Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 10 janvier 2025 illustre le contrôle exercé par le juge sur les décisions des commissions d’aménagement commercial. En l’espèce, une société exploitant un hypermarché a sollicité un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale pour créer un parc d’activités commerciales sur un site existant. La commission départementale d’aménagement commercial a émis un avis favorable, mais sur recours de sociétés concurrentes, la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) a rendu un avis défavorable. En conséquence, l’autorité administrative locale a refusé le permis de construire. La société pétitionnaire, rejointe par la communauté de communes, a alors saisi la juridiction administrative pour demander l’annulation de ce refus, contestant la légalité de l’avis de la CNAC. Le problème de droit soulevé concernait d’une part la légalité d’un avis fondé sur une incertitude quant à l’installation d’une enseigne non formellement identifiée et, d’autre part, l’appréciation portée par la commission sur la conformité du projet aux objectifs d’aménagement du territoire et de développement durable. La cour administrative d’appel annule la décision de refus, jugeant l’avis de la CNAC entaché d’une erreur de droit et de plusieurs erreurs d’appréciation, et enjoint à la commission de réexaminer le dossier.
La censure par le juge d’une exigence infondée de la commission nationale révèle une application rigoureuse du droit (I), laquelle se double d’un contrôle approfondi de l’appréciation des critères légaux d’autorisation qui consacre une approche pragmatique de l’aménagement du territoire (II).
I. La sanction d’une erreur de droit limitant le pouvoir d’appréciation de l’administration
La décision de la cour administrative d’appel met en lumière l’illégalité d’une condition ajoutée par la CNAC hors du cadre légal (A), ce qui conduit à une réaffirmation des obligations procédurales de l’autorité administrative (B).
A. L’exigence contestée d’une certitude sur l’identité des futures enseignes
La Commission nationale d’aménagement commercial avait fondé une partie de son avis défavorable sur l’incertitude pesant sur l’installation effective d’une des enseignes prévues dans le projet de parc commercial. Elle considérait que le dossier ne permettait pas de s’assurer des effets réels du projet sur le commerce local faute de confirmation de l’ensemble des marques. La cour relève que la commission s’est fondée sur le fait que l’une des enseignes « n’avait pas encore formalisé son intention de s’installer sur le site du projet pour considérer qu’ils subsistait en l’état du dossier de demande, une incertitude quant aux effets du projet sur les secteurs existants ». Ce faisant, la commission a transformé une simple information sur les partenaires commerciaux envisagés en une condition substantielle de la validité du dossier. Or, une telle démarche introduit une rigidité qui ne trouve pas de fondement dans les textes régissant l’autorisation d’exploitation commerciale.
B. La censure d’une condition non prévue par la loi
Le juge administratif rappelle que l’appréciation de la commission doit s’exercer dans les limites des dispositions applicables. La cour souligne qu’« aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait à la société pétitionnaire de mentionner les enseignes de ces magasins ». En conséquence, en retenant un motif lié à l’absence de formalisation d’un accord commercial, la CNAC a commis une erreur de droit. Le juge précise la conduite qu’elle aurait dû tenir : si elle estimait le dossier incomplet pour apprécier les effets du projet, il lui appartenait de solliciter des informations complémentaires sur les types d’activités prévues, ou, à défaut, d’évaluer le projet au regard des seules activités déclarées. Cette clarification renforce la sécurité juridique des porteurs de projet en les prémunissant contre des exigences administratives qui excéderaient le périmètre de la loi.
Au-delà de cette erreur de droit, le juge a également procédé à un examen complet de l’appréciation des faits et des critères légaux par la commission.
II. Le contrôle concret de l’appréciation des objectifs d’aménagement du territoire
Le juge administratif se livre à une analyse détaillée des différents critères de l’article L. 752-6 du code de commerce, rectifiant l’appréciation de la CNAC sur l’impact commercial du projet (A) ainsi que sur ses qualités environnementales et son usage de l’espace (B).
A. Une appréciation réévaluée de l’impact sur le tissu commercial local
La CNAC avait estimé que le projet nuirait à l’animation du centre-ville. La cour contredit cette analyse en s’appuyant sur des éléments factuels précis. Elle relève le dynamisme démographique de la zone de chalandise, la faible vacance commerciale du centre-ville et l’inadéquation des locaux vacants pour accueillir les surfaces de vente projetées. Surtout, elle juge que « les cellules commerciales envisagées sont plutôt complémentaires de celles du centre-ville qui sont ainsi peu menacées par cette concurrence ». La simple existence de dispositifs de revitalisation urbaine comme « Petites Villes de Demain » ou un FISAC ne saurait, selon la cour, suffire à justifier un refus lorsque le projet ne menace pas sérieusement les commerces existants. Cette approche pragmatique refuse de faire de la protection des centres-villes un principe absolu paralysant tout développement en périphérie.
B. La validation de la performance du projet en matière d’environnement et de consommation d’espace
La cour administrative d’appel censure également l’appréciation de la commission sur d’autres critères essentiels. Concernant l’utilisation du foncier, elle note que le projet s’implante sur un parking existant sans artificialisation supplémentaire et en réduisant même le nombre de places de stationnement. Face à ce constat, elle juge que « la CNAC a commis une erreur d’appréciation en considérant que le projet de la SAS Honfleur Distribution faisait une consommation non économe de l’espace ». De même, les critiques sur l’accessibilité par modes de transport doux et sur la qualité environnementale sont écartées, le juge soulignant la desserte par bus, la création de pistes cyclables et le respect des obligations légales en matière de performance énergétique ou d’installation de panneaux photovoltaïques. La décision témoigne ainsi d’une appréciation globale et équilibrée, où la conformité aux objectifs légaux est vérifiée concrètement, critère par critère, sans qu’un seul puisse à lui seul emporter la décision de manière disproportionnée.