Par un arrêt du 23 janvier 2025, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant en troisième chambre, s’est prononcée sur des questions procédurales relatives à l’articulation des voies de recours ainsi que sur l’interprétation d’une clause d’assurance. En l’espèce, une institution européenne avait souscrit un contrat d’assurance « Tous risques chantier » auprès d’un consortium d’assureurs pour la construction d’un de ses bâtiments. À la suite de fortes précipitations, d’importants dégâts des eaux sont survenus dans les sous-sols du chantier, affectant des équipements techniques déjà installés. Les assureurs ont refusé leur garantie en invoquant une clause du contrat excluant les dommages liés à une « inondation ». L’institution européenne a alors saisi le Tribunal de l’Union européenne en vertu d’une clause compromissoire. Le Tribunal a rendu une décision mixte : il a condamné par défaut l’un des assureurs qui n’avait pas présenté de mémoire en défense, mais a rejeté le recours contre les autres coassureurs au motif que le sinistre constituait bien une « inondation » au sens de la clause d’exclusion. L’institution européenne a formé un pourvoi principal devant la Cour de justice contre la partie de l’arrêt qui lui était défavorable. Parallèlement, l’assureur condamné par défaut a, d’une part, formé opposition à l’arrêt par défaut devant le Tribunal et, d’autre part, introduit un pourvoi incident devant la Cour de justice. Se posaient alors à la Cour de justice plusieurs questions de droit. D’abord, sur le plan procédural, un pourvoi principal est-il recevable contre la partie contradictoire d’un arrêt lorsque la partie rendue par défaut de ce même arrêt fait l’objet d’une procédure d’opposition pendante ? Ensuite, un pourvoi incident formé par une partie défaillante est-il recevable alors que cette même partie a également introduit une opposition ? Enfin, sur le fond, le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en interprétant de manière large une clause d’exclusion de garantie contenue dans un contrat d’assurance ? À ces questions, la Cour de justice a répondu que le pourvoi principal était recevable, mais que le pourvoi incident ne l’était pas. Sur le fond, elle a validé l’interprétation du Tribunal et rejeté le pourvoi principal. La décision apporte ainsi des clarifications utiles tant sur la recevabilité des voies de recours en cas de jugement partiellement rendu par défaut que sur les méthodes d’interprétation contractuelle.
L’apport de cet arrêt se situe à deux niveaux distincts. D’une part, il précise les règles de recevabilité des pourvois dans une configuration procédurale complexe, en distinguant clairement le sort des différentes parties du litige (I). D’autre part, il confirme une approche pragmatique de l’interprétation des contrats, privilégiant la volonté des parties et le sens commun des termes sur une application rigide de principes généraux (II).
I. LA CLARIFICATION DE L’ARTICULATION ENTRE LES VOIES DE RECOURS DE L’APPEL ET DE L’OPPOSITION
La Cour de justice se prononce de manière distincte sur la recevabilité du pourvoi principal et sur celle du pourvoi incident, appliquant une logique rigoureuse qui préserve à la fois le droit au recours et la cohérence de l’ordre juridique. Elle admet ainsi la recevabilité du pourvoi visant la partie contradictoire de la décision (A), tout en rejetant logiquement celui qui est concurrent à une procédure d’opposition (B).
A. L’admission du pourvoi principal visant la partie contradictoire de l’arrêt
La Cour juge que le pourvoi formé par l’institution européenne contre les points du dispositif de l’arrêt du Tribunal qui la déboutaient face aux assureurs ayant participé à la procédure est recevable. Elle fonde son raisonnement sur une lecture littérale et finaliste de l’article 56 du Statut de la Cour, qui ouvre le pourvoi contre les décisions « mettant fin à l’instance ». Pour la Cour, la partie de l’arrêt rendue à la suite d’un débat contradictoire est définitive à l’égard des parties concernées et met bien fin à l’instance pour elles. Le fait qu’une autre partie du même arrêt, rendue par défaut contre un autre défendeur, soit susceptible d’opposition n’y change rien. La Cour souligne que « le recours en opposition n’est ouvert qu’à celle-ci, contre les seuls points du dispositif de cet arrêt qui la concernent ». Cette dissociation des sorts des différentes parties au sein d’une même décision est une solution pragmatique qui évite de paralyser l’exercice des voies de recours pour les parties diligentes. Elle garantit le droit à un recours effectif en permettant à une partie qui a succombé dans le cadre d’un débat contradictoire de contester la décision sans avoir à attendre l’issue, potentiellement longue et incertaine, de la procédure d’opposition concernant un codéfendeur. Cette solution renforce la sécurité juridique en ne liant pas le sort d’un recours à des procédures qui ne le concernent pas directement.
