Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’interprétation de la directive 2008/48/CE relative aux contrats de crédit à la consommation.
En l’espèce, un établissement de crédit avait conclu avec des consommateurs, avant l’entrée en vigueur de la loi nationale de transposition de la directive, plusieurs contrats de crédit garantis par une hypothèque. Ces contrats prévoyaient une « commission de risque » calculée sur le solde du crédit. Après l’entrée en vigueur de la législation nationale, l’établissement bancaire a tenté d’aligner ces contrats en renommant cette commission en « commission de gestion de crédit », un type de commission autorisé par la nouvelle loi, mais en conservant son montant. L’autorité nationale de protection des consommateurs a estimé que la perception continue de cette commission était illégale et a infligé une sanction à l’établissement.
L’établissement de crédit a contesté cette sanction devant une juridiction nationale. Il soutenait que la loi de transposition était en plusieurs points contraire à la directive 2008/48 qu’elle était censée transposer. Notamment, la loi étendait son application à des contrats exclus du champ de la directive, comme les crédits immobiliers. Elle imposait une liste limitative des commissions perceptibles, ce qui, selon la banque, entravait la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux. La juridiction nationale, confrontée à cette difficulté d’interprétation, a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Il était demandé à la Cour de déterminer la marge de manœuvre dont dispose un État membre lorsqu’il transpose une directive d’harmonisation totale, en particulier s’il peut étendre son champ d’application, l’appliquer à des contrats en cours et imposer des contraintes non prévues par le texte européen.
La Cour répond que les États membres disposent d’une latitude significative pour étendre les protections de la directive à des domaines non couverts par celle-ci. Elle juge qu’un État peut appliquer les dispositions de la directive à des contrats de crédit exclus de son champ matériel, tels que les crédits garantis par un bien immobilier, et à des contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi de transposition. Elle valide également la possibilité pour un État d’établir des règles plus strictes non prévues par la directive, comme une liste limitative des commissions, dans les matières que celle-ci n’harmonise pas de façon exhaustive.
La Cour de justice précise ainsi l’articulation entre l’harmonisation totale et la marge d’appréciation étatique (I), avant de confirmer la compatibilité des mesures nationales avec les libertés fondamentales et les exigences procédurales du droit de l’Union (II).
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I. La clarification de la marge d’appréciation nationale dans la transposition de la directive
La Cour reconnaît aux États membres la faculté d’étendre le périmètre de la protection offerte par la directive au-delà de son champ d’application strict (A), tout en leur permettant d’instaurer des obligations substantielles non prévues par le texte européen (B).
A. L’extension autorisée du champ d’application matériel et temporel
La Cour de justice rappelle d’abord que la directive 2008/48 opère une harmonisation complète et impérative dans les domaines qu’elle régit. Toutefois, elle souligne que cette harmonisation ne prive pas les États membres de leur compétence pour légiférer dans les domaines non couverts. Se fondant notamment sur le considérant 10 de la directive, la Cour énonce que « les États membres peuvent, conformément au droit de l’Union, appliquer des dispositions de cette directive à des domaines qui ne relèvent pas de son champ d’application ». En conséquence, l’extension par une loi nationale du régime de protection aux contrats de crédit garantis par un bien immobilier, bien qu’ils soient expressément exclus du champ matériel de la directive par son article 2, paragraphe 2, sous a), n’est pas contraire au droit de l’Union. Un État membre est donc libre d’offrir un niveau de protection plus élevé en soumettant de tels contrats aux mêmes règles que celles prévues par la directive.
Cette même logique est appliquée à la question de l’application de la loi dans le temps. L’article 30, paragraphe 1, de la directive dispose qu’elle ne s’applique pas aux contrats de crédit en cours à la date d’entrée en vigueur des mesures nationales de transposition. Cependant, la Cour juge que cette disposition ne régit que les contrats relevant du champ d’application de la directive. Pour les contrats exclus de ce champ, comme les crédits immobiliers en cause, les États membres restent libres de définir les modalités transitoires. Ainsi, un État peut tout à fait décider d’appliquer sa législation de transposition aux contrats en cours, même si la directive ne l’exige pas. La Cour conclut que l’article 30, paragraphe 1, « ne s’oppose pas à ce qu’une mesure nationale […] s’applique également à des contrats de crédit […] qui sont exclus du champ d’application matériel de cette directive et qui étaient en cours à la date d’entrée en vigueur de ladite mesure nationale ».
