Par un arrêt du 22 septembre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision préjudicielle clarifiant la portée des obligations en matière d’évaluation environnementale des plans d’aménagement du territoire. En l’espèce, des autorités publiques lituaniennes avaient approuvé des plans détaillés pour la construction de deux complexes d’élevage porcin de grande capacité. Des particuliers et des associations de protection de l’environnement ont contesté la légalité de ces plans, arguant qu’une évaluation environnementale stratégique aurait dû être menée avant leur adoption. La juridiction de première instance a rejeté leur demande, estimant qu’une disposition nationale exemptait de cette évaluation les plans ne visant qu’un seul objet d’activité économique, et que seule une évaluation de l’impact du projet, distincte, était requise. Saisie du litige en appel, la Cour administrative suprême de Lituanie a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur la conformité de cette exemption nationale avec la directive 2001/42/CE. La question se posait de savoir si un État membre pouvait écarter par principe l’évaluation stratégique pour une catégorie entière de plans locaux, et si l’évaluation réalisée au titre de la directive sur les projets pouvait se substituer à celle prévue par la directive sur les plans et programmes. La Cour a jugé qu’une telle exclusion générale contrevenait au droit de l’Union et a réaffirmé le caractère en principe cumulatif des deux régimes d’évaluation.
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I. Le renforcement de l’obligation d’évaluation environnementale des plans locaux
La Cour de justice encadre strictement la marge d’appréciation des États membres dans la transposition de la directive 2001/42/CE, en rejetant la validité d’une exemption générale fondée sur un critère formel (A) et en réaffirmant la primauté de l’analyse concrète des incidences environnementales (B).
A. Le rejet d’une exemption catégorielle non justifiée par l’absence d’incidences
La Cour de justice précise les limites de la faculté reconnue aux États membres par l’article 3, paragraphe 5, de la directive 2001/42 de déterminer les types de plans susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement. Elle estime qu’un État membre « qui fixerait un critère ayant comme conséquence que, en pratique, la totalité d’une catégorie de plans serait d’avance soustraite à une évaluation environnementale outrepasserait la marge d’appréciation dont il dispose ». Une telle exclusion générale ne serait admissible qu’à la condition que la totalité des plans concernés ne soit, par nature, pas susceptible d’engendrer des incidences notables. Le simple fait qu’un plan d’aménagement local ne vise qu’un seul objet d’activité économique ne saurait constituer une justification suffisante pour une telle exemption générale. Ce faisant, la Cour s’oppose à une interprétation qui viderait la directive de son effet utile en permettant aux législations nationales de créer des brèches importantes dans le champ d’application de l’évaluation stratégique.
B. La primauté du critère matériel des incidences notables
La décision souligne que le seul critère pertinent pour déterminer la nécessité d’une évaluation est celui des « incidences notables sur l’environnement ». La Cour juge explicitement que le critère tiré de l’objet unique d’un plan « n’est pas de nature à permettre d’apprécier si un plan a ou non des incidences notables sur l’environnement ». Cette approche confirme que l’analyse doit porter sur les conséquences matérielles du plan sur son environnement, en tenant compte de ses caractéristiques, de son ampleur et de la sensibilité de la zone concernée, conformément à l’annexe II de la directive. En écartant un critère purement formel et sans lien avec l’impact environnemental potentiel, la Cour garantit que des plans, même limités à une seule activité, mais de grande envergure ou situés dans des zones sensibles, fassent l’objet de l’examen requis. Cette solution prévient les risques de contournement de la directive par un saucissonnage des projets au sein de plans distincts.
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L’affirmation de la nécessité d’une évaluation effective des plans conduit la Cour à clarifier son articulation avec l’évaluation des projets qui en découlent, consacrant une logique de complémentarité plutôt que de substitution.
II. La clarification de l’articulation entre l’évaluation des plans et celle des projets
La Cour établit une distinction de principe entre les deux régimes d’évaluation (A), tout en ménageant la possibilité pour les États membres de mettre en place des procédures intégrées sous des conditions strictes (B).
A. Le principe de l’autonomie et du cumul des évaluations
La Cour de justice rappelle que les procédures d’évaluation prévues par la directive 2001/42 sur les plans et par la directive 85/337 sur les projets sont autonomes et répondent à des finalités distinctes. Elle énonce ainsi qu’une évaluation menée au titre de la seconde « ne dispense pas de l’obligation de procéder à une telle évaluation en vertu de la directive 2001/42 ». L’évaluation stratégique des plans intervient en amont, au stade de la planification, pour intégrer les considérations environnementales dans la définition du cadre qui autorisera les futurs projets. L’évaluation des projets, quant à elle, se concentre sur les impacts spécifiques d’une réalisation particulière. La Cour juge donc que ces deux évaluations sont en principe cumulatives, afin d’assurer une protection de l’environnement à chaque étape décisionnelle, de la stratégie à la mise en œuvre. Cette interprétation garantit que l’analyse environnementale ne soit pas reportée à un stade où les choix structurants ont déjà été opérés.
B. Le caractère facultatif et conditionné des procédures coordonnées
Si elle pose le principe du cumul, la Cour n’ignore pas le risque de double emploi et la faculté offerte par l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2001/42. Elle précise cependant que les États membres « n’oblige pas […] à prévoir, dans leur ordre juridique interne, des procédures coordonnées ou communes ». L’instauration d’un tel mécanisme est une simple faculté laissée à l’appréciation des États. Toutefois, si un État membre choisit cette voie, il ne peut se dispenser d’une évaluation au titre de la directive sur les plans que si la procédure unique mise en place « couvre déjà toutes les exigences de la directive 2001/42 ». Il appartient alors à la juridiction nationale de vérifier au cas par cas si l’évaluation unique réalisée satisfait de manière exhaustive aux impératifs des deux directives. La Cour encadre donc strictement cette possibilité d’intégration, qui ne saurait servir de prétexte à une évaluation au rabais.