B. L’irrecevabilité du pourvoi incident concurrent à une procédure d’opposition
À l’inverse, la Cour de justice déclare irrecevable le pourvoi incident formé par l’assureur défaillant. Le raisonnement est le corollaire de celui tenu pour le pourvoi principal. La Cour rappelle sa jurisprudence constante, notamment l’arrêt *Eulex Kosovo/SC*, selon laquelle une procédure d’opposition a pour effet de rouvrir l’instance devant le Tribunal. Par conséquent, la décision rendue par défaut ne peut être considérée comme « ayant mis fin à l’instance » au sens de l’article 56 du statut de la Cour. La Cour affirme que « l’exercice d’un recours en opposition par la partie défaillante devant le Tribunal, dès lors qu’il a pour effet de rouvrir l’instance devant celui‑ci, implique que l’arrêt rendu par défaut contre lequel a été formé un tel recours ne peut être regardé comme ayant mis fin à l’instance ». Le pourvoi incident, qui présuppose une décision définitive, est donc prématuré et irrecevable. Cette solution est dictée par un impératif de bonne administration de la justice et de cohérence procédurale. Elle évite le risque de décisions contradictoires qui pourraient naître de la conduite de procédures parallèles devant le Tribunal (sur l’opposition) et la Cour de justice (sur le pourvoi) portant sur les mêmes points du litige. La Cour confirme ainsi que l’opposition est la voie de recours première et exclusive pour une partie défaillante souhaitant contester le jugement rendu à son encontre.
II. LA CONFIRMATION D’UNE INTERPRÉTATION EXTENSIVE D’UNE CLAUSE CONTRACTUELLE D’EXCLUSION
Après avoir tranché les questions de procédure, la Cour examine le fond du pourvoi principal et valide l’approche du Tribunal concernant l’interprétation de la clause d’exclusion. Elle écarte l’idée d’une interprétation nécessairement stricte des clauses d’exclusion (A) pour privilégier une définition fondée sur le sens courant des termes, révélatrice de l’intention des parties (B).
A. Le rejet du principe d’interprétation stricte des clauses d’exclusion de garantie
L’institution européenne soutenait que le Tribunal aurait dû interpréter de manière stricte la clause excluant la garantie pour les « inondations », au motif qu’il s’agirait d’une dérogation au principe de couverture d’une police « Tous risques ». La Cour de justice rejette cet argument en refusant de qualifier les clauses d’exclusion de « dérogations ». Elle juge que ces clauses participent à la définition même du périmètre de la garantie et de l’étendue des risques couverts, laquelle est déterminée par la volonté concordante des parties. La Cour précise que de telles clauses « ne sauraient être qualifiées de “dérogations” qui devraient prétendument, à ce titre, être soumises à un principe d’interprétation stricte, puisqu’aucun principe de couverture intégrale des risques n’a été dégagé ni du contrat trc, nonobstant sa dénomination, ni d’une disposition du droit de l’Union ». Cette position met l’accent sur l’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle. Plutôt que d’appliquer un principe général protecteur de l’assuré, la Cour se concentre sur ce qui a été convenu. Cette approche est d’autant plus justifiée que les parties, en l’occurrence une institution européenne et un consortium d’assureurs, sont des opérateurs avertis, capables de négocier et de comprendre la portée des clauses qu’ils signent.
B. La validation d’une définition de l’« inondation » fondée sur le sens courant
Le Tribunal avait retenu une définition large du terme « inondation », non défini au contrat, en se référant à son sens commun dans des dictionnaires, soit une submersion de terrain par l’eau. Il avait jugé que l’origine du phénomène importait peu et que l’accumulation massive d’eaux pluviales dans les sous-sols d’un bâtiment en relevait. La Cour de justice valide entièrement cette démarche. Elle approuve le Tribunal d’avoir considéré qu’« un phénomène de précipitations abondantes, qui a entraîné une accumulation d’eaux pluviales comme celle ayant submergé les niveaux ‑ 4 et ‑ 5 du bâtiment kad, est couvert par le terme “inondation” employé à l’article i.15.1.1 du contrat trc ». En l’absence de définition contractuelle spécifique, le recours au sens usuel d’un terme est une méthode d’interprétation classique et raisonnable. La Cour confirme ainsi que l’interprétation des clauses d’un contrat relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, et que son contrôle en cassation se limite à l’erreur de droit et à la dénaturation. En l’espèce, le raisonnement du Tribunal n’était entaché d’aucune erreur. Cette solution renforce la prévisibilité pour les parties contractantes : sauf à ce qu’elles en décident autrement en définissant précisément les termes qu’elles emploient, c’est leur signification ordinaire qui prévaudra en cas de litige.