Par un arrêt en date du 24 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Douai a statué sur la légalité d’un refus d’autorisation d’exploiter des terres agricoles. En l’espèce, une société civile agricole avait sollicité l’autorisation d’intégrer une parcelle d’un peu moins de douze hectares, dans le cadre d’une opération plus large de restructuration interne. Le préfet de la région Hauts-de-France a rejeté cette demande par un arrêté du 2 juin 2021, une décision confirmée sur recours gracieux le 12 août 2021. Saisi par la société, le tribunal administratif d’Amiens a, par un jugement du 30 novembre 2023, rejeté la requête en annulation de ce refus. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le préfet avait méconnu les dispositions du code rural et de la pêche maritime, au motif que l’exception prévue en l’absence de preneur en place aurait dû s’appliquer. Se posait donc à la cour la question de savoir si un exploitant, toujours en activité sur les parcelles convoitées à la date de la décision préfectorale mais ayant manifesté son intention de cesser son activité à une date ultérieure, pouvait être qualifié de « preneur en place » au sens de l’article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime. La cour administrative d’appel de Douai rejette la requête, considérant que la qualité de preneur en place doit s’apprécier à la date de la décision administrative, rendant inopérant tout accord postérieur ou départ à la retraite futur de l’exploitant.
La décision de la cour administrative d’appel s’articule autour d’une interprétation stricte du motif de refus tiré de l’agrandissement excessif (I), dont la portée est précisée par une définition rigoureuse de l’exception légale y afférente (II).
I. Une application rigoureuse du contrôle des structures agricoles
La cour confirme la validité du refus préfectoral en s’appuyant sur une application littérale des textes régissant le contrôle des structures. Elle valide d’abord le constat objectif de l’agrandissement excessif (A), avant de rejeter l’interprétation extensive de l’exception proposée par la requérante (B).
A. La caractérisation de l’agrandissement excessif
L’article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime permet à l’autorité administrative de refuser une autorisation d’exploiter si l’opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d’exploitations excessifs. Le juge administratif rappelle que cette notion est précisée par le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA). En l’occurrence, le préfet s’est fondé sur le fait que l’opération portait la surface de l’exploitation « à 596,3765 ha/Utans, excédant ainsi le seuil d’agrandissements et concentrations d’exploitation excessifs fixé à deux fois le seuil de contrôle par Utans après reprise, soit 180 ha/Utans ». La cour entérine ce calcul et ce motif, ne trouvant aucune erreur d’appréciation dans le constat matériel de l’excès. Le raisonnement administratif est ainsi validé dans sa première étape, celle qui consiste à objectiver la situation au regard des seuils fixés par la réglementation locale. L’analyse se déplace alors logiquement vers l’applicabilité de l’exception prévue par la loi.
B. L’appréciation restrictive de la notion de « preneur en place »
Le même article L. 331-3-1 prévoit une exception au refus pour agrandissement excessif « dans le cas où il n’y a pas d’autre candidat à la reprise de l’exploitation ou du bien considéré, ni de preneur en place ». La société requérante soutenait que l’exploitant des parcelles ne pouvait être considéré comme un preneur en place, arguant d’une part de son accord pour libérer les terres à une date future, et d’autre part d’une définition restrictive de ce terme dans le SDREA. La cour écarte ces deux arguments de manière successive et méthodique. Premièrement, elle réaffirme un principe fondamental du contentieux administratif selon lequel « l’autorité préfectorale, saisie d’une demande d’autorisation d’exploiter des terres, statue en considération des seuls éléments de droit et de fait qui prévalent à la date de sa décision ». L’intention future de l’exploitant de prendre sa retraite est donc jugée sans pertinence. Deuxièmement, le juge précise que la définition du « preneur en place » donnée par le SDREA ne s’applique qu’à l’appréciation de l’intérêt économique et environnemental d’une opération, et non au motif d’agrandissement excessif. La seule réalité qui compte est donc l’exploitation effective des terres par un tiers au jour de l’arrêté préfectoral.
En confirmant le raisonnement de l’administration, la cour administrative d’appel ne se limite pas à une simple validation du cas d’espèce. Elle consacre une approche temporelle stricte de la légalité administrative (II), tout en clarifiant la hiérarchie et l’interprétation des normes applicables en matière de contrôle des structures (B).
II. La portée de la décision : consolidation des principes de légalité et de hiérarchie des normes
L’arrêt, par sa motivation, offre une leçon sur la méthode d’appréciation de la légalité d’un acte administratif (A) et sur la juste articulation entre les dispositions législatives et les schémas directeurs régionaux (B).
A. La consécration du principe de l’appréciation à la date de la décision
La valeur principale de cet arrêt réside dans le rappel ferme du principe selon lequel la légalité d’une décision administrative s’évalue au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date où elle est prise. En refusant de prendre en compte le futur départ à la retraite de l’exploitant, la cour prévient toute forme de spéculation et d’incertitude juridique. Une solution contraire aurait ouvert la voie à des autorisations fondées sur des événements futurs et incertains, fragilisant l’autorité et la sécurité des décisions administratives. Cette position orthodoxe garantit que l’administration se prononce sur une situation stable et connue, et non sur des projections. Elle renforce ainsi la cohérence et la prévisibilité du droit, en imposant aux demandeurs de présenter des projets dont les conditions de réalisation sont réunies au moment de leur examen, et non à une date ultérieure.
B. La portée limitée des définitions du schéma directeur régional
La portée de l’arrêt est également notable en ce qu’il précise l’office des schémas directeurs régionaux. En jugeant que la définition spécifique du « preneur en place » contenue dans le SDREA de Picardie ne s’appliquait pas au cas de l’agrandissement excessif, la cour opère une lecture minutieuse et finaliste des textes. Elle rappelle que les dispositions d’un document de planification, même approuvé par l’autorité préfectorale, ne peuvent être appliquées que dans le strict cadre pour lequel elles ont été édictées. En l’espèce, le schéma lui-même limitait la portée de sa définition. Cette solution invite les praticiens à une lecture attentive des normes et à ne pas dissocier une définition de son champ d’application. Elle confirme implicitement que l’objectif de lutte contre la concentration excessive des terres, d’intérêt général, ne saurait être contourné par une interprétation extensive des définitions restrictives contenues dans les documents régionaux.