Cour de justice de l’Union européenne, le 7 novembre 2024, n°C-594/23

Par un arrêt du 7 novembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les critères de qualification d’un bien immobilier en matière de taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, une société avait acquis un terrain, l’avait divisé en parcelles et y avait réalisé, avant le 1er janvier 2011, des travaux de raccordement aux réseaux ainsi que les fondations de futures constructions. Ces parcelles ont ensuite été cédées en 2015. L’administration fiscale nationale a soumis cette cession à la taxe sur la valeur ajoutée, la considérant comme une livraison de « terrains à bâtir ». La société venderesse soutenait au contraire qu’il s’agissait d’une livraison de « bâtiments ou fractions de bâtiment », opération susceptible de bénéficier d’une exonération en vertu du droit transitoire national. Saisie d’un recours, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation des dispositions pertinentes de la directive TVA. La question de droit qui se posait était de savoir si la livraison d’un terrain sur lequel seules des fondations ont été coulées doit être qualifiée de livraison de « terrain à bâtir », soumise à la taxe, ou de livraison d’un « bâtiment ou d’une fraction de bâtiment », susceptible d’être exonérée. La Cour répond que « une opération de livraison d’un terrain pourvu, à la date de cette livraison, exclusivement de fondations de constructions à usage d’habitation constitue une livraison d’un “terrain à bâtir” ». Ainsi, la Cour opte pour une approche fonctionnelle de la notion de bâtiment, écartant une lecture purement matérielle (I), ce qui a pour effet de consolider la distinction entre les terrains à bâtir et les bâtiments commencés (II).

I. La consécration d’une approche fonctionnelle de la notion de bâtiment

La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation téléologique de la directive TVA. Elle rejette une définition purement matérielle de la notion de « bâtiment » au profit d’un critère fonctionnel lié à l’usage potentiel du bien.

A. Le rejet d’une qualification matérielle du bâtiment

La directive TVA définit le bâtiment comme « toute construction incorporée au sol ». Une lecture littérale de cette disposition aurait pu conduire à considérer que de simples fondations, indéniablement incorporées au sol, constituent déjà une fraction de bâtiment. C’est d’ailleurs l’argumentation que soutenait la société venderesse, pour qui la réalisation des fondations avait transformé la nature juridique du bien, le faisant passer de la catégorie de « terrain à bâtir » à celle de « bâtiment ». Cependant, la Cour écarte cette approche. Elle rappelle que la définition du bâtiment doit être lue à la lumière des autres dispositions de la directive, et notamment de celles qui régissent l’imposition des livraisons.

La Cour souligne que le système commun de TVA distingue les livraisons de bâtiments selon qu’elles interviennent avant ou après leur « première occupation ». Seules les premières sont obligatoirement soumises à la taxe, en tant que livraisons de bâtiments neufs. Cette distinction fondamentale implique qu’un bien ne peut être qualifié de « bâtiment » au sens fiscal du terme que s’il est, au minimum, apte à faire l’objet d’une occupation. En se fondant sur une interprétation systémique, la Cour refuse donc de s’en tenir à la seule matérialité de l’incorporation au sol pour conférer la qualité de bâtiment à une construction inachevée.

B. La confirmation du critère de la première occupation

Le raisonnement de la Cour s’articule entièrement autour du critère de la « première occupation » d’un bâtiment. Ce critère, selon la jurisprudence, « doit être compris comme correspondant à celui de la première utilisation du bien par son propriétaire ou par son locataire ». Il marque le moment où le bien sort du processus de production pour entrer dans le circuit de la consommation. Une construction qui n’est pas encore utilisable, même partiellement, ne peut logiquement pas être considérée comme ayant franchi cette étape. La Cour en déduit que de simples fondations ne peuvent être qualifiées de bâtiment, car elles « ne sauraient être susceptibles de faire l’objet d’une “occupation” ainsi définie ».

Même la notion de « fraction de bâtiment » est soumise à cette exigence fonctionnelle. La Cour précise qu’une telle fraction doit pouvoir, elle aussi, « faire l’objet d’une occupation », citant l’exemple d’appartements livrés au sein d’un immeuble dont d’autres parties sont encore en construction. Des fondations, en elles-mêmes, ne constituent pas une unité fonctionnelle apte à être utilisée. En liant la définition fiscale du bâtiment à sa capacité d’usage, la Cour établit une ligne de partage claire entre les différentes étapes d’un projet de construction, ce qui clarifie le régime de TVA applicable.

II. La consolidation de la distinction entre terrain à bâtir et bâtiment

En précisant qu’un terrain pourvu de seules fondations demeure un terrain à bâtir, la Cour renforce la sécurité juridique des opérations immobilières tout en limitant la portée de la notion de « fraction de bâtiment ».

A. Le renforcement de la sécurité juridique des opérations

La décision apporte une clarification bienvenue pour les opérateurs du secteur immobilier. Elle établit un critère objectif et pragmatique pour distinguer un terrain à bâtir d’un bâtiment en cours de construction. La qualification ne dépend plus du degré d’avancement matériel des travaux, source potentielle d’incertitude, mais de la capacité fonctionnelle du bien à être occupé. En jugeant que « la réalisation de telles fondations ne marque pas la fin du processus de construction du bâtiment et l’entrée de celui-ci dans le secteur de la consommation », la Cour empêche que des travaux préparatoires mineurs puissent suffire à modifier le régime fiscal d’une opération.

Cette solution prévient les stratégies d’optimisation qui consisteraient à réaliser des travaux de faible envergure, comme le coulage de fondations, dans le seul but de faire échapper la vente d’un terrain au régime de la TVA applicable aux terrains à bâtir. La solution retenue est également cohérente avec l’objectif de la directive, qui est de taxer la valeur ajoutée. Or, la valeur ajoutée significative dans une opération de construction est générée par l’édification d’un bâtiment habitable, et non par la simple préparation du sol.

B. La portée limitée de la notion de « fraction de bâtiment »

La Cour profite de cette affaire pour délimiter plus précisément la notion de « fraction de bâtiment ». Elle rejette une interprétation purement physique qui consisterait à considérer n’importe quel élément de construction comme une fraction. Une fraction de bâtiment doit constituer une entité apte à une utilisation autonome, même si le bâtiment dans son ensemble n’est pas achevé. Des fondations ne répondent pas à cette condition ; elles ne sont qu’une partie de l’infrastructure d’un futur bâtiment et n’ont aucune utilité propre.

Cette interprétation restrictive est essentielle pour maintenir la cohérence du système. Si de simples fondations étaient considérées comme une fraction de bâtiment, la distinction avec le terrain à bâtir perdrait une grande partie de sa substance. En effet, la plupart des terrains destinés à la construction font l’objet de travaux préparatoires avant leur vente. L’arrêt confirme donc que la notion de « terrain à bâtir » peut inclure des terrains « aménagés », comme le prévoit expressément la directive, et que cet aménagement peut aller jusqu’à la réalisation des fondations sans pour autant modifier la nature fiscale du bien.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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