En matière fiscale, la restitution d’une imposition au profit d’un contribuable peut engendrer des conséquences financières directes pour une collectivité territoriale bénéficiaire de cette recette. Une société civile immobilière, après avoir acquis un bien et s’être acquittée des droits de mutation à titre onéreux, a sollicité le bénéfice d’un régime fiscal plus favorable, conditionné à un engagement de réaliser des travaux de rénovation. L’administration fiscale, faisant droit à cette demande, a prononcé un dégrèvement et a procédé au prélèvement de la somme correspondante sur la trésorerie d’une collectivité locale par l’émission d’un ordre de reversement.
Saisi par la collectivité d’une demande d’annulation de cet ordre de reversement, le tribunal administratif de Paris a décliné la compétence de la juridiction administrative par une ordonnance du 29 septembre 2022. Le premier juge a considéré que le litige se rattachait aux opérations d’assiette de l’impôt, relevant de la compétence du juge judiciaire. La collectivité territoriale et le ministre de l’économie ont tous deux interjeté appel de cette ordonnance, soutenant au contraire la compétence du juge administratif pour connaître d’un tel recours. Se posait alors la question de savoir quel ordre de juridiction est compétent pour statuer sur la contestation par une collectivité d’un ordre de reversement émis par un comptable public suite à un dégrèvement fiscal.
Par un arrêt du 24 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a décidé de surseoir à statuer. Elle a relevé que la question de compétence soulevait une difficulté sérieuse et similaire à celle qui faisait déjà l’objet d’un renvoi préjudiciel devant le Tribunal des conflits dans une autre affaire. La Cour a ainsi choisi d’attendre la décision de la juridiction régulatrice des conflits de compétence avant de trancher le litige qui lui était soumis.
Cette décision d’attente, si elle ne résout pas le fond du problème de compétence, met en lumière la complexité de la répartition des contentieux à la frontière du droit fiscal et de la comptabilité publique (I). En choisissant le sursis à statuer, la Cour adopte une posture pragmatique visant à garantir la cohérence et la sécurité juridiques (II).
I. La difficile qualification du contentieux du reversement d’impositions locales
La détermination du juge compétent pour connaître de l’action d’une collectivité territoriale contre un ordre de reversement se heurte à une double analyse. La nature de l’acte contesté peut en effet le rattacher soit au contentieux de l’assiette de l’impôt, soit à celui de son recouvrement, emportant des conséquences opposées sur le plan juridictionnel.
A. Le rattachement contesté au contentieux de l’assiette fiscale
L’ordonnance rendue en première instance a retenu une approche classique en liant l’ordre de reversement à la procédure d’imposition elle-même. Dans cette perspective, le reversement n’est que la conséquence directe et indissociable de la décision de dégrèvement prise par l’administration fiscale. Cette décision de dégrèvement, qui modifie l’assiette de l’impôt initialement établi, relève traditionnellement du contentieux fiscal. Pour les droits de mutation à titre onéreux, ce contentieux est attribué par la loi aux juridictions de l’ordre judiciaire.
En jugeant que l’acte de reversement n’était pas détachable des opérations d’assiette, le premier juge a logiquement conclu à l’incompétence de la juridiction administrative. Cette vision unitaire de l’opération fiscale, de son établissement à sa restitution, vise à concentrer l’ensemble des litiges relatifs à un même impôt devant un seul et même juge. Toutefois, cette analyse ne prend que partiellement en compte la situation particulière d’une collectivité tierce dont les finances sont affectées par un acte de pure comptabilité publique.
B. L’émergence d’une compétence administrative fondée sur la nature de l’acte
À l’inverse, les requérants en appel, y compris le ministre, ont soutenu que l’ordre de reversement constituait un acte administratif autonome. Il ne s’agit pas d’un acte d’imposition, mais d’un titre de perception émis par un comptable public à l’encontre d’une personne morale de droit public. Cet acte affecte directement les finances et la comptabilité de la collectivité territoriale, indépendamment des motifs fiscaux qui ont présidé à la décision de dégrèvement accordée au contribuable initial.
Le litige ne porterait donc pas sur le bien-fondé de l’exonération fiscale, mais sur la régularité et la validité d’une opération de débit sur les fonds publics d’une collectivité. Ce type de contentieux, qui met en cause les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales et la validité d’un titre exécutoire de nature administrative, relève en principe de la compétence du juge administratif. Cette seconde approche dissocie la décision fiscale de son exécution comptable et financière, ouvrant la voie à une compétence administrative.
II. Le choix d’une solution d’attente face à une question de compétence préjudicielle
Face à cette incertitude sérieuse quant à la détermination de l’ordre juridictionnel compétent, la Cour administrative d’appel de Paris a fait le choix de la prudence. En suspendant sa décision, elle manifeste son souci de s’inscrire dans une démarche de bonne administration de la justice et d’anticiper une nécessaire unification de la jurisprudence.
A. Le recours pragmatique au sursis à statuer
La Cour administrative d’appel constate que le litige dont elle est saisie « présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse similaire à celle posée » dans une autre affaire ayant justifié une saisine du Tribunal des conflits. Le recours à la technique du sursis à statuer apparaît alors comme une mesure de saine gestion processuelle. Plutôt que de rendre une décision qui risquerait d’être infirmée ou de créer une divergence jurisprudentielle, le juge d’appel préfère attendre que la plus haute autorité en matière de répartition des compétences se prononce.
Cette décision, dite « avant-dire droit », permet de ne pas préjuger de la solution à venir tout en évitant des procédures redondantes ou contradictoires. Elle illustre la volonté de la juridiction d’assurer une cohérence dans le traitement des affaires et de prévenir l’insécurité juridique qui naîtrait de décisions divergentes entre les deux ordres de juridiction sur une question de principe. Le sursis à statuer s’impose comme l’instrument privilégié de coordination juridictionnelle.
B. La portée de la décision : l’unification attendue de la jurisprudence
Si cet arrêt est, par sa nature même, une décision d’espèce qui ne tranche aucune question de fond, sa portée réside dans ce qu’elle annonce. La solution qui sera rendue par le Tribunal des conflits dans l’affaire connexe aura une autorité déterminante pour l’ensemble des litiges de même nature. Cette future décision fixera de manière pérenne la ligne de partage des compétences pour le contentieux des ordres de reversement d’impôts locaux contestés par les collectivités bénéficiaires.
En s’abstenant de statuer, la Cour administrative d’appel reconnaît implicitement que la question dépasse le cadre de son seul office et appelle une réponse unifiée au plus haut niveau. Sa décision est donc une étape procédurale qui prépare le terrain à une clarification indispensable du droit positif. Elle témoigne de l’interdépendance des juridictions et de la nécessité d’un dialogue institutionnel pour garantir la lisibilité et la prévisibilité des règles de compétence.