les clauses sanctionnant un manquement identique (B).

A. La confirmation d’une approche d’ensemble

Conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en tenant compte de la nature des biens ou services et de toutes les circonstances entourant la conclusion du contrat. La Cour rappelle ainsi sa jurisprudence constante selon laquelle le juge national doit « tenir compte de toutes les autres clauses dudit contrat ». Cette approche globale est essentielle car une clause, isolément considérée, peut paraître équilibrée, mais révéler son caractère abusif par son articulation avec d’autres stipulations. L’analyse ne saurait donc être fragmentaire.

Toutefois, la Cour introduit une nuance importante en invitant le juge à évaluer le « degré d’interaction de la stipulation en cause avec d’autres clauses ». Toutes les clauses n’ont pas la même importance ni la même incidence sur l’équilibre contractuel. Cette précision invite à une analyse qualitative plutôt qu’à une simple addition quantitative des sanctions potentielles. Le juge doit ainsi identifier les liens fonctionnels entre les clauses pour déterminer si leur effet combiné crée un déséquilibre significatif au détriment du consommateur.

B. La focalisation sur le manquement unique comme critère d’analyse

Le principal apport de cet arrêt réside dans la distinction opérée par la Cour en fonction de l’objet de la sanction. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la pertinence de l’arrêt *Radlinger et Radlingerová* de 2016, qui avait imposé un examen de l’effet cumulé de plusieurs pénalités. La Cour distingue la présente espèce en relevant que dans l’affaire *Radlinger*, plusieurs clauses pénales s’appliquaient simultanément à un seul et même manquement. En l’occurrence, le contrat de bail social contenait différentes clauses pénales visant des manquements de nature distincte.

La solution est alors clairement énoncée : pour apprécier si une indemnité est d’un montant « disproportionnellement élevé », une « importance significative doit être attachée à celles de ces clauses ayant trait à un même manquement ». Le risque d’un cumul abusif est en effet maximal lorsque plusieurs sanctions peuvent être appliquées pour une unique défaillance du consommateur. En revanche, lorsque les clauses pénales visent des obligations différentes, telles que l’interdiction de sous-location et l’obligation d’entretien, leur effet cumulatif est moins direct. Le caractère potentiellement abusif de l’une ne s’apprécie donc pas nécessairement au regard de l’existence de l’autre.

II. La délimitation du contrôle des clauses face aux recours de droit commun

Au-delà de l’articulation des clauses entre elles, la Cour clarifie également la frontière entre le champ d’application de la directive et les sanctions prévues par le droit national. Elle exclut ainsi du contrôle les sanctions d’origine purement légale (A), tout en admettant une prise en compte du contexte normatif général (B).

A. L’exclusion du champ de la directive des sanctions d’origine légale

La seconde question de la juridiction de renvoi portait sur l’incidence de la demande de restitution des profits, fondée sur le Code civil néerlandais et non sur une clause du contrat. La réponse de la Cour est sans équivoque : un tel mécanisme de réparation échappe au contrôle de la directive 93/13. Le champ d’application de ce texte est en effet circonscrit aux « clauses figurant dans des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle ».

La Cour affirme ainsi que « la circonstance que le fondement de cette demande trouve sa source dans la réglementation nationale empêche qu’une disposition de droit national […] puisse relever du champ d’application de la directive 93/13 ». Cette distinction est fondamentale. Elle préserve l’objet de la directive, qui est de contrôler l’équilibre des stipulations contractuelles imposées par un professionnel, et non de juger de l’opportunité ou de la sévérité des dispositions législatives d’un État membre en matière de responsabilité civile.

B. Une prise en compte contextuelle néanmoins suggérée

Bien que la restitution des profits fondée sur la loi nationale ne soit pas une « clause » au sens de la directive, la Cour ne l’exclut pas totalement de la réflexion du juge. Elle rappelle en effet que « dans l’appréciation du caractère abusif de la clause contractuelle en cause, il convient de tenir compte du contexte normatif qui détermine, ensemble avec cette clause, les droits et obligations des parties ». Cette ouverture permet au juge national d’intégrer dans son analyse l’environnement juridique global dans lequel s’inscrit le contrat.

Ainsi, l’existence d’un recours légal permettant au bailleur de récupérer les profits de la sous-location peut constituer une circonstance pertinente pour évaluer si la clause pénale contractuelle, en sus de ce recours, crée un déséquilibre significatif. Il appartient toutefois à la juridiction nationale de déterminer si cette restitution légale s’apparente à une sanction et, le cas échéant, d’en tirer les conséquences dans son appréciation du caractère proportionné de la pénalité contractuelle. La Cour laisse donc au juge national une marge d’appréciation pour évaluer l’équilibre global des sanctions pesant sur le consommateur.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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