Cour de justice de l’Union européenne, le 17 décembre 2015, n°C-605/14

Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne vient clarifier l’application de la règle de compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers, prévue par le règlement (CE) n° 44/2001. La décision traite de la question de savoir si une action visant à la dissolution d’une copropriété indivise sur un immeuble par le biais d’une vente judiciaire relève de la compétence des tribunaux de l’État membre où se situe ledit immeuble.

Les faits à l’origine du litige concernent plusieurs personnes résidant en Finlande, copropriétaires de deux biens immobiliers situés en Espagne. En l’absence d’accord amiable pour mettre fin à l’indivision, certaines des parties ont saisi une juridiction finlandaise, le tribunal de première instance de la Savonie méridionale, afin d’obtenir la désignation d’un mandataire pour procéder à la vente des immeubles. Les autres copropriétaires ont soulevé l’incompétence de la juridiction finlandaise, arguant que l’article 22, point 1, du règlement précité attribuait une compétence exclusive aux juridictions espagnoles. Le tribunal de première instance s’est néanmoins déclaré compétent et a ordonné la vente le 9 octobre 2012. Sur appel, la cour d’appel de Finlande orientale a infirmé cette décision le 7 mai 2013, jugeant que l’action relevait bien de la compétence exclusive des tribunaux espagnols. Saisie d’un pourvoi, la Cour suprême de Finlande, confrontée à une incertitude quant à l’interprétation de la règle de compétence, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Le problème de droit soumis à la Cour était donc de déterminer si une action en dissolution d’une copropriété indivise sur un bien immeuble, par le moyen d’une vente confiée à un mandataire, constitue un litige « en matière de droits réels immobiliers » au sens de l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement n° 44/2001.

À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge qu’une telle action relève bien de la catégorie des litiges en matière de droits réels immobiliers et, par conséquent, de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé. La Cour énonce que l’action « concerne des droits réels produisant leurs effets à l’égard de tous et constitue une action tendant à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives attachées à leur titre ».

Cette solution repose sur une interprétation finaliste et pragmatique de la règle de compétence exclusive, qui vient renforcer la sécurité juridique dans les litiges immobiliers transfrontaliers. Il convient d’analyser la qualification de l’action en partage comme un litige portant sur un droit réel immobilier (I), avant d’examiner la justification de cette compétence exclusive au regard des impératifs d’une bonne administration de la justice (II).

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**I. La qualification de l’action en partage comme un litige en matière de droits réels immobiliers**

La Cour fonde sa décision sur une analyse classique de la notion de droit réel, tout en rappelant que la compétence exclusive, dérogatoire au principe de la compétence du for du défendeur, doit être interprétée de manière stricte (A). C’est en appliquant le critère de l’opposabilité à tous que la Cour rattache l’action en dissolution de la copropriété à la catégorie des droits réels (B).

**A. Le rappel des critères d’interprétation stricte de la compétence exclusive**

La Cour de justice commence son raisonnement en rappelant avec constance que les règles de compétence exclusive, telles que celles de l’article 22 du règlement n° 44/2001, « ne doivent pas être interprétées dans un sens plus étendu que ne le requiert leur objectif ». Cette approche restrictive est justifiée par le fait que ces règles privent les parties du choix du for et peuvent les attraire devant une juridiction qui n’est celle du domicile d’aucune d’entre elles. L’objectif fondamental de la compétence exclusive du *forum rei sitae* est la proximité de la juridiction avec le litige, le juge du lieu de situation de l’immeuble étant considéré comme le mieux placé pour connaître les faits et appliquer les règles locales.

Cependant, cette compétence n’englobe pas toutes les actions qui ont un lien avec un droit réel immobilier. La jurisprudence constante, rappelée dans la décision, limite cette compétence aux seules actions qui tendent « à déterminer l’étendue, la consistance, la propriété, la possession d’un bien immobilier ou l’existence d’autres droits réels sur ces biens et, d’autre part, à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives qui sont attachées à leur titre ». Une action qui ne porte que sur un droit personnel, même en lien avec un immeuble, échappe donc à cette compétence exclusive.

