Par un arrêt en date du 9 novembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours du principe du respect des droits de la défense dans le cadre d’une procédure administrative fiscale. En l’espèce, des promoteurs immobiliers ont fait l’objet d’un contrôle fiscal à l’issue duquel l’administration a considéré que leur activité de vente d’appartements revêtait un caractère économique permanent, les assujettissant ainsi à la taxe sur la valeur ajoutée. L’administration a par conséquent émis des avis d’imposition pour des montants significatifs au titre de la taxe due, des intérêts et des pénalités de retard. Les contribuables ont contesté ces avis devant la Curtea de Apel Cluj, en Roumanie, arguant principalement d’une violation de leurs droits de la défense. Ils soutenaient que l’autorité fiscale aurait dû leur communiquer d’office l’ensemble des informations et documents ayant servi de fondement à sa décision, et non se contenter de les inviter à une discussion finale. Saisie de cette question, la juridiction roumaine a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la conformité d’une telle pratique administrative avec le principe du respect des droits de la défense. Il était ainsi demandé à la Cour si ce principe fondamental du droit de l’Union impose à une autorité administrative de garantir un accès spontané et intégral au dossier, ou si le contribuable doit en faire la demande expresse. La Cour de justice répond que le principe du respect des droits de la défense doit être interprété en ce sens qu’un particulier doit avoir la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, les informations et documents pertinents, à moins que des objectifs d’intérêt général ne justifient une restriction d’accès. La Cour de justice, tout en réaffirmant l’applicabilité du principe des droits de la défense dans le cadre des procédures fiscales nationales (I), en module cependant la mise en œuvre en la conditionnant à une démarche active du contribuable et en la soumettant aux spécificités procédurales des États membres (II).
I. La consécration du droit d’accès au dossier dans la procédure fiscale
La décision de la Cour de justice étend avec clarté l’empire du principe des droits de la défense à la matière fiscale (A), tout en définissant les modalités de ce droit d’accès comme étant conditionné par une demande du contribuable (B).
A. L’application du principe des droits de la défense à la matière fiscale
La Cour rappelle avec force que le respect des droits de la défense constitue un principe général du droit de l’Union. Ce principe trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief. Conformément à une jurisprudence bien établie, la Cour énonce que, en vertu de ce principe, « les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entend fonder sa décision ». L’arrêt confirme que cette obligation pèse sur les administrations des États membres lorsqu’elles prennent des décisions entrant dans le champ d’application du droit de l’Union, ce qui est le cas des procédures relatives à la taxe sur la valeur ajoutée. En l’occurrence, un contrôle fiscal menant à un redressement en matière de TVA constitue sans équivoque un acte faisant grief, affectant de manière sensible les intérêts des contribuables. La solution n’est pas nouvelle mais elle réaffirme avec opportunité que les garanties procédurales fondamentales du droit de l’Union ne s’arrêtent pas aux portes des administrations fiscales nationales, dès lors que celles-ci mettent en œuvre le droit de l’Union.
B. La définition d’un droit d’accès sur demande
L’apport principal de l’arrêt réside dans la précision que la Cour apporte quant aux modalités d’exercice de ce droit. Les requérants au principal soutenaient que l’administration aurait dû leur fournir spontanément tous les éléments de leur dossier. La Cour écarte cette interprétation extensive et opte pour une solution plus mesurée. Elle juge que l’administration n’est pas tenue de communiquer d’office tous les documents et informations, mais doit garantir une « possibilité réelle d’accès » à ces éléments. La charge de l’initiative est ainsi placée sur le contribuable. C’est à lui de demander la communication des pièces qu’il estime utiles à la préparation de sa défense. La Cour énonce clairement que, dans des procédures fiscales, « un particulier doit avoir la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, les informations et documents se trouvant dans le dossier administratif et pris en considération par l’autorité publique en vue d’adopter sa décision ». Cette solution pragmatique évite d’imposer aux administrations fiscales une obligation jugée trop lourde de transmission systématique et exhaustive de tous les dossiers, tout en préservant le droit essentiel du contribuable à une procédure contradictoire.
Si la Cour affirme un droit d’accès, elle en précise aussitôt les limites, conciliant ainsi les garanties offertes au contribuable avec les prérogatives des administrations nationales et les contraintes inhérentes à leur mission.
II. La portée encadrée du droit d’accès au nom de l’autonomie procédurale
Le droit d’accès ainsi défini n’est pas absolu ; il doit être concilié avec le principe de l’autonomie procédurale des États membres (A) et peut connaître des restrictions justifiées par des motifs d’intérêt général (B).
A. La conciliation avec le principe de l’autonomie procédurale des États membres
En l’absence d’une harmonisation des procédures fiscales au niveau de l’Union, la Cour rappelle la règle de l’autonomie procédurale des États membres. Il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État de régler les modalités procédurales destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Cette autonomie est cependant encadrée par les principes d’équivalence et d’effectivité. En l’espèce, c’est le principe d’effectivité qui est au cœur du raisonnement. Ce principe exige que les règles nationales ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. La solution retenue par la Cour respecte cette répartition des compétences : elle fixe une exigence minimale découlant du droit de l’Union – la possibilité d’un accès sur demande – mais laisse aux États membres le soin de définir les modalités concrètes de cet accès. En n’imposant pas une communication d’office, la Cour se garde de créer une formalité procédurale uniforme qui aurait pu être perçue comme une ingérence excessive dans l’organisation des systèmes administratifs nationaux.
B. La restriction justifiée par des objectifs d’intérêt général
La Cour prend soin de préciser que le droit d’accès aux informations et aux documents du dossier administratif n’est pas une prérogative absolue. Elle ménage la possibilité d’y apporter des restrictions, mais à des conditions strictes. La Cour énonce ainsi que l’accès peut être limité si « des objectifs d’intérêt général justifient de restreindre l’accès auxdites informations et auxdits documents ». Cette formule, classique dans la jurisprudence de la Cour, ouvre la voie à des exceptions nécessaires au bon fonctionnement de l’action administrative. L’arrêt ne liste pas exhaustivement ces objectifs, mais on peut songer à la protection du secret des affaires, à la confidentialité des informations concernant des tiers, ou encore aux nécessités de l’enquête visant à lutter contre la fraude fiscale. De telles restrictions doivent cependant être proportionnées au but poursuivi et ne sauraient porter atteinte à la substance même des droits de la défense. Il appartiendra donc au juge national, en cas de litige sur un refus de communication, d’opérer cette mise en balance entre le droit du contribuable à être informé et les impératifs d’intérêt général invoqués par l’administration.