Par un arrêt rendu en chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’articulation entre la compétence judiciaire en matière de droits réels immobiliers et l’exclusion relative à l’état et la capacité des personnes. Cette décision a été rendue sur une question préjudicielle soulevée par une juridiction bulgare.
Un ressortissant hongrois, placé sous un régime de curatelle en Hongrie, a hérité de droits indivis sur un bien immobilier situé en Bulgarie. Souhaitant aliéner ce bien afin de subvenir à ses besoins spécifiques dans son État de résidence, il a sollicité, avec l’accord de son curateur, l’autorisation d’une juridiction bulgare. Le Sofiyski rayonen sad, saisi en première instance, a rejeté cette demande le 29 février 2012, au motif que l’acte de disposition envisagé n’était pas conforme aux intérêts du majeur protégé. Un appel a été interjeté contre cette décision devant le Sofiyski gradski sad. Cette dernière juridiction, confrontée à une incertitude quant à l’applicabilité de la règle de compétence exclusive prévue à l’article 22, point 1, du règlement (CE) n° 44/2001, a décidé de surseoir à statuer. Elle a ainsi interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si cette disposition, qui attribue une compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers aux juridictions de l’État membre de situation de l’immeuble, s’applique à une procédure gracieuse visant à obtenir l’autorisation de disposer d’un bien immobilier pour le compte d’une personne déclarée partiellement incapable. La question posée revenait donc à déterminer si une telle procédure relevait de la matière des droits réels immobiliers au sens du règlement ou si elle devait plutôt être qualifiée de procédure relative à la capacité des personnes physiques, exclue du champ d’application de ce même règlement par son article 1er, paragraphe 2, sous a).
La Cour de justice de l’Union européenne répond que le règlement n° 44/2001, et notamment son article 22, point 1, « doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à une procédure gracieuse engagée par un ressortissant d’un État membre, déclaré partiellement incapable […], en vue d’obtenir l’autorisation de vendre » un bien immobilier lui appartenant. Elle juge qu’une telle procédure relève en réalité de « la capacité des personnes physiques » au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), du règlement, une matière que ce dernier exclut expressément de son champ d’application. L’analyse de la Cour repose sur une distinction nette entre l’objet de la demande et la nature de l’actif concerné, conduisant à une exclusion justifiée du champ du règlement (I), ce qui consacre une approche protectrice centrée sur le statut personnel de l’individu (II).
I. L’exclusion justifiée de la procédure du champ d’application du règlement Bruxelles I
La Cour de justice fonde sa solution sur une interprétation stricte des règles de compétence du règlement. Elle rappelle d’abord le caractère dérogatoire de la compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers (A), avant de rattacher de manière décisive la procédure litigieuse à la capacité de la personne (B).
A. L’interprétation restrictive de la compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers
L’article 22, point 1, du règlement n° 44/2001 établit une règle de compétence exclusive en faveur des juridictions de l’État membre où se situe un immeuble pour les litiges portant sur des droits réels immobiliers. Toutefois, la Cour rappelle que cette compétence n’est pas absolue. Se référant à une jurisprudence constante, elle souligne que cette disposition « doit être interprété[e] en ce sens que la compétence exclusive des tribunaux de l’État contractant où l’immeuble est situé englobe non pas l’ensemble des actions qui concernent des droits réels immobiliers, mais seulement celles d’entre elles qui […] tendent, d’une part, à déterminer l’étendue, la consistance, la propriété, la possession d’un bien immobilier ou l’existence d’autres droits réels sur ces biens et, d’autre part, à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives qui sont attachées à leur titre ».
En l’espèce, la procédure initiée devant les juridictions bulgares ne visait nullement à contester ou à définir le droit de propriété du majeur protégé sur son bien. Ce droit était acquis et ne faisait l’objet d’aucune controverse. La demande ne portait pas sur le droit réel lui-même, mais sur l’exercice d’une prérogative attachée à ce droit, à savoir la faculté d’en disposer. Par conséquent, l’objet principal de l’instance ne correspondait pas aux critères définis par la jurisprudence pour l’application de la compétence exclusive. La Cour écarte donc logiquement cette qualification pour se concentrer sur la véritable nature de la procédure.