**B. L’application du critère de l’opposabilité erga omnes au droit de propriété indivis**

Pour déterminer si l’action en dissolution de la copropriété est de nature réelle ou personnelle, la Cour se réfère à la distinction fondamentale entre ces deux types de droits. Elle rappelle que « le premier, grevant un bien corporel, produit ses effets à l’égard de tous, alors que le second ne peut être invoqué que contre le débiteur ». Or, une demande de dissolution d’une copropriété, qui vise à mettre fin à un état d’indivision sur un bien immeuble, a pour finalité de modifier la structure même du droit de propriété. La vente qui en découle aboutit à un transfert de propriété, un droit réel par excellence.

La Cour souligne ainsi que cette action affecte directement le droit de propriété des co-indivisaires et que la solution du litige sera opposable à tous, y compris aux tiers qui pourraient acquérir le bien. En ce sens, l’action ne se limite pas à régler un rapport d’obligation entre les copropriétaires, mais organise le sort même du bien. C’est pourquoi elle est qualifiée d’action tendant à assurer la protection des prérogatives attachées au titre de propriétaire, justifiant son rattachement à la matière des droits réels immobiliers.

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**II. La justification de la compétence exclusive du for de situation de l’immeuble**

La décision de la Cour ne se contente pas d’une qualification technique ; elle la justifie par des considérations pragmatiques liées à l’efficacité de la justice (A), ce qui confère à cette solution une portée significative pour la gestion des litiges de copropriété dans l’espace judiciaire européen (B).

**A. Le pragmatisme de la solution au regard des impératifs de bonne administration de la justice**

La Cour met en avant les « considérations de bonne administration de la justice » qui sous-tendent la règle de compétence exclusive. Attribuer le litige au juge du lieu de situation de l’immeuble est la solution la plus rationnelle. Ce juge est le mieux placé pour appréhender les circonstances de fait et de droit spécifiques au bien. Dans le cas d’espèce, la Cour relève que les droits de propriété et les droits d’usage grevant les immeubles étaient inscrits au registre foncier espagnol.

De plus, les procédures de vente, notamment aux enchères, sont régies par le droit de l’État de situation. La proximité géographique facilite également l’administration de la preuve, notamment si des vérifications, des enquêtes ou des expertises sur place sont nécessaires. Par exemple, si le droit applicable imposait d’évaluer la possibilité d’un partage en nature avant d’ordonner la vente, une telle expertise serait menée plus efficacement par la juridiction locale. Cette argumentation ancre la solution dans une logique de proximité et d’efficacité judiciaire, qui est la raison d’être même du *forum rei sitae*.

**B. La portée de la décision pour les litiges transfrontaliers de copropriété**

En jugeant qu’une action en dissolution d’une copropriété relève de la compétence exclusive du lieu de situation de l’immeuble, la Cour de justice apporte une clarification bienvenue et renforce la sécurité juridique. Les citoyens de l’Union qui investissent dans l’immobilier dans un autre État membre savent désormais que tout litige relatif à la fin de l’indivision devra être porté devant les tribunaux de cet État. Cette solution prévient les conflits de compétence et le risque de décisions contradictoires qui pourraient naître si les juridictions de plusieurs États membres pouvaient être saisies.

La Cour distingue cette affaire d’autres situations, comme celle de l’arrêt *Lieber*, qui concernait une demande d’indemnisation pour la jouissance d’une habitation et qui relevait d’un droit personnel. Ici, l’enjeu est bien le sort du droit de propriété lui-même, ce qui justifie une solution différente. La décision établit ainsi une ligne directrice claire pour les praticiens du droit et les justiciables, assurant une plus grande prévisibilité dans la résolution des contentieux immobiliers transfrontaliers au sein de l’Union européenne.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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