Dans une décision rendue sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime juridique applicable aux obligations de paiement des charges de copropriété dans un contexte international. En l’espèce, des propriétaires domiciliés en Irlande étaient redevables de contributions financières pour l’entretien des parties communes d’un immeuble situé en Bulgarie. Ces contributions avaient été décidées par des votes en assemblée générale des copropriétaires. Face au non-paiement des sommes dues, le syndic de la copropriété a engagé une action en paiement devant une juridiction bulgare. Saisie du litige, cette juridiction s’est déclarée incompétente au motif que les défendeurs étaient domiciliés dans un autre État membre, appliquant ainsi la règle de compétence générale du for du défendeur prévue par le règlement (UE) n° 1215/2012, dit « Bruxelles I bis ». Le syndic a formé un recours contre cette ordonnance, conduisant la juridiction de renvoi à interroger la Cour de justice sur l’interprétation des règles de compétence et de loi applicable. La question centrale était de déterminer si une obligation de paiement issue d’une décision majoritaire d’une assemblée de copropriétaires pouvait être qualifiée de « matière contractuelle » au sens du règlement Bruxelles I bis, ce qui permettrait de déroger à la compétence générale au profit du lieu d’exécution de l’obligation. Il s’agissait également de déterminer, pour l’application du règlement (CE) n° 593/2008, dit « Rome I », si une telle obligation relevait d’un contrat de prestation de services ou d’un contrat portant sur un droit réel immobilier. La Cour de justice de l’Union européenne répond que de tels litiges relèvent bien de la « matière contractuelle » et que l’obligation en cause doit être regardée comme concernant un contrat de prestation de services.
La solution de la Cour repose ainsi sur une double qualification, déterminant d’abord la nature de l’obligation pour établir la compétence juridictionnelle (I), puis sa classification pour identifier la loi applicable (II).
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I. L’affirmation de la nature contractuelle de l’obligation de copropriété
La Cour de justice consacre une interprétation extensive de la notion de « matière contractuelle », essentielle pour déterminer la juridiction compétente. Elle considère que l’engagement initial du copropriétaire fonde le caractère contractuel de l’obligation (A), rendant indifférente la modalité d’adoption de la décision qui en fixe le montant (B).
A. Un engagement librement consenti par l’acquisition du bien
Pour retenir la qualification contractuelle, la Cour s’appuie sur sa jurisprudence constante selon laquelle cette notion ne suppose pas nécessairement la conclusion formelle d’un contrat. L’élément déterminant est l’existence d’un « engagement librement assumé d’une partie envers une autre ». En l’espèce, l’acquisition volontaire d’un bien en copropriété emporte l’adhésion aux règles qui la régissent. En devenant propriétaire, l’acquéreur consent à l’organisation de la copropriété et aux obligations qui en découlent, notamment la participation aux frais d’entretien des parties communes. La Cour rappelle que, de manière analogue, « l’adhésion à une association crée entre les associés des liens étroits de même type que ceux qui s’établissent entre les parties à un contrat ». L’origine de l’obligation ne réside donc pas dans la décision de l’assemblée générale elle-même, mais dans l’acte volontaire d’acquisition qui fait entrer l’individu dans la collectivité des copropriétaires et le soumet à son fonctionnement. Cette approche fonctionnelle permet de rattacher à la matière contractuelle des obligations dont la source formelle n’est pas un accord de volontés direct.
B. L’indifférence de la source formelle de la créance
La Cour précise ensuite que le caractère contraignant de la décision de l’assemblée générale, même adoptée sans la participation ou avec l’opposition d’un copropriétaire, ne remet pas en cause la nature contractuelle de l’obligation. Le consentement a déjà été donné en amont, lors de l’entrée dans la copropriété. Dès lors, la décision de l’assemblée générale ne fait que préciser le contenu d’une obligation préexistante. Le fait que les modalités de calcul et le montant des charges soient fixés par un vote majoritaire est une simple modalité d’exécution de l’engagement initial. La Cour énonce clairement que la circonstance que l’obligation découle à la fois de l’acte d’acquisition et d’une décision de l’assemblée « est sans incidence sur l’application de l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 ». Cette solution garantit une sécurité juridique en évitant que la compétence juridictionnelle ne dépende des circonstances de l’adoption de chaque résolution. Elle confirme ainsi la primauté de l’engagement initial sur les actes subséquents qui ne font que le mettre en œuvre.
Une fois la compétence spéciale en matière contractuelle établie, il appartenait à la Cour de qualifier le contrat pour déterminer la loi applicable.
II. La qualification de l’obligation en contrat de prestation de services
La Cour procède par élimination pour définir le régime de loi applicable selon le règlement Rome I. Elle écarte la qualification de contrat portant sur un droit réel immobilier (A) pour retenir celle, plus fonctionnelle, de contrat de prestation de services (B).
A. Le rejet de la qualification de contrat portant sur un droit réel immobilier
L’article 4, paragraphe 1, sous c), du règlement Rome I prévoit que le contrat ayant pour objet un droit réel immobilier est régi par la loi du pays de situation de l’immeuble. Pour écarter cette qualification, la Cour raisonne par analogie avec les règles de compétence exclusive de l’article 24 du règlement Bruxelles I bis. Elle rappelle que cette compétence est d’interprétation stricte et ne vise que les actions qui « tendent, d’une part, à déterminer l’étendue, la consistance, la propriété, la possession d’un bien immobilier ou l’existence d’autres droits réels sur ces biens et, d’autre part, à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives qui sont attachées à leur titre ». Or, une action en paiement de charges de copropriété n’a pas un tel objet. Elle ne porte pas sur le droit de propriété lui-même, mais sur une obligation personnelle de paiement découlant de la qualité de propriétaire. En appliquant ce raisonnement au règlement Rome I, la Cour assure une cohérence entre les instruments du droit international privé européen. L’obligation de payer les charges, bien que liée à l’immeuble, ne constitue pas un contrat ayant pour objet un droit réel au sens de cette disposition.
B. L’adoption de la qualification de contrat de prestation de services
En conséquence, la Cour se tourne vers la qualification de contrat de prestation de services prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement Rome I. Elle rappelle sa définition jurisprudentielle de la notion de « services », laquelle « implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération ». Dans le cadre d’une copropriété, le syndic, agissant pour le compte de la collectivité, organise un ensemble de prestations destinées à l’entretien, la conservation et l’administration des parties communes de l’immeuble. Ces activités, qui peuvent inclure le nettoyage, la maintenance des ascenseurs ou la sécurité, correspondent bien à une activité déterminée. Les contributions versées par les copropriétaires constituent la contrepartie financière de ces services. Par conséquent, le litige relatif au paiement de ces charges concerne un contrat de prestation de services. Cette qualification pragmatique permet de soumettre le contrat, à défaut de choix par les parties, à la loi du pays où le prestataire de services a sa résidence habituelle, soit en l’occurrence le lieu de situation de l’immeuble où les services sont fournis.