Cour d’appel administrative de Versailles, le 12 février 2025, n°24VE00186

Par un arrêt en date du 12 février 2025, la cour administrative d’appel de Versailles a précisé les conditions d’appréciation de l’intérêt à agir d’un voisin immédiat contre un permis de construire, ainsi que la portée d’une annulation contentieuse lorsque le vice constaté n’affecte qu’une partie divisible du projet autorisé.

En l’espèce, une société avait obtenu un permis de construire pour un ensemble immobilier comprenant des logements collectifs, des commerces et trois maisons individuelles. Un particulier, propriétaire d’une parcelle voisine, a formé un recours gracieux puis un recours contentieux contre cette autorisation d’urbanisme. Le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande en première instance, jugeant son recours irrecevable pour défaut d’intérêt à agir. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant l’appréciation des premiers juges sur sa qualité pour agir et reprenant, sur le fond, les divers moyens d’illégalité à l’encontre du permis de construire. La question se posait de savoir, d’une part, si un voisin immédiat doit apporter des éléments particulièrement probants pour justifier de son intérêt à agir et, d’autre part, quelles conséquences le juge doit tirer d’une illégalité n’affectant qu’un élément détachable d’un projet de construction. La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance en reconnaissant l’intérêt à agir du requérant, avant d’examiner les moyens de légalité et de prononcer une annulation seulement partielle de l’autorisation contestée.

Cette décision rappelle avec clarté la souplesse avec laquelle l’intérêt à agir du voisin immédiat est apprécié (I), avant de faire une application pragmatique des pouvoirs de régularisation des autorisations d’urbanisme (II).

I. La confirmation d’une conception extensive de l’intérêt à agir du voisin immédiat

La cour administrative d’appel, en annulant le jugement de première instance, réaffirme le statut particulier du voisin immédiat en matière de contentieux de l’urbanisme, lui reconnaissant une présomption d’intérêt à agir (A) qui n’est pas subordonnée à une preuve détaillée des atteintes alléguées (B).

A. Le principe d’une présomption d’intérêt à agir

La recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir contre une autorisation d’urbanisme est conditionnée par l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, qui exige que le projet soit « de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien » du requérant. L’arrêt commenté applique la jurisprudence constante selon laquelle cette condition est appréciée avec une souplesse particulière pour le voisin immédiat. La cour rappelle qu’« eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ».

En l’espèce, les juges du fond constatent que le requérant est bien propriétaire d’une parcelle directement voisine du projet, n’en étant séparé que « par un ruisseau et par un chemin de promenade ». Cette seule constatation de la proximité directe suffit à faire naître la présomption d’intérêt à agir, renversant ainsi l’analyse restrictive des premiers juges. La décision s’inscrit dans une logique de protection effective des droits des tiers, considérant que la proximité immédiate crée par elle-même une forte probabilité d’atteinte justifiant l’accès au prétoire.

B. L’absence d’exigence d’une preuve certaine de l’atteinte

La cour précise ensuite la nature des éléments que le voisin immédiat doit produire pour que sa requête soit jugée recevable. Elle se garde d’exiger la preuve d’un préjudice certain, se contentant de vérifier que le requérant « fait état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ». L’analyse de la recevabilité se détache ainsi de l’analyse du fond, le requérant n’ayant pas à démontrer de manière irréfutable la réalité des nuisances, mais seulement à présenter des allégations suffisamment étayées pour ne pas paraître fantaisistes.

Ici, la cour estime que les éléments avancés par le requérant, liés à la hauteur des constructions, à la création de vues et aux risques potentiels, sont suffisants pour caractériser son intérêt à agir. En censurant le tribunal administratif qui avait rejeté la demande à ce stade préliminaire, la cour administrative d’appel rappelle que le filtre de l’intérêt à agir ne doit pas se transformer en un obstacle excessif pour le voisin qui subit directement l’impact visuel et fonctionnel d’un projet immobilier d’envergure situé à proximité de sa propriété.

II. La sanction mesurée d’une illégalité circonscrite

Après avoir évoqué l’affaire et statué au fond, la cour procède à une analyse minutieuse de la légalité du permis de construire. Elle identifie un unique vice divisible du reste du projet (A), ce qui la conduit à opter pour une annulation partielle assortie d’une injonction de régularisation (B).

A. L’identification d’un vice de légalité divisible

Parmi l’ensemble des moyens soulevés par le requérant, un seul a retenu l’attention des juges : la méconnaissance de l’article U1 du règlement du plan local d’urbanisme. Ce dernier interdisait de manière explicite et sans exception la construction de maisons individuelles dans le secteur concerné. Le projet, qui prévoyait la réalisation de trois maisons individuelles en plus d’un bâtiment collectif, enfreignait donc directement cette règle d’urbanisme. La cour souligne le caractère non équivoque de la norme, indiquant que « l’article U1 du règlement retient de manière très claire l’interdiction de construction de maisons individuelles ».

Ce faisant, la cour écarte tous les autres moyens, qu’ils portent sur la hauteur, l’implantation, l’aspect extérieur ou le respect du plan de prévention des risques. Cette démarche met en lumière le caractère isolé et parfaitement identifiable du vice. L’illégalité ne concerne pas la conception d’ensemble du projet mais seulement une de ses composantes spécifiques et matériellement distincte du reste de l’opération immobilière. Cette divisibilité est la condition essentielle à la mise en œuvre des mécanismes de régularisation.

B. Le recours à l’annulation partielle pour préserver le projet

Face à ce vice limité, la cour fait une application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, qui permet au juge administratif de ne prononcer qu’une annulation partielle. Cet outil a été conçu pour éviter que des projets d’envergure ne soient entièrement anéantis pour une illégalité qui n’en affecte qu’une partie et qui peut être corrigée. Le juge de l’excès de pouvoir limite ainsi son annulation à la seule partie du projet affectée par le vice constaté. La cour juge en l’espèce que « le vice mentionné au point 15 du présent arrêt et relatif à la construction de trois maisons individuelles sur le terrain d’assiette du projet est susceptible de régularisation ».

En conséquence, l’arrêté n’est annulé qu’en tant qu’il autorise ces trois constructions non conformes. Pour assurer l’effectivité de sa décision, la cour fixe au pétitionnaire un délai de trois mois pour solliciter un permis de construire modificatif. Cette solution pragmatique illustre la volonté du juge de concilier le respect de la légalité et la sécurité juridique des projets de construction, en privilégiant la correction des vices plutôt que la remise en cause complète d’une autorisation d’urbanisme.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture