Juge des référés du Conseil d’État, le 30 avril 2025, n°503758

Par une ordonnance en date du 30 avril 2025, le juge des référés du Conseil d’État a statué sur la requête d’un particulier cherchant à faire cesser l’atteinte à ses droits fondamentaux résultant de l’inaction des services de gendarmerie. En l’espèce, un locataire, s’étant vu interdire l’accès à son propre domicile par son propriétaire, avait sollicité l’intervention de la gendarmerie. Face à ce qu’il considérait comme une carence des forces de l’ordre à faire cesser l’infraction et à mener une enquête, le requérant a saisi le juge administratif.

Le particulier a introduit une procédure de référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, directement auprès du Conseil d’État. Il soutenait que l’inaction de la gendarmerie portait une atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales, notamment le droit de jouissance de son logement et le droit au respect de sa vie privée. Le requérant demandait ainsi au juge d’enjoindre aux services de gendarmerie de mettre en œuvre leurs pouvoirs d’enquête pour mettre fin à la violation de son domicile et lui en permettre de nouveau l’accès.

Le problème de droit soulevé par cette affaire était donc de déterminer si l’inaction des services de gendarmerie dans la conduite d’une enquête relative à une infraction pénale relevait de la compétence du juge administratif des référés. En d’autres termes, le juge administratif pouvait-il ordonner des mesures touchant à l’exercice des missions de police judiciaire ?

À cette question, le juge des référés du Conseil d’État répond par la négative, en rejetant la requête par une ordonnance prise sur le fondement de l’article L. 522-3 du code de justice administrative. Il retient que la demande « se rapporte à l’exercice de la police judiciaire et non à celle de la police administrative » et, par conséquent, « ne ressortit manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative ». La décision rappelle ainsi la distinction fondamentale entre les deux ordres de police et en tire les conséquences juridictionnelles qui s’imposent.

Si la décision réaffirme sans surprise la distinction cardinale entre police administrative et police judiciaire (I), elle en illustre les conséquences rigoureuses en matière de compétence, rappelant ainsi au justiciable les frontières strictes de l’office du juge administratif (II).

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I. La réaffirmation de la distinction entre police administrative et police judiciaire

La solution adoptée par le Conseil d’État se fonde entièrement sur la nature des missions dont l’exercice était critiqué par le requérant. Bien que la situation ait pu, de prime abord, justifier l’intervention du juge du référé-liberté (A), la nature judiciaire des pouvoirs contestés a inévitablement conduit au rejet pour incompétence (B).

A. Une situation justifiant en apparence l’intervention du juge du référé-liberté

Le requérant invoquait une atteinte à des libertés fondamentales, condition première à la mise en œuvre de la procédure de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Le droit au respect du domicile, qui inclut le droit d’y accéder librement et d’en jouir paisiblement, constitue sans conteste une telle liberté. L’atteinte paraissait également grave, puisque le requérant était privé de son logement, et l’illégalité manifeste, l’inaction d’une autorité publique face à une infraction continue pouvant être qualifiée comme telle.

De plus, la condition d’urgence, essentielle en matière de référé, semblait remplie, le requérant étant privé de ses effets personnels et de son lieu de vie. Dans ce contexte, la saisine du juge des référés, gardien des libertés fondamentales face à l’administration, apparaissait comme une voie de droit pertinente pour obtenir une mesure rapide et efficace. Le requérant espérait ainsi que le juge ordonne à une autorité administrative, la gendarmerie, de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder ses droits.

Toutefois, la qualification des faits et la nature de l’intervention demandée ont conduit le juge à une conclusion radicalement opposée, fondée sur une analyse stricte des pouvoirs exercés.

B. Une demande se heurtant à la nature judiciaire des pouvoirs de police sollicités

Le juge des référés écarte la requête en se fondant sur un critère fonctionnel. Il analyse la nature de l’intervention demandée aux gendarmes, qui consistait à enquêter sur une infraction pénale déjà commise, celle de violation de domicile, et à en poursuivre l’auteur. Or, ces prérogatives ne relèvent pas de la police administrative, dont la finalité est préventive et vise à éviter les atteintes à l’ordre public. Elles appartiennent à la police judiciaire, qui a pour objet de constater les infractions, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs.

Comme le souligne l’ordonnance, la demande « se rapporte à l’exercice de la police judiciaire et non à celle de la police administrative ». Cette distinction classique, dont le critère principal est la finalité de l’opération de police, emporte une conséquence juridictionnelle déterminante. Les litiges relatifs aux opérations de police judiciaire relèvent de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle en vertu de l’article 66 de la Constitution. Le juge administratif est donc, par principe, incompétent pour connaître des actions ou des carences des services de police dans leur mission répressive. La solution est donc une application rigoureuse de la loi des 16-24 août 1790 et du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

Cette rigueur, bien que juridiquement fondée, met en lumière les limites de l’office du juge administratif et les contraintes qui pèsent sur le citoyen.

II. La portée d’une solution orthodoxe rappelant les limites de l’office du juge administratif

La décision, en appliquant une jurisprudence bien établie (A), a une portée essentiellement pédagogique, mais elle illustre les difficultés que peut rencontrer un justiciable face à la complexité de la répartition des compétences (B).

A. La confirmation d’une solution constante en matière de répartition des compétences

L’ordonnance ne constitue pas un revirement de jurisprudence, mais s’inscrit au contraire dans une lignée de décisions bien établies. Le Conseil d’État a constamment jugé que les actes se rattachant à la recherche ou à la poursuite d’infractions pénales échappent à sa censure. La solution est donc orthodoxe et ne surprendra aucun juriste averti. Elle réaffirme que même dans le cadre du référé-liberté, qui a pourtant considérablement étendu les pouvoirs du juge administratif, la frontière de la police judiciaire demeure infranchissable.

Le juge prend d’ailleurs soin de préciser que la demande ne porte ni sur « une question relative à l’organisation même du service public de la justice » ni sur « l’organisation et au fonctionnement de la gendarmerie nationale », cas dans lesquels la compétence administrative aurait pu être reconnue. Cette précision montre que le juge a examiné toutes les portes d’entrée possibles vers sa compétence avant de les refermer. La décision est ainsi un modèle de rigueur juridique, appliquant sans détour une clé de répartition des compétences qui structure le contentieux de l’action publique.

Cette orthodoxie, si elle garantit la sécurité juridique, n’est pas sans conséquence pour le citoyen confronté à une situation d’urgence.

B. Une illustration des contraintes procédurales pesant sur le justiciable

Bien que fondée en droit, la décision laisse le requérant sans solution immédiate de la part du juge administratif. Elle a pour effet de le renvoyer vers l’autorité judiciaire, seule compétente pour agir en matière de police judiciaire. Le justiciable aurait dû se tourner vers le procureur de la République pour dénoncer l’infraction et demander que des instructions soient données aux enquêteurs, ou engager une procédure judiciaire pour faire valoir ses droits contre son propriétaire.

Cette ordonnance a donc une portée essentiellement pédagogique : elle rappelle avec force que l’urgence d’une situation et la gravité d’une atteinte à une liberté fondamentale ne suffisent pas à fonder la compétence du juge administratif. Encore faut-il que l’atteinte reprochée émane d’une autorité administrative agissant dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est dictée par la nature de la demande, mais qui illustre parfaitement la complexité du dualisme juridictionnel français. Pour le citoyen, cette complexité peut se traduire par un allongement des délais pour obtenir une protection effective de ses droits, le temps de s’orienter vers le bon juge.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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