Par un arrêt du 30 mars 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles une entité publique peut être qualifiée d’assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, une commune polonaise avait mis en place un projet visant à promouvoir les énergies renouvelables sur son territoire. Elle organisait, pour le compte de ses résidents propriétaires, l’installation de systèmes d’énergies renouvelables par une entreprise tierce. Ces résidents finançaient une partie de l’opération, à hauteur de vingt-cinq pour cent des coûts subventionnables, le solde étant couvert par une subvention versée à la commune par une autorité régionale. La propriété des installations était transférée aux résidents après une période de cinq ans. Saisie d’une demande de rescrit fiscal par la commune, l’administration fiscale polonaise a estimé que cette activité devait être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. Cette position a été confirmée en première instance par le tribunal administratif de voïvodie de Varsovie. La commune a alors formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême administrative, laquelle a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation de la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. La question posée était de savoir si une commune, agissant dans de telles circonstances, exerce une activité économique qui la rend redevable de cette taxe. La Cour a jugé que le fait pour une commune de fournir et d’installer des systèmes d’énergies renouvelables au profit de ses résidents, lorsque cette activité ne vise pas à obtenir des recettes permanentes et que la contribution des bénéficiaires ne couvre qu’une faible part des coûts, ne constitue pas une activité économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée.
La solution retenue par la Cour repose sur une analyse rigoureuse des critères définissant une activité économique, la distinguant d’une mission d’intérêt général (I). Cette décision clarifie ainsi le statut des personnes morales de droit public au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, offrant une sécurité juridique appréciable pour le déploiement de politiques publiques environnementales (II).
I. L’exclusion de l’initiative municipale du champ de la TVA par une application stricte de la notion d’activité économique
La Cour de justice examine l’opération au regard des conditions cumulatives de l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. Si elle admet la possible existence d’une opération à titre onéreux (A), elle conclut fermement à l’absence d’une véritable activité économique (B).
A. Le caractère incertain de la qualification d’opération à titre onéreux
Pour qu’une livraison de biens ou une prestation de services soit soumise à la TVA, elle doit être effectuée « à titre onéreux », ce qui suppose l’existence d’un lien direct entre le service rendu et la contrepartie reçue. En l’espèce, la Cour reconnaît que les éléments constitutifs d’une telle opération pourraient être réunis. La commune s’engage par contrat à fournir et installer des systèmes énergétiques, et les résidents s’acquittent en retour d’une contribution financière. Le fait que cette contribution soit inférieure au prix de revient et qu’un tiers, en l’occurrence l’autorité régionale, finance la majeure partie du coût par une subvention, n’est pas en soi de nature à rompre ce lien direct. La jurisprudence admet en effet que la contrepartie puisse provenir d’un tiers et que son montant ne soit pas nécessairement équivalent au coût du marché. La Cour constate que les résidents « deviendront, en vertu du contrat passé entre chacun d’eux et cette commune, propriétaires des [systèmes] au terme du projet et qu’ils en bénéficient dès leur installation ». Cependant, plutôt que de trancher définitivement ce point, le raisonnement des juges se déplace rapidement vers un critère plus fondamental et, en l’espèce, plus discriminant.
B. Le critère décisif de l’absence d’une activité économique
La Cour fonde principalement sa décision sur l’absence de la qualification d’activité économique au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA. Elle rappelle qu’une telle activité doit être appréciée objectivement, indépendamment de ses buts ou résultats, et se caractérise notamment par sa permanence et par la recherche de recettes. Or, plusieurs indices conduisent ici à écarter cette qualification. Premièrement, l’activité de la commune ne présente pas le caractère de permanence requis, celle-ci n’ayant pas l’intention de fournir de tels services de manière régulière. Deuxièmement, la Cour analyse la nature de la contrepartie versée par les résidents. Le fait que la commune « ne récupère, à travers les contributions qu’elle perçoit, qu’une faible partie des frais qu’elle a engagés, le solde étant financé par des fonds publics », suggère que ces paiements s’apparentent davantage à une redevance qu’à une véritable rémunération. Enfin, et surtout, les conditions d’exercice de cette activité ne correspondent pas à une logique de marché. Un opérateur économique privé ne s’engagerait pas dans une activité où les coûts ne sont structurellement pas couverts par les prix, et où il ne supporte que des risques de pertes sans aucune perspective de profit. Le modèle économique, dépendant d’une subvention publique massive, est étranger à celui qu’adopterait un installateur cherchant à pérenniser son entreprise.
II. La portée de la décision : une distinction consolidée entre gestion publique et activité de marché
En définissant précisément les contours de l’activité économique pour une personne publique, la Cour de justice consolide une jurisprudence protectrice de l’action publique (A), ce qui a pour effet de favoriser la mise en œuvre d’initiatives environnementales par les collectivités locales (B).
A. La consolidation d’une interprétation stricte de l’activité économique pour les entités publiques
Cet arrêt réaffirme avec clarté que toute activité exercée par une personne publique en contrepartie d’une somme d’argent ne constitue pas nécessairement une activité économique imposable. Il confirme que les organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, conformément à l’article 13, paragraphe 1, de la directive. La décision commentée illustre parfaitement une situation où la commune n’agit pas en concurrence avec des opérateurs privés, mais dans le cadre de ses missions d’intérêt général, ici la protection de l’environnement et l’amélioration de la qualité de vie de ses habitants. En se fondant sur un faisceau d’indices concrets, tels que l’absence de recherche de profit, le caractère non permanent de l’action et le financement majoritairement public, la Cour offre une grille d’analyse pragmatique. Elle évite ainsi que des entités publiques soient artificiellement qualifiées d’assujetties pour des opérations qui relèvent de la pure administration et non du commerce.
B. Une solution favorable à la mise en œuvre des politiques publiques environnementales
La portée pratique de cette décision est considérable. En exonérant de fait de telles opérations du champ de la TVA, la Cour lève un obstacle administratif et financier important pour les communes et autres collectivités souhaitant mettre en place des programmes subventionnés de transition énergétique. Si l’activité avait été jugée imposable, la commune aurait dû collecter la TVA sur les contributions des résidents et sur la subvention perçue, ce qui aurait complexifié le montage financier et potentiellement augmenté le coût final pour les habitants ou réduit le périmètre du projet. Cette solution apporte donc une sécurité juridique bienvenue aux pouvoirs publics qui s’engagent dans des politiques climatiques ambitieuses. Elle trace une ligne claire : tant que l’intervention publique ne vise pas à entrer sur un marché pour en tirer des recettes stables et concurrentielles, mais à poursuivre un objectif d’intérêt général dans des conditions économiques dérogatoires, elle demeure en dehors du champ de la fiscalité sur la consommation.