Cour d’appel administrative de Toulouse, le 3 avril 2025, n°23TL00526

Par un arrêt en date du 3 avril 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une décision de préemption prise par une commune sur un ensemble immobilier conventuel qu’une association se proposait d’acquérir. En l’espèce, une association avait conclu un compromis de vente avec une communauté religieuse pour l’achat d’un couvent. Suite à la déclaration d’intention d’aliéner, le maire de la commune a exercé son droit de préemption urbain. Saisi par l’association acquéreur, le tribunal administratif de Montpellier a annulé cette décision. La commune a alors interjeté appel de ce jugement, contestant tant la recevabilité de la demande de première instance que son bien-fondé. La commune soutenait principalement que l’association ne justifiait pas d’un intérêt à agir en qualité d’acquéreur évincé et que sa décision de préemption était légalement fondée sur un projet d’intérêt général. Se posait ainsi la question de savoir, d’une part, si une association signataire d’un compromis de vente dispose d’un intérêt à agir contre une décision de préemption alors même qu’elle n’est pas mentionnée dans la déclaration d’intention d’aliéner. D’autre part, il s’agissait de déterminer si la simple mention d’un objectif de sauvegarde du patrimoine, sans autre précision, suffit à motiver et à justifier légalement une telle décision. La cour administrative d’appel rejette la requête de la commune, confirmant l’annulation de la décision de préemption. Elle juge que la signature d’un compromis de vente confère bien à l’acquéreur la qualité pour agir, et que la décision de préemption était illégale faute de justifier d’un projet réel à sa date et d’une motivation suffisante.

L’arrêt apporte une double confirmation de solutions jurisprudentielles établies, d’une part en consolidant une conception extensive de l’intérêt à agir de l’acquéreur évincé, et d’autre part en rappelant les exigences de fond qui encadrent l’exercice du droit de préemption. La position du juge d’appel conforte ainsi la protection des opérateurs privés face à un usage potentiellement détourné de cette prérogative de puissance publique.

I. La confirmation de l’intérêt à agir de l’acquéreur évincé

La cour administrative d’appel valide le raisonnement des premiers juges en écartant la fin de non-recevoir soulevée par la commune. Elle réaffirme que la qualité d’acquéreur évincé s’apprécie au regard de la réalité de l’engagement contractuel (A), rendant inopérantes les clauses du compromis de vente invoquées par l’administration pour contester cet intérêt à agir (B).

A. La force du compromis de vente comme fondement de l’intérêt à agir

La juridiction d’appel rappelle avec clarté que la justification de l’intérêt à agir d’un requérant contre une décision de préemption repose sur sa capacité à démontrer sa qualité d’acquéreur évincé. En l’espèce, la commune arguait du fait que l’association candidate à l’acquisition n’était pas formellement désignée dans la déclaration d’intention d’aliéner. La cour écarte cet argument en se fondant sur l’existence d’un compromis de vente signé antérieurement à la décision litigieuse. Elle juge que l’association « justifiait ainsi d’un intérêt à agir à l’encontre de cette décision, alors même que le nom de l’association (…) n’apparaît pas dans la déclaration d’intention d’aliéner reçue (…) par la commune ». Cette solution confirme une jurisprudence constante selon laquelle la réalité du lien contractuel entre le vendeur et l’acquéreur prime sur les mentions formelles de la déclaration administrative adressée au titulaire du droit de préemption. Le compromis de vente matérialise l’atteinte directe que la décision de préemption porte aux intérêts du requérant, en le privant de la possibilité de réaliser l’acquisition projetée.

B. L’indifférence des stipulations contractuelles suspensives ou résolutoires

La commune tentait également de se prévaloir de certaines clauses du compromis pour soutenir que l’acquéreur avait perdu cette qualité. Elle invoquait notamment une réserve relative à l’exercice du droit de préemption ainsi qu’une stipulation prévoyant la caducité de l’acte en cas de non-versement d’un dépôt de garantie. La cour administrative d’appel balaie ces arguments en considérant que de telles clauses sont sans incidence sur l’intérêt à agir. Elle estime que « la circonstance que le compromis de vente comportait une réserve relative à l’exercice du droit de préemption n’est pas de nature à retirer à l’association (…) sa qualité d’acquéreur évincé ». De même, la clause relative au dépôt de garantie, dont l’activation était laissée à la discrétion du vendeur, ne saurait priver l’acquéreur de son droit de contester la décision qui fait obstacle à la vente. Cette analyse consacre une approche pragmatique, empêchant que des stipulations contractuelles, conçues pour régir les rapports entre les parties privées, ne deviennent un moyen pour l’administration d’échapper au contrôle du juge.

II. La sanction d’une préemption insuffisamment justifiée

Au-delà de la question de recevabilité, l’arrêt se prononce sur la légalité même de la préemption en appliquant un contrôle rigoureux des obligations pesant sur la collectivité. Il censure la décision sur un double fondement : l’insuffisance de sa motivation formelle (A) et l’absence de réalité du projet d’aménagement invoqué (B).

A. La censure d’une motivation de pure forme

L’article L. 210-1 du code de l’urbanisme impose que toute décision de préemption mentionne l’objet pour lequel ce droit est exercé. La cour constate que la décision attaquée se bornait à reprendre l’un des objectifs généraux listés à l’article L. 300-1 du même code. En l’occurrence, elle indiquait que « l’acquisition de cet ensemble immobilier s’inscrit dans un objectif de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine bâti (ensemble conventuel) et non bâti (parc) de la ville ». Pour la juridiction, une telle formule ne permet pas d’identifier la nature de l’action ou de l’opération projetée. Elle en conclut que la décision est insuffisamment motivée, car elle ne fait pas « apparaître la nature du projet ». Ce faisant, elle rappelle que la motivation ne peut se limiter à une simple reproduction des termes de la loi ; elle doit contenir des éléments factuels concrets permettant de comprendre l’affectation future du bien préempté. Cette exigence vise à garantir la transparence de l’action administrative et à permettre un contrôle effectif de sa finalité.

B. Le défaut de réalité du projet d’aménagement

Le juge administratif ne se contente pas de vérifier la motivation formelle, il contrôle également la réalité du projet à la date de la décision de préemption. Sur ce point, la cour administrative d’appel confirme l’appréciation des premiers juges en soulignant que la commune échoue à démontrer l’existence d’un projet concret. Les juges relèvent que l’administration « n’apporte pas davantage d’éléments en appel de nature à justifier, à la date de la décision en litige, de la réalité alléguée d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement sur l’ensemble immobilier dont s’agit ». La simple évocation d’une politique globale de préservation du patrimoine, sans pièce ni document attestant d’une réflexion spécifique sur le bien en cause, est jugée insuffisante. Cette solution réaffirme avec force que le droit de préemption n’est pas un droit de préférence discrétionnaire. Il constitue un outil au service d’un projet d’intérêt général suffisamment défini et certain, ce qui exclut son usage à des fins de simple opposition à une vente privée ou de constitution de réserves foncières sans projet avéré.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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