En matière de taxe sur la valeur ajoutée, une décision de la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’exercice du droit à déduction dans le cadre d’une opération immobilière complexe. En l’espèce, une société avait acquis un terrain sur lequel se trouvaient des bâtiments. Son projet consistait à démolir ces constructions pour réaliser un lotissement sur la parcelle ainsi libérée. L’administration fiscale nationale a remis en cause la déduction de la taxe ayant grevé l’acquisition des bâtiments, au motif que ceux-ci n’avaient pas été utilisés pour les besoins d’opérations taxées mais avaient été détruits. La juridiction nationale saisie du litige a alors adressé une question préjudicielle à la Cour de justice, afin de déterminer si le droit à déduction pouvait être exercé dans de telles circonstances et si la démolition entraînait une obligation de régularisation de la taxe initialement déduite. Le problème de droit soulevé portait donc sur l’articulation entre le droit à déduction de la taxe d’amont et la finalité économique d’une opération de démolition suivie d’une construction. La Cour a jugé que le droit à déduction était ouvert pour l’acquisition des bâtiments, même destinés à la démolition, et que cette destruction ne constituait pas un événement emportant obligation de régularisation. La solution clarifie ainsi l’application du principe de neutralité de la taxe à des projets de transformation foncière.
I. La consécration d’une conception économique du droit à déduction
La Cour de justice adopte une approche large du droit à déduction, fondée sur l’intention économique de l’opérateur, en permettant son exercice pour un bien destiné à être détruit (A) et en le justifiant par son intégration dans une opération économique globale taxée (B).
A. L’extension du droit à déduction à un bien destiné à la démolition
La décision énonce clairement que, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, « une société ayant acquis un terrain et des bâtiments construits sur ce dernier, en vue de la démolition de ceux-ci et de la réalisation d’un lotissement sur ce terrain, a le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée relative à l’acquisition desdits bâtiments ». Cette solution peut paraître contraire à une lecture littérale des textes, qui lie la déduction à l’utilisation du bien pour des opérations taxées. Or, un bâtiment voué à la démolition n’est, par définition, pas utilisé en tant que tel.
Toutefois, la Cour retient une interprétation finaliste. Elle ne considère pas l’acquisition du bâtiment comme une fin en soi, mais comme une étape nécessaire à la réalisation d’un projet plus vaste, celui du lotissement. Le coût d’acquisition des bâtiments, et donc la taxe y afférente, constitue un des éléments du prix de revient de l’opération économique en aval, qui est elle-même soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. L’analyse ne se porte donc pas sur l’usage physique de l’actif mais sur son rôle dans la chaîne de valeur de l’assujetti, ce qui permet de maintenir la logique du mécanisme de déduction.
B. La justification par le lien direct et immédiat avec l’activité économique future
L’approche de la Cour repose sur le principe fondamental de la neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée. Ce principe exige qu’un assujetti soit entièrement déchargé du poids de la taxe supportée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Pour que le droit à déduction soit ouvert, il doit exister un lien direct et immédiat entre une opération d’amont et une ou plusieurs opérations de sortie ouvrant droit à déduction.
Dans le cas présent, la Cour estime que ce lien existe. Les frais liés à l’acquisition des bâtiments font partie des frais généraux de l’assujetti et sont, en tant que tels, un élément constitutif du prix des opérations taxées que sont les ventes des lots du futur lotissement. Le fait que les bâtiments aient été détruits est indifférent dès lors que leur acquisition était indispensable à la réalisation de l’opération économique finale. La Cour confirme ainsi que le lien s’apprécie au regard de l’ensemble du projet économique envisagé par l’opérateur, et non de la seule affectation matérielle et isolée de chaque bien acquis.
La Cour de justice ayant ainsi affirmé l’existence du droit à déduction initial, il lui restait à déterminer si la démolition effective des biens pouvait remettre en cause cet avantage fiscal.
II. Le rejet de l’obligation de régularisation consécutive à la démolition
La Cour écarte l’obligation de régulariser la taxe initialement déduite, en considérant que la démolition ne constitue pas un changement d’affectation (A), ce qui a pour effet de sécuriser juridiquement les opérations complexes de promotion immobilière (B).
A. L’absence d’un changement d’affectation au sens du régime des régularisations
La seconde partie du raisonnement de la Cour porte sur l’article 185 de la directive. Cet article prévoit une obligation de régularisation de la déduction initiale, notamment lorsque des modifications interviennent dans les éléments pris en compte pour déterminer le montant de la déduction. La Cour juge que « la démolition de bâtiments, acquis avec le terrain sur lequel ils ont été construits, effectuée en vue de la réalisation d’un lotissement en lieu et place de ces bâtiments, n’entraîne pas une obligation de régulariser la déduction initialement opérée ».
Cette analyse découle logiquement de la première partie de la décision. Si le droit à déduction a été valablement exercé en considération du projet global de lotissement, la démolition ne constitue pas une rupture ou une modification de cette affectation initiale. Au contraire, elle en est l’exacte exécution. La destruction des bâtiments n’est pas un événement imprévu qui viendrait altérer les conditions de la déduction, mais l’accomplissement même de l’intention qui la justifiait. Il n’y a donc pas de changement dans les éléments déterminants du droit à déduction qui imposerait une correction de la taxe déduite.
B. La sécurisation des opérations de restructuration foncière
La portée de cette décision est significative pour les opérateurs du secteur immobilier. Les projets de démolition-reconstruction sont courants et essentiels au renouvellement du parc immobilier et à la densification urbaine. En validant le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant l’acquisition de biens voués à la démolition, la Cour lève une incertitude fiscale majeure. Elle évite que le coût de ces opérations ne soit alourdi par une taxe non récupérable, ce qui pourrait freiner de tels investissements.
En écartant également le risque d’une régularisation ultérieure, la Cour offre une prévisibilité et une sécurité juridiques accrues aux promoteurs et lotisseurs. La solution garantit que la neutralité de la taxe est pleinement respectée pour des schémas économiques complexes, mais cohérents. Elle confirme une vision pragmatique du système de la taxe sur la valeur ajoutée, où l’intention économique et la réalité de l’opération globale priment sur une analyse statique de l’utilisation de chaque bien.