B. La qualification de la demande comme relevant de la capacité de la personne
Le raisonnement de la Cour s’oriente vers la finalité de l’intervention judiciaire sollicitée. L’autorisation de vendre n’est requise qu’en raison du statut spécifique de la personne concernée. C’est parce que le propriétaire a été déclaré partiellement incapable et placé sous un régime de protection qu’il ne peut accomplir seul certains actes graves comme la vente d’un bien immobilier. La procédure d’autorisation judiciaire est donc une mesure de protection, un mécanisme destiné à contrôler l’opportunité d’un acte de disposition au regard des intérêts de la personne protégée.
La Cour souligne à juste titre que « la nécessité d’obtenir une autorisation judiciaire afin de pouvoir effectuer des actes de disposition ayant pour objet des biens immobiliers appartenant à des personnes en curatelle est une conséquence directe de l’incapacité juridique dont sont frappées ces personnes ». Dès lors, l’objet de la procédure n’est pas le bien immobilier, mais bien la protection de la personne qui en est propriétaire. Cette analyse conduit la Cour à considérer que la demande relève directement de « la capacité des personnes physiques », matière explicitement exclue du champ d’application du règlement en vertu de son article 1er, paragraphe 2, sous a). Cette qualification emporte des conséquences importantes sur le régime juridique applicable.
II. La consécration d’une approche protectrice centrée sur le statut personnel
En rattachant la procédure à la capacité de la personne, la Cour de justice confirme la prévalence du statut personnel sur la nature de l’actif (A), clarifiant ainsi les règles de compétence applicables et renforçant la cohérence de la protection des majeurs incapables dans l’espace judiciaire européen (B).
A. La prévalence de l’objet de la procédure sur la nature de l’actif concerné
La Cour opère une distinction fondamentale en affirmant que le fait que la demande concerne un bien immobilier ne suffit pas à la faire entrer dans le champ de l’article 22, point 1. L’élément déterminant pour la qualification n’est pas la nature de l’actif, mais l’objet même de la procédure judiciaire. En l’occurrence, « la procédure a pour seul objet de déterminer s’il est dans l’intérêt de la personne déclarée partiellement incapable d’aliéner son bien immobilier, sans mettre en cause le droit réel en tant que tel que détient cette dernière sur ce bien ».
Cette approche téléologique est essentielle car elle assure que les questions relatives à la protection des personnes vulnérables soient traitées selon les règles et les logiques qui leur sont propres, indépendamment du patrimoine qu’elles détiennent. La Cour confirme ainsi que les exclusions prévues à l’article 1er du règlement doivent être interprétées de manière autonome et large afin de préserver les compétences nationales ou les autres instruments de droit international privé spécifiquement conçus pour régir l’état et la capacité des personnes.
B. La portée de la solution pour la protection des majeurs incapables dans l’Union
Cette décision apporte une clarification bienvenue dans le contexte de la mobilité croissante des citoyens au sein de l’Union européenne. En excluant ce type de procédure gracieuse du règlement Bruxelles I, la Cour évite de soumettre les mesures de protection des majeurs à un régime de compétence qui n’a pas été conçu pour elles. Cela permet de préserver la cohérence avec d’autres instruments, notamment la Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes, qui prévoit des règles de compétence spécifiques fondées principalement sur la résidence habituelle de l’adulte à protéger.
La solution retenue assure ainsi une meilleure articulation entre les différents instruments juridiques et garantit que les décisions relatives à la protection d’une personne incapable soient prises par des juridictions spécialisées, selon des critères axés sur l’intérêt de la personne. La décision contribue à la sécurité juridique en délimitant clairement le champ d’application du règlement Bruxelles I et en réaffirmant que la protection de la personne prime sur la nature patrimoniale de l’acte envisagé.