Par un arrêt du 9 mars 2023, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa cinquième chambre, a précisé l’articulation entre les effets du certificat successoral européen et les exigences procédurales nationales relatives à l’inscription d’un droit de propriété dans un registre foncier. En l’espèce, un résident allemand, unique héritier de sa mère également résidente en Allemagne, a sollicité en Lituanie l’inscription à son nom de biens immobiliers successoraux situés sur le territoire de cet État. Pour ce faire, il a présenté un certificat successoral européen délivré par une juridiction allemande. Ce certificat attestait de sa qualité d’héritier unique recueillant l’intégralité de la succession, mais ne contenait aucune liste identifiant spécifiquement les biens immobiliers concernés, conformément à la pratique allemande découlant du principe de succession universelle. L’autorité lituanienne chargée du registre foncier a rejeté la demande au motif que le document ne comportait pas les informations d’identification du bien immobilier requises par le droit national. Saisi en dernier ressort, le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle pratique nationale avec le règlement (UE) n° 650/2012. La question posée visait essentiellement à déterminer si un État membre peut refuser l’inscription d’un bien immobilier hérité lorsque le certificat successoral européen, seul document fourni, n’identifie pas ledit bien comme l’exige sa législation nationale. La Cour répond par l’affirmative, jugeant que le règlement ne s’oppose pas à une telle réglementation. Elle estime que le rejet d’une demande fondé sur l’absence d’identification du bien dans le certificat ne méconnaît pas le droit de l’Union.
La solution de la Cour, en validant la primauté des exigences nationales en matière d’enregistrement immobilier, vient clarifier la portée du certificat successoral européen (I), tout en révélant les limites pratiques de cet instrument d’harmonisation (II).
I. La portée du certificat successoral européen subordonnée à l’autonomie procédurale nationale
La Cour de justice rappelle que le certificat successoral européen, bien que constituant un document valable pour l’inscription d’un bien, ne prévaut pas sur les règles nationales régissant les modalités de cette inscription. Cette solution repose sur une distinction claire entre le droit des successions, harmonisé, et le droit des registres fonciers, qui demeure de la compétence des États membres.
A. Un document valable mais non autosuffisant pour l’inscription foncière
La Cour fonde son raisonnement sur une lecture combinée des articles 1er, paragraphe 2, sous l), et 69, paragraphe 5, du règlement. Le premier exclut expressément de son champ d’application « toute inscription dans un registre de droits immobiliers ou mobiliers, y compris les exigences légales applicables à une telle inscription ». Le second, tout en disposant que le certificat « constitue un document valable pour l’inscription d’un bien successoral dans le registre pertinent d’un État membre », précise que cette validité s’entend « sans préjudice de l’article 1er, paragraphe 2, points k) et l) ». L’articulation de ces textes démontre que le certificat n’a pas pour effet de neutraliser les conditions légales et les modalités d’inscription définies par le droit de l’État membre où le registre est tenu, la *lex rei sitae*.
Le considérant 18 du règlement vient renforcer cette interprétation en énonçant qu’il appartient au droit de l’État membre du registre de « définir les conditions légales et les modalités de l’inscription, et déterminer quelles sont les autorités […] chargées de vérifier que toutes les exigences sont respectées ». Le certificat est donc un titre qui doit être accepté, mais il ne dispense pas le demandeur de fournir les informations jugées nécessaires par la loi locale pour que l’inscription puisse être effectuée. Par conséquent, l’autorité tenant le registre conserve la faculté de contrôler si les documents présentés, y compris le certificat, contiennent toutes les informations requises.
B. La légitimité de l’exigence nationale d’identification du bien
En confirmant la décision de l’autorité lituanienne, la Cour reconnaît implicitement la légitimité de l’exigence d’une identification précise des biens dans les documents servant de base à une inscription foncière. Cette condition est directement liée à l’objectif de sécurité juridique poursuivi par les systèmes de publicité foncière. Le registre a pour fonction de garantir l’exactitude, la fiabilité et l’opposabilité des droits réels immobiliers, ce qui suppose une désignation sans équivoque des parcelles et des bâtiments concernés.
La Cour souligne que l’autorité chargée de l’enregistrement ne dispose pas d’un pouvoir d’enquête pour pallier les carences d’un document. Elle se limite à un contrôle de conformité formelle. Refuser une inscription en l’absence d’informations essentielles, comme le numéro cadastral ou l’adresse précise du bien, n’est donc pas une mesure disproportionnée. C’est la conséquence logique du rôle qui lui est dévolu par la loi nationale. La décision montre ainsi que l’efficacité du certificat successoral européen trouve sa limite là où commencent les impératifs de sécurité attachés au droit des biens de chaque État membre.
Cette affirmation de l’autonomie nationale, bien que juridiquement fondée, soulève des interrogations quant à l’efficacité réelle du certificat et à la simplification visée par le législateur européen.
II. Les limites de l’harmonisation face aux défis pratiques de la circulation successorale
La décision met en lumière une tension entre l’objectif de simplification des successions transfrontières et la persistance d’obstacles procéduraux. L’interprétation retenue, tout en étant pragmatique, fait peser sur les héritiers une charge supplémentaire et interroge sur l’uniformité des effets du certificat.
A. L’interprétation finaliste du contenu du certificat
Au cœur du litige se trouve l’interprétation de l’article 68 du règlement, qui détaille les informations devant figurer dans le certificat. Selon son point l), celui-ci mentionne « la part revenant à chaque héritier et, le cas échéant, la liste des droits et/ou des biens revenant à un héritier déterminé ». L’autorité allemande, appliquant le principe de succession universelle, avait estimé ne pas avoir à dresser une telle liste pour un héritier unique. La Cour de justice suggère une autre lecture, orientée par la finalité du certificat.
Elle précise que les informations doivent y être incluses « dans la mesure où elles sont nécessaires à la finalité pour laquelle il est délivré ». Dès lors que le certificat est demandé en vue de l’inscription d’un bien dans un registre étranger, l’identification de ce bien devient une information « nécessaire ». L’expression « le cas échéant » devrait donc être comprise non seulement au regard de la loi applicable à la succession, mais aussi en considération de l’usage futur du certificat. Cette interprétation impose à l’autorité d’émission d’anticiper les exigences de l’État de destination et, le cas échéant, de compléter le certificat en conséquence, même si sa propre loi ne l’y contraint pas.
B. La persistance d’une entrave à la simplification des successions
Si la solution est cohérente sur le plan juridique, elle fragilise l’un des objectifs cardinaux du règlement, qui est de « supprimer les entraves à la libre circulation de personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits », tel que l’énonce le considérant 7. En pratique, l’héritier se trouve confronté à une difficulté qu’il pensait justement pouvoir surmonter grâce au certificat. Il devra soit solliciter une rectification ou un complément du certificat auprès de l’autorité d’émission, soit obtenir un autre document probant admis par le droit de l’État où se situe le bien.
Cette démarche additionnelle génère des délais et des coûts, contredisant l’ambition d’un règlement « rapide, aisé et efficace » des successions transfrontières. La charge de s’assurer que le certificat est apte à remplir sa fonction dans l’État de destination pèse en définitive sur le demandeur. La décision révèle ainsi que le certificat successoral européen, loin d’être un passe-partout universel, demeure un instrument dont l’efficacité dépend de sa correcte adaptation aux exigences procédurales locales, ce qui atténue considérablement sa portée unificatrice.