6ème chambre du Conseil d’État, le 12 mai 2025, n°492921

Par une décision en date du 12 mai 2025, le Conseil d’État, statuant en matière d’admission des pourvois en cassation, s’est prononcé sur la recevabilité des moyens soulevés à l’encontre de trois arrêts rendus par la cour administrative d’appel de Marseille dans une affaire relative à un projet de parc éolien.

En l’espèce, un préfet avait autorisé par un arrêté du 17 novembre 2016 l’exploitation d’un parc éolien. Saisi par des riverains et une association, le tribunal administratif de Nîmes avait annulé cette autorisation par un jugement du 21 mai 2019. La société pétitionnaire a interjeté appel de ce jugement. Par un premier arrêt avant-dire droit du 19 novembre 2021, la cour administrative d’appel de Marseille, constatant une illégalité dans la procédure d’avis environnemental, a sursis à statuer et a permis la régularisation de ce vice. Après un second arrêt de sursis à statuer du 24 juin 2022 et la production d’un arrêté préfectoral modificatif, la cour a, par un arrêt définitif du 26 janvier 2024, annulé le jugement de première instance, rejeté la demande des requérants et les a condamnés à verser une somme au titre des frais de justice. Les requérants ont alors formé un pourvoi en cassation contre ces trois arrêts, soulevant de nombreux moyens d’illégalité tant sur la procédure de régularisation que sur le fond du dossier.

Le problème de droit posé au Conseil d’État n’était donc pas de juger le bien-fondé du projet éolien, mais de déterminer si les arguments juridiques avancés par les requérants présentaient un caractère suffisamment sérieux pour justifier l’admission de leur pourvoi en cassation, conformément à l’article L. 822-1 du code de justice administrative.

La Haute Juridiction administrative a répondu par une distinction nette. Elle a jugé qu’« aucun des moyens soulevés n’est de nature à permettre l’admission de ces conclusions » en ce qui concerne la légalité même du projet et la procédure de régularisation. En revanche, elle a estimé qu’« il y a lieu d’admettre les conclusions du pourvoi qui sont dirigées contre l’arrêt de la cour (…) en tant qu’il s’est prononcé au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ». Ainsi, seule la question des frais de justice a été jugée digne d’un examen au fond.

Cette décision illustre le mécanisme de filtrage des pourvois, qui conduit à une consolidation rapide des situations juridiques sur le fond (I), tout en préservant un contrôle de cassation ciblé sur des questions de droit spécifiques, même si elles sont accessoires au litige principal (II).

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I. Une consolidation de la légalité de l’autorisation par le rejet des moyens de fond

Le Conseil d’État, en refusant d’admettre les moyens dirigés contre le cœur du litige, conforte la solution retenue par les juges d’appel. Ce rejet massif s’appuie d’une part sur une validation implicite du recours à la procédure de régularisation (A) et d’autre part sur le rôle limité du juge de cassation dans l’appréciation des faits (B).

A. La validation implicite du mécanisme de régularisation en appel

Les requérants contestaient la mise en œuvre par la cour administrative d’appel des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, qui permettent au juge de surseoir à statuer pour qu’un vice de procédure soit purgé. En qualifiant de non sérieux les moyens soulevés contre l’arrêt du 19 novembre 2021, le Conseil d’État confirme la latitude dont dispose le juge d’appel pour utiliser cet outil de police du procès administratif. Il entérine ainsi une approche pragmatique qui favorise la survie des autorisations administratives complexes, dès lors que les illégalités qui les entachent sont régularisables. Cette position renforce la sécurité juridique des porteurs de projet, en évitant que des vices purement procéduraux n’entraînent une annulation contentieuse sèche, alors même que le projet pourrait être purgé de ses imperfections. La décision atteste de la volonté du juge de ne pas censurer l’usage d’un instrument destiné à une bonne administration de la justice.

B. Le rappel de la limite du contrôle de cassation sur l’appréciation des faits

De nombreux arguments des requérants invitaient le Conseil d’État à réexaminer les appréciations portées par la cour administrative d’appel sur la qualité du site, l’atteinte aux intérêts protégés ou l’évaluation des impacts sur l’avifaune. Ces moyens, qui se présentaient sous le visa de l’erreur de droit ou de la dénaturation des pièces du dossier, supposaient en réalité une nouvelle analyse des éléments factuels et techniques de l’affaire. En les écartant comme n’étant pas fondés sur un moyen sérieux, le juge de l’admission réaffirme avec force sa nature de juge du droit, et non d’un troisième degré de juridiction. Le contrôle de la dénaturation est en effet strictement entendu et ne permet pas de substituer sa propre appréciation des faits à celle, souveraine, des juges du fond. Cette solution est classique mais elle trouve ici une application claire, scellant définitiveement le débat sur l’impact environnemental du projet éolien en litige, la décision de la cour d’appel sur ce point devenant finale.

II. Une préservation du contrôle de droit sur les aspects accessoires du litige

La décision de n’admettre qu’une partie très ciblée du pourvoi n’est pas anodine. Elle révèle que même un aspect financier et accessoire du litige peut porter une question de droit justifiant un examen approfondi (A), emportant par là même des conséquences procédurales significatives (B).

A. L’identification d’une question de droit sérieuse dans la condamnation aux frais de justice

Le Conseil d’État a admis les conclusions dirigées contre la condamnation des requérants au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ce faisant, il considère que les moyens soulevés sur ce point, à savoir une éventuelle erreur de droit, une qualification juridique inexacte des faits ou une motivation insuffisante de l’arrêt d’appel, présentent une réelle consistance. La décision de faire supporter les frais de justice à la partie perdante n’est jamais purement automatique et doit reposer sur une appréciation correcte des circonstances de l’espèce et de l’équité. En acceptant de se pencher sur ce point, la Haute Juridiction signale qu’une telle condamnation, notamment lorsqu’elle vise des particuliers ou des associations agissant pour la défense de leur environnement, doit être particulièrement justifiée. La question de savoir si la cour a suffisamment motivé sa décision ou correctement apprécié l’équité en l’espèce est donc érigée au rang de « moyen sérieux ».

B. La portée d’une admission partielle du pourvoi

Cette admission ciblée a une portée procédurale importante. D’une part, elle rend définitive la solution apportée au litige principal : l’autorisation d’exploiter le parc éolien est désormais inattaquable sur les points qui ont été écartés. La sécurité juridique est donc acquise pour l’essentiel. D’autre part, elle ouvre une nouvelle phase contentieuse qui ne portera que sur la question des frais de justice. L’affaire sera donc jugée au fond par le Conseil d’État, mais uniquement sur le principe et le montant de la somme que les requérants ont été condamnés à verser. Cette technique de l’admission partielle illustre parfaitement l’efficacité du filtrage, qui permet de concentrer l’office du juge de cassation sur des points de droit précis qui méritent d’être tranchés, sans pour autant paralyser l’ensemble d’une affaire dont les aspects les plus substantiels ont été valablement jugés en appel.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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