Par un arrêt en date du 20 mai 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur les conditions de recevabilité d’un recours contre un permis de construire tacite et sur les conséquences de l’illégalité d’une telle autorisation. En l’espèce, une société civile immobilière a obtenu un permis de construire tacite pour l’édification d’une maison d’habitation sur un terrain situé dans une commune de Polynésie française. Une société voisine, propriétaire d’une parcelle contiguë, a formé un recours gracieux en retrait de cette autorisation, qui fut rejeté. Elle a alors saisi le tribunal administratif de la Polynésie française d’une demande d’annulation du permis de construire. Par un jugement du 6 juin 2023, le tribunal a rejeté sa demande comme irrecevable car tardive. La société requérante a interjeté appel de ce jugement, contestant sa régularité et l’légalité de l’autorisation d’urbanisme. Elle soutenait notamment que le dossier de demande était incomplet, tandis que le bénéficiaire du permis et l’administration opposaient la tardiveté du recours initial. Se posait alors la question de savoir si un permis de construire tacite peut légalement naître malgré l’absence d’une pièce essentielle au dossier de demande, et quelle sanction le juge doit appliquer à une telle illégalité. La cour administrative d’appel répond par la négative sur la légalité de l’autorisation, considérant que l’absence d’une étude géotechnique requise par le plan de prévention des risques naturels viciait le permis. Cependant, plutôt que de prononcer une annulation sèche, elle fait application du mécanisme de régularisation et sursoit à statuer, laissant au pétitionnaire un délai pour obtenir un permis de construire régularisant le vice constaté.
La décision commentée illustre un contrôle rigoureux des conditions de formation du permis de construire tacite, tant au regard des droits des tiers qu’au regard des exigences de fond (I), tout en privilégiant une approche pragmatique visant à la régularisation des vices entachant l’autorisation plutôt qu’à sa disparition rétroactive (II).
I. La validité du permis tacite subordonnée à un contrôle renforcé
La cour examine avec attention les conditions de recevabilité du recours formé par le tiers voisin, adoptant une solution protectrice de ses droits (A), avant de sanctionner fermement l’incomplétude du dossier de demande, qui fait obstacle à la naissance d’une autorisation implicite régulière (B).
A. Une appréciation extensive des conditions de recevabilité du recours du tiers
La haute juridiction écarte d’abord les fins de non-recevoir opposées à la société requérante, qu’elles soient tirées du délai de recours ou de son intérêt à agir. Concernant l’intérêt à agir, la cour rappelle qu’un voisin immédiat justifie en principe d’un tel intérêt dès lors qu’il fait état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction. En l’espèce, elle juge que la qualité de propriétaire de la maison voisine, combinée à « l’importance de celui-ci, tant en termes de surface au sol que d’impact sur un terrain classé en risque moyen à fort de glissement », suffit à établir l’intérêt à agir.
Concernant la tardiveté du recours, la cour effectue une analyse détaillée des conditions de déclenchement du délai. Elle constate que le panneau d’affichage ne comportait « aucune indication relative à la superficie du terrain, à la surface de plancher autorisé ainsi qu’à la hauteur de la construction ». Une telle omission, portant sur des mentions substantielles, empêche les tiers d’apprécier l’importance du projet et a pour conséquence que le délai de recours contentieux de deux mois n’a jamais commencé à courir. De même, le délai raisonnable d’un an, issu du principe de sécurité juridique, n’est pas opposable car l’affichage était irrégulier, faisant ainsi « obstacle à ce que les tiers puissent avoir connaissance du projet de construction ». Cette approche garantit que seul un affichage complet et régulier peut purger les droits des tiers.
B. L’exigence impérative d’un dossier de demande complet
Le cœur de l’illégalité sanctionnée par la cour réside dans l’incomplétude du dossier de demande de permis de construire. Le projet étant situé en zone d’aléa « moyen à fort » de mouvements de terrain, le plan de prévention des risques naturels applicable imposait la production d’une étude géotechnique spécifique. Or, le dossier ne contenait qu’une étude ancienne, relative à un projet différent et de moindre emprise. La cour juge logiquement que « cette étude ne pouvait être considérée comme répondant aux exigences posées par les dispositions du d) de l’article A. 114-10-1 du code de l’aménagement précitées ».
La production d’une étude conforme, mais postérieurement à la date d’acquisition du permis tacite, ne saurait couvrir cette illégalité initiale. L’administration n’a en effet pas été en mesure d’apprécier la conformité du projet aux règles de prévention des risques au moment où l’autorisation est née. Cet arrêt confirme donc avec force qu’un permis de construire tacite ne peut se former valablement si le dossier déposé par le pétitionnaire est incomplet sur un point substantiel, l’administration étant alors privée d’un élément essentiel à son instruction. La naissance de l’autorisation implicite est ainsi directement conditionnée à la complétude du dossier.
II. Le choix pragmatique de la régularisation face à l’illégalité constatée
Une fois le vice de légalité établi, la cour aurait pu prononcer l’annulation pure et simple du permis de construire. Elle opte cependant pour une solution curative prévue par le code de l’urbanisme (A), dont la mise en œuvre aboutit à une régularisation encadrée et limitée au vice identifié (B).
A. La mise en œuvre du sursis à statuer en vue d’une régularisation
La cour fait application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, qui permettent au juge administratif de surseoir à statuer lorsqu’il estime qu’un vice entraînant l’illégalité d’une autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé. Après avoir constaté que l’unique moyen fondé était tiré de l’absence de l’étude géotechnique requise, la cour estime que « le vice mentionné au point précédent peut toutefois être régularisé ». Ce faisant, elle s’inscrit dans une logique de bonne administration de la justice et de pragmatisme économique, visant à sauver les projets immobiliers affectés de vices de légalité externes ou de procédure qui peuvent être corrigés.
L’annulation rétroactive d’un permis, surtout lorsque les travaux sont avancés, emporte des conséquences économiques et sociales souvent disproportionnées. Le sursis à statuer offre une alternative mesurée, invitant les parties à corriger l’illégalité sans pour autant anéantir l’ensemble du projet. Cette faculté, laissée à l’appréciation du juge, témoigne de la volonté du législateur de limiter les annulations contentieuses aux seules illégalités qui ne peuvent être purgées par une nouvelle décision de l’administration.
B. Une invitation à purger un vice circonscrit
En sursoyant à statuer, la cour invite le bénéficiaire du permis à obtenir une mesure de régularisation. Concrètement, il devra déposer une nouvelle demande de permis de construire, dite de régularisation, qui inclura l’étude géotechnique manquante. L’administration devra alors instruire cette demande et délivrer, si le projet est conforme, un permis de régularisation qui viendra se substituer à l’autorisation tacite initiale et purger le vice constaté. La cour fixe un délai précis, expirant le 20 juin 2025, pour que cette régularisation lui soit notifiée.
Cette solution préserve l’équilibre entre le respect de la légalité et la sécurité juridique des constructions. Elle confirme que les vices de forme ou de procédure, aussi importants soient-ils, ne conduisent pas nécessairement à l’anéantissement de l’acte s’ils sont régularisables. La portée de cet arrêt réside ainsi dans sa confirmation que même l’absence d’une pièce essentielle à la naissance d’un permis tacite peut faire l’objet d’une régularisation a posteriori, sous le contrôle du juge, qui s’assurera que la nouvelle autorisation respecte l’ensemble des règles d’urbanisme applicables.