Par une décision en date du 9 octobre 2024, le Tribunal des conflits a tranché une question de compétence relative à la contestation d’une délibération prise par une personne publique dans le cadre de la gestion de son domaine privé.
En l’espèce, une association foncière de remembrement, établissement public à caractère administratif, a, par une délibération, autorisé son président à conclure une convention avec des sociétés privées. Cette convention visait à permettre l’installation d’un parc éolien sur des parcelles qualifiées de chemins ruraux. Une association de protection de l’environnement, tiers à cette convention, a alors cherché à obtenir l’annulation de cette délibération. Elle a d’abord saisi le tribunal administratif d’Orléans, qui a rejeté sa requête par une ordonnance du 24 février 2021 au motif que la juridiction administrative était incompétente. L’association requérante a ensuite assigné l’association foncière devant le tribunal judiciaire de Montargis aux mêmes fins. Face au déclinatoire de compétence opposé par l’ordre administratif, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire a décidé, par une ordonnance du 9 août 2024, de surseoir à statuer et de renvoyer la question de compétence au Tribunal des conflits.
Le problème de droit soulevé par ce conflit négatif portait donc sur la détermination de l’ordre juridictionnel compétent pour connaître de la contestation, formée par un tiers, d’un acte unilatéral d’une personne publique autorisant la conclusion d’une convention de valorisation de son domaine privé.
Le Tribunal des conflits répond à cette question en affirmant la compétence de la juridiction administrative. Il juge que si le contentieux contractuel entre les parties relève du juge judiciaire, « la juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l’annulation de l’acte autorisant la conclusion d’une convention » ayant pour objet la valorisation du domaine privé d’une personne publique. Par conséquent, il annule l’ordonnance du tribunal administratif et lui renvoie l’affaire.
Cette décision permet de clarifier la répartition des compétences s’agissant des actes liés à la gestion du domaine privé des personnes publiques (I), tout en confirmant le rôle du juge administratif comme garant de la légalité des actes unilatéraux détachables d’un contrat de droit privé (II).
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I. La clarification de la répartition des compétences en matière de gestion du domaine privé
Le Tribunal des conflits opère une distinction nette entre le régime contentieux du contrat de gestion du domaine privé lui-même et celui de l’acte unilatéral qui en autorise la conclusion, consacrant ainsi une solution duale.
A. La compétence de principe du juge judiciaire pour le contrat de gestion du domaine privé
La décision rappelle implicitement une solution bien établie. La gestion par une personne publique de son domaine privé est, en principe, soumise aux règles du droit privé. Les biens qui composent ce domaine ne sont pas affectés à l’usage direct du public ni à un service public et sont donc gérés dans des conditions similaires à celles d’un propriétaire privé.
Il en découle logiquement que les contrats conclus pour la valorisation de ce domaine, tel qu’un bail ou une convention d’occupation, sont des contrats de droit privé. Le Tribunal des conflits le confirme en énonçant que « la contestation par une personne privée de la délibération par laquelle une personne morale de droit public, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle […] relève de la compétence du juge judiciaire ». Ainsi, tout litige né de l’exécution, de l’interprétation ou de la résiliation de la convention entre l’association foncière et les sociétés éoliennes relèverait de la compétence des tribunaux judiciaires. Ce principe assure une cohérence dans le traitement des relations contractuelles privées, qu’une des parties soit une personne publique ou non.
B. La compétence dérogatoire du juge administratif pour l’acte autorisant le contrat
La principale contribution de l’arrêt réside dans l’exception clairement formulée à ce principe. Le Tribunal des conflits isole l’acte qui autorise la signature de la convention pour lui appliquer un régime contentieux distinct lorsqu’il est contesté par un tiers. La délibération de l’association foncière est un acte administratif unilatéral, préalable et détachable du contrat de droit privé qui en découle.
Le juge de la compétence estime que la nature de cet acte justifie l’intervention du juge administratif. Il affirme ainsi que « la juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l’annulation de l’acte autorisant la conclusion d’une convention ayant cet objet ». Cette solution permet à un tiers, qui ne dispose pas des voies de recours contractuelles, de contester la légalité de la décision administrative elle-même. La contestation ne porte pas sur le contenu de la convention privée, mais sur la validité de l’acte public qui a permis sa naissance. Cette dissociation garantit le maintien d’un contrôle de légalité sur l’action des personnes publiques, même lorsqu’elles agissent dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé.
II. La portée de la solution pour le contrôle de légalité et les droits des tiers
En réaffirmant la théorie de l’acte détachable dans le contexte spécifique de la gestion domaniale privée, la décision renforce la sécurité juridique et la protection des droits des tiers.
A. Une clarification bienvenue au service de la sécurité juridique
La valeur de cette décision est avant tout pragmatique. Elle met fin à une incertitude contentieuse illustrée par les décisions contradictoires des deux ordres de juridiction. Le refus de compétence du tribunal administratif suivi du renvoi opéré par le tribunal judiciaire créait une situation de déni de justice potentiel pour l’association requérante. En tranchant clairement, le Tribunal des conflits fournit un guide procédural clair pour les justiciables.
Cette solution est également d’une grande cohérence juridique. Elle articule de manière logique la compétence des deux ordres en fonction de l’objet de la contestation : au juge judiciaire le contrat et ses effets entre les parties, au juge administratif l’acte unilatéral préalable et sa légalité externe et interne. Cette orthodoxie juridique permet aux personnes publiques gestionnaires d’anticiper le contrôle juridictionnel auquel leurs actes sont susceptibles d’être soumis. L’appréciation de la valeur de la décision est donc positive, car elle simplifie le droit applicable et prévient de futurs conflits de compétence.
B. Une portée étendue réaffirmant la protection des droits des tiers
La portée de cette décision est générale. Le Tribunal des conflits ne la limite pas à la seule espèce. Il prend soin de préciser que la solution vaut également « dans l’hypothèse où les parcelles en cause constitueraient non des chemins ruraux mais des chemins d’exploitation ou autres terrains relevant du patrimoine privé de l’association foncière de remembrement ». Ce faisant, il érige sa solution en principe applicable à toute contestation par un tiers d’un acte autorisant une convention de valorisation du domaine privé d’une personne publique, quelle que soit la nature exacte des biens concernés.
Cette jurisprudence apparaît donc comme une décision de principe. Elle n’opère pas un revirement, mais systématise et clarifie l’application de la théorie de l’acte détachable à ce domaine particulier. Elle revêt une importance considérable pour les tiers, notamment les associations de protection de l’environnement, qui voient leur droit au recours contre les décisions des autorités publiques conforté. Le juge administratif est ainsi confirmé dans son rôle de censeur des actes administratifs, y compris lorsque ceux-ci s’insèrent dans une opération globale relevant pour l’essentiel du droit privé.