Par un arrêt en date du 27 décembre 2024, la cour administrative d’appel de Paris a eu à se prononcer sur la légalité d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable de travaux portant sur un lot de copropriété. En l’espèce, un copropriétaire s’était vu autoriser la modification de menuiseries, la création de vasistas et l’installation d’un garde-corps. D’autres copropriétaires ainsi qu’une société et le syndicat des copropriétaires d’un immeuble voisin ont contesté cette autorisation devant le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté leur requête par un jugement du 12 décembre 2022. Saisie en appel, la cour a d’abord annulé ce jugement pour un motif de régularité, les premiers juges ayant omis de statuer sur un des moyens soulevés. Statuant ensuite par la voie de l’évocation, la cour s’est penchée sur le fond du litige. Les requérants soutenaient principalement que l’autorisation était illégale, car le pétitionnaire n’avait pas obtenu l’accord de l’assemblée générale des copropriétaires, et que sa demande était entachée de fraude, visant à régulariser des travaux antérieurs non autorisés. La question de droit posée à la cour était double : d’une part, l’autorité administrative doit-elle contrôler le respect des règles de droit privé de la copropriété pour délivrer une autorisation d’urbanisme ? D’autre part, dans quelle mesure des allégations de travaux illicites antérieurs peuvent-elles vicier une nouvelle autorisation portant sur le même bien ? La cour administrative d’appel a répondu en confirmant la stricte séparation entre le contrôle de légalité urbanistique et le respect du droit des tiers. Elle a jugé que l’absence d’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires était sans incidence sur la qualité du pétitionnaire à déposer sa demande. De surcroît, elle a estimé que la preuve d’une fraude ou d’une illégalité antérieure n’était pas rapportée par les requérants, rejetant ainsi leurs prétentions au fond.
Cette décision réaffirme avec force la séparation entre le droit de l’urbanisme et le droit privé, en particulier le droit de la copropriété (I), tout en procédant à un contrôle rigoureux des conditions d’engagement de la jurisprudence relative aux constructions existantes irrégulières (II).
I. La réaffirmation de l’autonomie du droit de l’urbanisme face au droit de la copropriété
La cour administrative d’appel rappelle que la validité d’une autorisation d’urbanisme ne dépend pas du respect par le pétitionnaire de ses obligations de droit privé. Cette solution classique se manifeste tant à l’égard de l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires (A) que dans l’appréciation de la fraude alléguée (B).
A. L’indifférence du défaut d’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires
Les autorisations d’urbanisme sont délivrées sous réserve du droit des tiers, un principe que l’arrêt applique sans équivoque au contexte de la copropriété. Le code de l’urbanisme, en son article R. 423-1, exige que le pétitionnaire atteste avoir qualité pour déposer sa demande, sans imposer à l’administration de vérifier la réalité des droits qu’il invoque. La cour souligne ainsi qu’une « contestation sur ce point ne pouvant être portée, le cas échéant, que devant le juge judiciaire ». Le contrôle de l’administration se limite donc à la conformité du projet avec les règles d’urbanisme.
En conséquence, le fait que le copropriétaire n’ait pas obtenu l’autorisation de l’assemblée générale pour des travaux affectant potentiellement les parties communes est une question qui relève exclusivement des relations entre copropriétaires. La cour précise que cette circonstance est « dépourvue d’incidence sur la qualité du copropriétaire à déposer une demande d’autorisation d’urbanisme ». Cette solution assure la sécurité juridique et évite d’imposer à l’administration une charge de vérification qui excéderait sa compétence et ses moyens, en la contraignant à se faire l’arbitre de litiges privés complexes.
B. La caractérisation restrictive de la fraude en matière d’autorisation d’urbanisme
Les requérants tentaient de faire valoir que la demande de travaux dissimulait une volonté de régulariser des situations illicites, ce qui constituerait une fraude. La cour écarte cette argumentation en retenant une définition stricte de la fraude, laquelle suppose une intention délibérée de tromper l’administration sur des éléments essentiels à l’application des règles d’urbanisme. L’absence de cotation des plans en trois dimensions, par exemple, n’est pas jugée suffisante pour caractériser une telle manœuvre, dès lors que les autres pièces permettaient à l’administration d’apprécier le projet en toute connaissance de cause.
De même, la prétendue régularisation d’un changement de destination ou d’une création de surface de plancher est rejetée. La cour constate que les travaux déclarés n’impliquaient aucun changement de destination et que la surface de plancher créée était inférieure au seuil de vingt mètres carrés nécessitant un permis de construire. En liant l’appréciation de la fraude à des éléments objectifs et vérifiables du dossier, et non aux conflits de voisinage ou de copropriété, la juridiction administrative préserve la spécificité du contentieux de l’urbanisme et refuse de sanctionner ce qui relève d’un simple litige civil.
II. Le contrôle rigoureux des irrégularités affectant la construction existante
La cour administrative d’appel se montre également exigeante quant à la preuve des irrégularités antérieures qui seraient invoquées pour contester de nouveaux travaux. Elle impose une démonstration probante de l’illégalité initiale (A) et procède ensuite à une appréciation concrète de la conformité du projet aux règles d’urbanisme applicables (B).
A. L’exigence d’une preuve certaine de l’irrégularité alléguée
Les requérants invoquaient la jurisprudence relative à l’obligation de solliciter une autorisation portant sur l’ensemble d’un bâtiment irrégulièrement édifié. Ils soutenaient qu’un changement de destination non autorisé avait été réalisé par le passé, ce qui aurait dû conduire le pétitionnaire à déposer une demande de permis de construire pour l’ensemble du lot. La cour rejette le moyen en soulignant l’insuffisance des preuves apportées. Elle énonce en effet que « les requérants n’établissent pas la réalité du changement de destination allégué ».
En s’appuyant sur une expertise judiciaire qu’elle juge elle-même hypothétique, les requérants n’ont pas réussi à convaincre le juge du caractère certain de l’infraction passée. Cette approche place la charge de la preuve de l’irrégularité substantielle de l’existant sur les épaules du requérant. Une telle exigence probatoire vise à prévenir les recours dilatoires fondés sur de simples suppositions et à garantir une stabilité aux situations construites, en n’admettant la remise en cause d’une autorisation nouvelle que sur la base de faits avérés et incontestables.
B. L’appréciation concrète de la conformité des travaux aux règles locales
Ayant annulé le jugement de première instance pour omission de statuer, la cour examine elle-même, par évocation, la conformité du projet à l’article UG.8.1 du plan local d’urbanisme. Cet article régit les distances entre les façades en vis-à-vis. La cour se livre à une analyse factuelle détaillée, relevant d’une part que la baie litigieuse « ne constitue pas l’éclairement premier d’une pièce principale ». D’autre part, elle constate que « la distance entre la façade supportant la baie litigieuse et le mur en vis-à-vis est de 6,30 mètres », ce qui respecte les prescriptions réglementaires.
Ce faisant, le juge d’appel montre qu’au-delà des principes, le contentieux de l’urbanisme repose sur une application minutieuse des règles au cas d’espèce. Il confirme que des travaux sur un existant, même contesté, peuvent être autorisés s’ils respectent par eux-mêmes les dispositions en vigueur ou ne les aggravent pas. En validant un projet conforme aux règles de prospect, la cour démontre que son contrôle, bien que rigoureux sur la preuve des illégalités, demeure pragmatique dans son appréciation de la conformité urbanistique du projet lui-même.