B. La faculté d’imposer des obligations substantielles non prévues par la directive
La juridiction de renvoi s’interrogeait ensuite sur la compatibilité avec la directive d’une législation nationale qui limite de manière exhaustive les types de commissions que les prêteurs peuvent percevoir. L’établissement de crédit soutenait qu’une telle mesure allait au-delà des exigences de la directive, qui se concentrent sur l’information du consommateur plutôt que sur la substance des frais contractuels. La Cour opère une distinction claire entre les domaines harmonisés et ceux qui ne le sont pas. Elle constate que si la directive impose des obligations d’information détaillées sur le coût total du crédit, y compris les commissions, elle « ne comporte pas de règles de fond relatives aux types de commissions pouvant être perçues par le prêteur ».
Dès lors, la matière des commissions autorisées ne relève pas du champ de l’harmonisation complète. Les États membres conservent la liberté d’adopter des mesures de protection des consommateurs plus strictes. La Cour estime qu’une règle nationale comme celle en cause, qui établit une liste limitative des commissions, est une mesure de protection des consommateurs dans un domaine non harmonisé. Une telle règle n’est pas de nature à « affecter l’équilibre sur lequel se fonde cette directive ». Par conséquent, l’article 22, paragraphe 1, de la directive ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose des obligations non prévues par celle-ci concernant les types de commissions bancaires, que ce soit pour les contrats relevant du champ d’application de la directive ou pour ceux auxquels l’État a étendu ce régime.
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II. La validation des dispositions nationales au regard des principes fondamentaux de l’Union
Après avoir établi la marge de manœuvre des États, la Cour examine la conformité de la législation nationale avec la libre prestation de services (A) et avec les exigences procédurales relatives au règlement des litiges (B).
A. L’absence d’entrave à la libre prestation des services
L’établissement de crédit arguait que l’interdiction de percevoir des commissions non listées par la loi nationale constituait une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE. La Cour procède à une analyse en deux temps. Elle rappelle qu’une mesure nationale qui rend moins attrayant l’exercice d’une liberté fondamentale peut constituer une restriction. Toutefois, une réglementation qui s’applique indistinctement à tous les opérateurs économiques agissant sur le territoire d’un État membre ne constitue pas une restriction du seul fait que d’autres États appliquent des règles moins strictes. Une restriction n’est caractérisée que si la mesure affecte l’accès au marché pour les opérateurs des autres États membres.
En l’espèce, la Cour observe que la réglementation nationale, bien qu’elle limite les types de commissions, n’impose aucune contrainte sur leur montant ni sur les taux d’intérêt. Elle ne nécessite donc pas pour un établissement étranger de revoir entièrement son modèle économique pour accéder au marché national. La Cour considère que cette disposition « n’entraîne pas, par elle-même, une charge supplémentaire pour les établissements de crédit établis dans d’autres États membres ». Son incidence sur le commerce intracommunautaire est jugée « trop aléatoire et indirecte » pour être qualifiée d’entrave. La Cour en conclut que les règles du traité en matière de libre prestation de services ne s’opposent pas à une telle disposition nationale.
B. La conformité du mécanisme de sanction aux exigences de la directive
Enfin, la Cour était interrogée sur la compatibilité avec l’article 24, paragraphe 1, de la directive d’une procédure nationale permettant au consommateur de saisir directement une autorité de protection des consommateurs habilitée à infliger des sanctions, sans recours préalable obligatoire à une procédure de règlement extrajudiciaire des litiges. Cet article impose aux États membres de garantir l’existence de procédures « adéquates et efficaces » de résolution extrajudiciaire des litiges. La Cour interprète cette disposition comme laissant une large marge d’appréciation aux États pour en définir les modalités.
Elle reconnaît qu’une procédure de conciliation préalable obligatoire pourrait renforcer l’effet utile de la directive. Néanmoins, elle affirme qu’il ne résulte ni du libellé ni de la finalité de l’article 24 que cette obligation soit requise. Permettre un accès direct des consommateurs aux organes de protection de leurs intérêts est conforme à l’objectif de la directive, compte tenu de la position d’infériorité dans laquelle se trouvent généralement les consommateurs. La possibilité pour une autorité d’infliger une amende ne rend pas, en soi, les procédures de résolution extrajudiciaire existantes inadéquates ou inefficaces. La Cour conclut donc que la directive ne s’oppose pas à une règle nationale qui autorise la saisine directe d’une autorité de protection des consommateurs sans étape préalable de médiation.