Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 12 juin 2025, n°23BX00809

Par un arrêt en date du 12 juin 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur le pouvoir d’une autorité administrative saisie d’une demande de permis de construire portant sur des travaux dans un bâtiment édifié sans autorisation préalable. En l’espèce, une société avait sollicité un permis pour réaliser des travaux de réaménagement et de mise aux normes d’un bâtiment à usage commercial. L’administration, constatant que la construction existante n’avait pas d’existence juridique, a instruit la demande comme s’il s’agissait d’une construction nouvelle et a délivré un permis en ce sens, assorti de prescriptions. La société pétitionnaire, estimant que l’autorisation ne correspondait pas à sa demande, a sollicité son retrait, ce que l’administration a implicitement refusé. Saisi par la société, le tribunal administratif de Guadeloupe a rejeté sa demande d’annulation du permis et du refus de le retirer. La société a alors interjeté appel de ce jugement. Se posait dès lors à la cour la question de savoir si une autorité compétente, face à une demande d’autorisation de travaux sur une construction irrégulière, peut légalement délivrer un permis en requalifiant la demande ou si elle est tenue de la rejeter. La cour administrative d’appel a jugé que le maire était tenu de s’opposer à la demande, celle-ci ne portant pas sur l’ensemble de la construction à régulariser, et que le permis délivré était par conséquent illégal. La décision rappelle ainsi avec fermeté l’obligation de refuser un permis de construire visant une régularisation partielle (I), ce qui conduit logiquement à la censure de la tentative de l’administration de sauver le projet par une requalification (II).

I. Le rappel de l’exigence d’une régularisation globale de la construction irrégulière

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une jurisprudence constante qui impose une démarche spécifique pour les travaux sur des constructions non autorisées. Elle réaffirme ainsi le principe selon lequel toute demande d’autorisation doit porter sur l’intégralité du bâtiment (A), ce qui rend le refus de l’administration obligatoire en cas de demande partielle (B).

A. L’obligation d’une demande d’autorisation portant sur l’ensemble du bâtiment

Le juge administratif rappelle une règle bien établie en droit de l’urbanisme. Lorsqu’une construction a été édifiée sans permis de construire, tout projet de travaux ultérieurs doit être l’occasion d’une régularisation complète de l’existant. La cour précise qu’il « appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble du bâtiment ». Cette solution jurisprudentielle vise à empêcher qu’une construction illégale soit pérennisée ou confortée par des autorisations successives ne portant que sur des éléments nouveaux. Elle contraint le propriétaire à solliciter une autorisation qui permette à l’administration de vérifier la conformité de l’ensemble du bâtiment, existant et projeté, aux règles d’urbanisme en vigueur. En l’espèce, la demande ne concernait que des travaux de réaménagement et de mise aux normes, sans inclure la structure existante elle-même, manifestement édifiée sans autorisation.

B. La compétence liée de l’administration face à une demande de régularisation partielle

Dès lors que la demande de la société ne satisfaisait pas à cette exigence d’une régularisation globale, l’administration ne disposait d’aucune marge d’appréciation. La cour est particulièrement claire sur ce point, en affirmant que « le maire était par suite, tenu de s’opposer à la demande présentée par la société FRAMI qui portait sur les seuls nouveaux travaux envisagés sur une construction édifiée sans permis de construire ». L’emploi du terme « tenu » souligne que l’autorité compétente se trouve en situation de compétence liée. Elle ne peut ni examiner le projet au fond, ni proposer une régularisation partielle, ni, comme elle l’a fait en l’espèce, tenter de modifier l’objet de la demande. Le seul pouvoir qui lui est reconnu est celui de refuser l’autorisation sollicitée. Cette rigueur garantit le respect des règles d’urbanisme et prévient toute tentative de contournement de l’obligation de régulariser une situation illégale dans sa totalité.

En établissant cette stricte obligation, la cour administrative d’appel ne pouvait que sanctionner la voie alternative choisie par le maire.

II. La sanction de la requalification opérée par l’administration

L’illégalité de la démarche de l’administration découle directement du principe rappelé précédemment. La tentative du maire de substituer un projet à un autre est jugée illégale (A), ce qui rend l’annulation du permis et du refus de le retirer inévitable (B).

A. L’illégalité de la modification unilatérale de l’objet de la demande

Face à une demande qu’il aurait dû rejeter, le maire a choisi une autre voie. La cour relève que le maire a « requalifié la demande comme portant sur une nouvelle construction, et accordé le permis de construire contesté ». Or, ce faisant, il a outrepassé ses pouvoirs. L’administration est saisie d’une demande précise et doit statuer sur celle-ci. Elle ne peut, de sa propre initiative, transformer une demande de réaménagement d’un bâtiment existant en une demande de permis pour une construction nouvelle, même dans l’intention de permettre la réalisation du projet. Une telle requalification porte atteinte à la fois à l’objet de la demande formulée par le pétitionnaire et à la portée des règles de procédure. En délivrant une autorisation pour un projet différent de celui qui était sollicité, l’administration statue *ultra petita* et méconnaît les droits du demandeur, qui se voit imposer une autorisation qu’il n’a pas demandée et qui ne correspond pas à ses besoins.

B. La portée de la solution : une annulation prévisible et protectrice

La conséquence de cette double illégalité est sans équivoque. La cour juge que « le permis délivré était illégal et le maire était tenu de faire droit à la demande de retrait de la société FRAMI ». L’annulation de l’arrêté s’imposait donc. Cette solution, bien que classique, revêt une portée protectrice pour les administrés. Elle rappelle que le droit de l’urbanisme n’est pas seulement un ensemble de contraintes, mais aussi une garantie pour les pétitionnaires, qui doivent pouvoir compter sur un examen de leur demande tel qu’ils l’ont formulée. L’arrêt censure une forme de pragmatisme administratif qui, bien que partant peut-être d’une bonne intention, crée une insécurité juridique. En confirmant que le maire devait non seulement refuser le permis initial mais également accepter de le retirer sur demande du bénéficiaire, la cour réaffirme avec force le principe de légalité et la nécessité pour l’administration d’agir dans le strict cadre de ses compétences. Cette décision constitue un rappel salutaire pour les autorités locales sur la gestion des constructions irrégulières sur leur territoire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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