En l’espèce, une cour administrative d’appel était saisie d’un litige indemnitaire opposant une société de construction-vente à une commune. La société requérante avait obtenu un premier permis de construire pour un projet immobilier, permis qui fut par la suite annulé en raison de son illégalité, notamment parce que l’assiette du projet incluait une parcelle du domaine public communal non déclassée. Après avoir déposé une nouvelle demande pour un projet modifié, la société s’est vu opposer un refus, lui aussi jugé illégal par la juridiction administrative. Estimant avoir subi un préjudice du fait de ces deux illégalités fautives, la société a saisi la commune d’une demande indemnitaire, laquelle a été majoritairement rejetée. Le tribunal administratif, saisi à son tour, n’a accordé qu’une indemnisation très limitée. La société a donc interjeté appel de ce jugement, demandant la condamnation de la commune à réparer l’intégralité de ses préjudices, incluant les frais engagés et le manque à gagner. La question de droit qui se posait à la cour était de déterminer dans quelle mesure les illégalités commises par la commune dans la délivrance puis le refus d’autorisations d’urbanisme constituaient des fautes engageant sa responsabilité, et quelle était l’étendue du préjudice directement et certainement imputable à ces fautes, compte tenu notamment de la qualité de professionnel du pétitionnaire. Par sa décision du 8 avril 2025, la cour administrative d’appel reconnaît l’existence de deux fautes distinctes de la commune, mais procède à une appréciation différenciée de leurs conséquences. Elle retient une responsabilité de la commune pour la délivrance du permis illégal, mais la partage avec la société en raison de son imprudence. Elle engage également la responsabilité de la commune pour le refus illégal du second permis, avant de se livrer à un calcul strict des seuls préjudices présentant un lien de causalité direct avec ces fautes.
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I. La responsabilité partagée résultant de la délivrance du permis de construire initial
La cour administrative d’appel commence son analyse par la première faute alléguée, à savoir la délivrance du permis de construire illégal. Tout en reconnaissant la faute de l’administration qui ne pouvait ignorer l’irrégularité (A), elle tempère fortement ses conséquences en retenant l’imprudence commise par le professionnel de l’immobilier (B).
A. La caractérisation d’une faute de l’administration malgré l’attestation du pétitionnaire
En principe, l’administration qui instruit une demande de permis de construire n’est pas tenue de vérifier la validité de l’attestation par laquelle le pétitionnaire déclare avoir qualité pour déposer sa demande. Cependant, la jurisprudence a établi une exception de bon sens, reprise par la cour dans cet arrêt, lorsque l’administration dispose d’informations lui permettant de douter sérieusement de la véracité de cette attestation. La cour énonce ainsi qu’il appartient à l’autorité compétente de refuser le permis sollicité « lorsque l’autorité saisie de la demande vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une instruction lui permettant de les recueillir, d’informations de nature à établir le caractère frauduleux de cette attestation ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu’implique l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, d’aucun droit à la déposer ». En l’occurrence, l’illégalité du permis tenait à ce que l’une des parcelles d’assiette du projet appartenait au domaine public de la commune et n’avait fait l’objet d’aucune procédure de déclassement. La cour en déduit logiquement que la commune, propriétaire de la parcelle, ne pouvait ignorer que la société requérante n’avait pas qualité pour déposer une demande sur ce terrain. En délivrant malgré tout l’autorisation d’urbanisme, la commune a donc commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
B. La limitation de la responsabilité par l’imprudence du professionnel
Si la faute de la commune est établie, la cour procède immédiatement à un partage de responsabilité. Elle retient que la société requérante, en sa qualité de professionnel de la construction, a elle-même commis une imprudence exonérant partiellement la commune. La cour relève que la société était informée que la parcelle litigieuse appartenait au domaine public et qu’elle a néanmoins engagé des frais importants avant même qu’une délibération du conseil municipal ne vienne valider le déclassement et la cession du terrain. La cour qualifie ce comportement d’imprudence, estimant que la société « a ainsi commis une imprudence en déposant une demande de permis de construire pour un projet assis sur cette parcelle et en engageant des coûts importants d’études de faisabilité, de conception et de commercialisation du projet avant même qu’une délibération ne soit prise concernant le déclassement de cette parcelle ». Cette imprudence est jugée suffisamment caractérisée pour exonérer la commune de sa responsabilité à hauteur de 70 %, un taux particulièrement élevé qui souligne la vigilance attendue d’un opérateur professionnel dans le montage de ses opérations immobilières. La cour fait ici une application rigoureuse de la théorie de la faute de la victime, adaptant l’étendue de la réparation au comportement de celui qui la sollicite.
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II. La responsabilité entière mais aux conséquences limitées du refus de permis subséquent
Après avoir statué sur la première illégalité, la cour se penche sur la seconde faute constituée par le refus illégal de la nouvelle demande de permis de construire. Elle retient cette fois une responsabilité sans partage de la commune (A), mais en limite drastiquement la portée indemnitaire par une appréciation stricte du lien de causalité (B).
A. L’engagement de la responsabilité pour faute de l’administration
La société requérante, tirant les leçons de l’annulation du premier permis, a déposé une seconde demande de permis de construire portant sur un périmètre réduit, excluant la parcelle du domaine public. La commune a néanmoins opposé un refus, qui fut par la suite annulé par le tribunal administratif, cette annulation étant devenue définitive. La cour administrative d’appel en déduit sans difficulté que « l’arrêté du 2 août 2019, qui a été annulé par le jugement du 16 avril 2021 du tribunal administratif de Versailles, est entaché d’illégalité et constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ». Contrairement à la première faute, aucune imprudence n’est cette fois reprochée à la société, son nouveau projet étant purgé de l’illégalité initiale. La responsabilité de la commune est donc entière pour cette seconde faute. Cependant, les préjudices indemnisables à ce titre sont cantonnés aux seules dépenses exposées entre le moment où la société a eu la certitude que le premier projet ne serait pas régularisé et la date du refus illégal, ce qui représente une période et des montants très restreints.
B. Une appréciation stricte du lien de causalité excluant les préjudices éventuels
C’est dans l’évaluation du préjudice que la position de la cour est la plus notable, tant pour la première que pour la seconde faute. Elle écarte en effet les postes de préjudice les plus importants, notamment le manque à gagner et la plupart des frais liés à l’acquisition foncière, faute de lien de causalité direct et certain. Concernant le manque à gagner, la cour rappelle le principe selon lequel « la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l’impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d’un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation ». Si des exceptions existent, la société ne parvient pas ici à démontrer le caractère certain du préjudice, car les contrats de réservation qu’elle avait signés contenaient des conditions suspensives liées à l’acquisition de la parcelle du domaine public, renvoyant ainsi le préjudice à l’imprudence initiale de la société. De même, la perte de l’acompte versé pour une autre parcelle est jugée comme résultant des clauses du contrat de vente acceptées par la société et non de la faute de la commune. Par cette analyse rigoureuse, la cour circonscrit le préjudice réparable aux seules dépenses directement et exclusivement engendrées par les fautes de l’administration, laissant à la charge du promoteur les risques inhérents à son opération.