Un particulier s’est vu accorder par un maire deux arrêtés de non-opposition à déclaration préalable pour la construction d’un garage et d’une piscine. Un voisin immédiat, estimant que ces projets présentaient des risques pour l’écoulement des eaux pluviales, a formé un recours gracieux contre ces deux décisions, lequel a été implicitement rejeté. Il a alors saisi le tribunal administratif de deux requêtes distinctes afin d’obtenir l’annulation des arrêtés. Par une ordonnance, le président de la formation de jugement du tribunal administratif a rejeté ces demandes comme manifestement irrecevables au motif que le requérant n’avait pas justifié, à l’expiration du délai imparti par une demande de régularisation, avoir bien notifié ses recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation, comme l’exige l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme. Le requérant a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant avoir produit les justificatifs requis mais les avoir versés par erreur dans les dossiers des procédures de référé-suspension connexes, initiées parallèlement.
La question de droit soumise à la cour administrative d’appel était donc de savoir si une erreur purement matérielle d’imputation d’une pièce dans l’application Télérecours, consistant à verser la preuve de la notification du recours dans une instance de référé connexe plutôt que dans l’instance au fond, constitue un défaut de régularisation justifiant le rejet d’une requête pour irrecevabilité manifeste.
Par un arrêt du 17 avril 2025, la cour administrative d’appel annule l’ordonnance du premier juge. Elle estime que dès lors que les pièces produites, bien que versées dans une autre procédure, « indiquaient explicitement qu’ils concernaient à la fois les instances de référé suspension et les instances de fond relatives aux deux arrêtés, en mentionnant notamment les quatre numéros correspondant à chacune de ces instances », le tribunal ne pouvait rejeter les requêtes sans avoir préalablement invité leur auteur à rectifier cette erreur matérielle. En conséquence, la cour renvoie l’affaire devant le tribunal administratif.
Il convient d’analyser la censure par la cour d’une appréciation excessivement stricte des formalités de régularisation (I), avant d’examiner la portée de cette décision qui renforce le rôle du juge dans la garantie d’un procès équitable (II).
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I. La censure d’un formalisme procédural excessif
La décision de la cour administrative d’appel s’attache à distinguer l’absence de diligence de la simple erreur matérielle (A) pour en déduire une obligation de dialogue renforcée entre le greffe et le justiciable (B).
A. La qualification d’erreur matérielle excusable
L’obligation de notification des recours en contentieux de l’urbanisme, prévue à l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, vise à assurer une information complète et rapide de l’auteur de la décision et du bénéficiaire de l’autorisation. Le non-respect de cette formalité est sanctionné par l’irrecevabilité du recours, une sanction particulièrement rigoureuse. En première instance, le juge a fait une application stricte de cette règle en constatant que les preuves de la notification n’avaient pas été produites dans les dossiers au fond, malgré une invitation à régulariser.
Toutefois, la cour administrative d’appel adopte une approche plus pragmatique et moins formaliste. Elle ne se contente pas de vérifier la présence des pièces dans le dossier concerné mais analyse la nature de l’omission. Elle relève que le requérant a bien accompli les formalités dans le délai imparti et que les documents produits, bien que mal classés, ne laissaient aucun doute sur leur portée. En effet, la cour prend soin de noter que les justificatifs mentionnaient expressément les numéros de procédure des instances au fond et en référé. Ce faisant, elle caractérise le défaut non comme une négligence substantielle, mais comme une simple « erreur matérielle » dans l’utilisation de l’outil dématérialisé.
B. L’obligation d’inviter à la rectification
Fort de cette qualification, l’arrêt tire les conséquences quant aux devoirs du juge de première instance. S’appuyant sur l’article R. 612-1 du code de justice administrative, qui organise la procédure d’invitation à régulariser pour les irrecevabilités susceptibles d’être couvertes, la cour estime que le juge ne pouvait s’arrêter à un constat purement formel. Face à une erreur manifestement matérielle et facilement réparable, sa mission ne se limitait pas à constater l’absence de la pièce dans le bon dossier.
La cour considère qu’« il appartenait au tribunal de mettre le requérant en mesure de remédier à ses erreurs matérielles en l’invitant à produire ces justifications également dans les dossiers nos 2203507 et 2203509 ». Cette solution consacre une obligation de diligence accrue pour le juge lorsqu’il est confronté à une imperfection qui ne résulte pas d’une carence du justiciable, mais d’une simple maladresse dans l’utilisation d’une plateforme procédurale. Le rejet par ordonnance, procédure dérogatoire qui prive les parties d’un examen collégial de leur affaire, est ainsi réservé aux cas où l’irrecevabilité est non seulement manifeste, mais aussi exempte de toute ambiguïté quant à sa cause.
En rappelant au juge son rôle actif dans la bonne administration de la justice, la cour administrative d’appel réaffirme les principes de loyauté et de dialogue procédural, qui doivent primer sur une application mécanique des textes.
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II. La portée de la décision : une garantie renforcée du droit au recours
Cette décision, au-delà du cas d’espèce, constitue un rappel pédagogique sur l’office du juge (A) et vient consolider la protection du droit à un recours effectif en matière d’urbanisme (B).
A. L’office du juge face à la dématérialisation
L’arrêt rendu met en lumière les défis posés par la dématérialisation des procédures contentieuses. Si l’application Télérecours a vocation à simplifier et accélérer les échanges, elle peut aussi être la source d’erreurs de manipulation dont les conséquences peuvent être disproportionnées. La présente décision en est une illustration et apporte une réponse équilibrée. Elle invite les juridictions à ne pas ignorer la réalité des instances connexes, surtout lorsque, comme en l’espèce, des procédures de référé et de fond sont introduites simultanément et sont intrinsèquement liées.
La portée de la solution est donc avant tout pédagogique. Elle rappelle aux présidents de formation de jugement que leur pouvoir de rejeter une requête par ordonnance pour irrecevabilité manifeste doit être exercé avec discernement. Ce pouvoir ne doit pas conduire à sanctionner des erreurs vénielles lorsque le greffe dispose, dans un autre dossier accessible, des éléments démontrant la diligence du requérant. L’arrêt promeut une forme de curiosité procédurale de la part du juge, qui ne doit pas rester prisonnier des cloisons numériques entre les différents dossiers relatifs à un même litige.
B. La préservation du droit à un recours effectif
En censurant l’ordonnance, la cour administrative d’appel fait prévaloir une conception substantielle du droit d’agir en justice. L’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, bien qu’essentiel à la sécurité juridique, ne saurait être interprété d’une manière qui créerait un piège procédural pour le requérant de bonne foi. En l’espèce, l’auteur de la décision et la bénéficiaire de l’autorisation avaient bien été informées du recours, finalité même de la formalité de notification.
La solution retenue assure que le droit au recours, principe à valeur constitutionnelle, ne soit pas anéanti pour une simple maladresse de classement informatique, dès lors que cette dernière ne porte préjudice aux droits d’aucune partie. Cet arrêt s’inscrit ainsi dans un courant jurisprudentiel qui cherche à concilier l’impératif de sécurité juridique avec le droit à un procès équitable, tel que garanti notamment par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il confirme que la régularité procédurale doit être appréciée avec mesure, en tenant compte des circonstances concrètes de chaque espèce.