1ère chambre du Conseil d’État, le 25 mars 2025, n°499142

Par une décision en date du 25 mars 2025, le Conseil d’État est venu préciser le champ d’application des dispositions dérogatoires au principe du double degré de juridiction en matière de contentieux de l’urbanisme. En l’espèce, un maire avait délivré un permis de construire pour la reconstruction d’une dépendance à usage d’habitation. Le préfet a exercé un déféré gracieux puis contentieux à l’encontre de cet acte. Saisi d’un recours du pétitionnaire contre le retrait ultérieur de ce permis et du déféré préfectoral, le tribunal administratif de Nice a annulé l’arrêté de retrait mais également le permis de construire initial. Le bénéficiaire du permis a alors entendu faire appel du jugement en tant qu’il annulait l’autorisation d’urbanisme. La cour administrative d’appel de Marseille, saisie de l’affaire, a sursis à statuer et a transmis le dossier au Conseil d’État, s’interrogeant sur sa propre compétence. En effet, la construction étant située sur le territoire d’une commune mentionnée à l’article 232 du code général des impôts, le litige semblait relever de la compétence en premier et dernier ressort du tribunal administratif.

Il revenait ainsi au Conseil d’État de déterminer si des travaux sur une construction existante, n’entraînant pas la création de logements supplémentaires, entraient dans le champ des recours jugés en premier et dernier ressort par les tribunaux administratifs en application de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative. La Haute juridiction administrative répond par la négative, estimant que le jugement était bien susceptible d’appel. Elle juge que le mécanisme dérogatoire, visant à accélérer la réalisation de logements neufs, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Par conséquent, seuls les travaux créant des logements supplémentaires sont concernés, ce qui n’était pas le cas d’une reconstruction de dépendance pour un usage personnel. La Haute juridiction fonde ainsi sa solution sur une interprétation stricte de la dérogation contentieuse (I), ce qui a pour effet de réaffirmer la portée du principe du double degré de juridiction (II).

I. L’interprétation stricte d’une dérogation contentieuse justifiée par son objet

Le Conseil d’État retient une lecture restrictive de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative (A), en se fondant sur la finalité même de ce dispositif exceptionnel (B).

A. L’affirmation d’une lecture restrictive d’une exception au double degré de juridiction

Le droit commun du contentieux administratif consacre le principe du double degré de juridiction, permettant à toute partie d’interjeter appel d’un jugement de tribunal administratif. L’article R. 811-1-1 du code de justice administrative institue cependant une exception notable pour les recours contre les autorisations d’urbanisme dans les zones où la demande de logements est particulièrement forte. Dans la décision commentée, le Conseil d’État rappelle avec force que de telles dispositions dérogatoires « doivent donc s’interpréter strictement ». Cette affirmation de principe conduit la juridiction à refuser d’étendre le champ de l’exception au-delà des hypothèses explicitement visées par le législateur.

En conséquence, la seule localisation du projet dans une commune visée par le décret du 10 mai 2013 ne suffit pas à déclencher la compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort. La nature des travaux autorisés par le permis de construire devient le critère déterminant pour l’application de cette règle de procédure. La Haute juridiction administrative conditionne ainsi l’application du régime dérogatoire à l’objet même de l’opération de construction.

B. Le critère finaliste de la création de logements supplémentaires

Pour définir le périmètre de cette interprétation stricte, le Conseil d’État s’attache à l’objectif poursuivi par le pouvoir réglementaire. Il rappelle que ces dispositions « ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l’offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d’opérations de construction de logements ». C’est donc la volonté d’accélérer la production de nouveaux logements qui justifie la suppression de la voie de l’appel. Le Conseil d’État en déduit logiquement que le régime spécial ne s’applique aux travaux sur une construction existante « qu’à la condition que ces travaux aient pour objet la réalisation de logements supplémentaires ».

En l’espèce, le projet consistait en la reconstruction d’une dépendance pour l’usage personnel du pétitionnaire, sans création d’une nouvelle unité de logement destinée au marché. Une telle opération n’ayant pas pour effet d’accroître l’offre de logements, elle ne saurait relever de la logique d’accélération contentieuse. Le Conseil d’État écarte donc l’application du régime d’exception, confirmant que le jugement rendu par le tribunal administratif de Nice pouvait bien faire l’objet d’un appel.

II. La portée de la solution : une garantie procédurale renforcée en contentieux de l’urbanisme

Cette décision a pour effet de préserver le principe du double degré de juridiction (A) et d’apporter une clarification bienvenue pour la sécurité juridique des différents acteurs (B).

A. La préservation du double degré de juridiction comme garantie d’une bonne justice

En refusant une conception extensive de l’exception, le Conseil d’État réaffirme la place fondamentale du droit d’appel dans l’ordonnancement juridique. Le double degré de juridiction constitue une garantie essentielle pour les justiciables, leur permettant de faire réexaminer en fait et en droit une affaire déjà jugée. Il participe ainsi à la qualité de la justice et à la légitimité des décisions rendues. La solution adoptée ici montre que l’impératif de célérité, bien que légitime pour répondre à la crise du logement, ne doit pas conduire à sacrifier de manière disproportionnée les droits processuels des parties.

La décision commentée opère donc un juste équilibre entre l’objectif d’intérêt général de construction de logements et le droit à un recours juridictionnel effectif. Elle circonscrit l’exception aux seules situations où l’enjeu de célérité est directement lié à l’augmentation de l’offre de logements, laissant intact le droit d’appel pour tous les autres contentieux de l’urbanisme, même dans les zones tendues.

B. La clarification bienvenue pour la sécurité juridique des pétitionnaires et des tiers

Au-delà de sa portée de principe, cette décision présente un intérêt pratique majeur en termes de sécurité juridique. Elle établit une ligne de partage claire entre les différents types de travaux sur des constructions existantes. Désormais, les pétitionnaires, comme les tiers, savent que les projets de rénovation, d’extension ou de reconstruction n’entraînant pas la création de logements additionnels relèvent du régime de droit commun de l’appel. Cette prévisibilité est essentielle pour l’ensemble des acteurs, qui peuvent ainsi mieux anticiper les voies de recours disponibles et les délais de procédure applicables.

En définitive, en précisant que le permis de construire portant sur la reconstruction d’une dépendance pour un usage personnel ne relevait pas du contentieux en premier et dernier ressort, le Conseil d’État offre une grille de lecture stable. Il renforce la cohérence du droit positif et assure une application mesurée d’un dispositif dérogatoire, consolidant par là même les garanties offertes aux justiciables dans le contentieux sensible de l’urbanisme.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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