Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la cour administrative d’appel a précisé les conditions d’appréciation des manquements d’une personne publique à ses obligations contractuelles pouvant justifier la résiliation d’une convention d’occupation domaniale. En l’espèce, une société exploitant une activité sur un terrain appartenant au domaine public d’une commune, en vertu d’une convention, a saisi le juge administratif. Elle demandait la résiliation de cet accord aux torts de l’administration et l’indemnisation de ses préjudices, invoquant des vices du consentement ainsi que de graves manquements de la part de la personne publique dans l’exécution de la convention. Cette situation était rendue plus complexe par le transfert de la compétence relative à la gestion du site de la commune vers un établissement public de coopération intercommunale en cours de contrat.
Le tribunal administratif de Melun, par un jugement du 13 juillet 2023, avait rejeté l’essentiel des demandes de la société. Celle-ci a donc interjeté appel, maintenant ses prétentions à fin de résiliation et d’indemnisation. La commune, intimée, a quant à elle sollicité sa mise hors de cause au motif que le transfert de compétence l’avait entièrement déchargée de ses obligations. La question se posait de savoir, d’une part, si le transfert de compétence à un établissement intercommunal libère totalement la commune de ses obligations contractuelles, y compris pour des faits antérieurs au transfert. D’autre part, il revenait au juge de déterminer si les manquements allégués par l’occupant, relatifs à la viabilité du terrain, à la jouissance paisible de celui-ci et au respect d’une clause d’exclusivité, revêtaient une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du contrat.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle confirme d’abord que la substitution de l’établissement public de coopération intercommunale à la commune est totale pour tous les droits et obligations attachés à la compétence transférée. Ensuite, elle estime que les manquements de l’administration, à les supposer même établis, ne présentent pas un degré de gravité suffisant pour prononcer la résiliation du contrat.
Il conviendra d’analyser la portée de la substitution de la personne publique dans ses obligations contractuelles (I), avant d’étudier le rigoureux contrôle opéré par le juge sur les manquements invoqués pour justifier la résiliation (II).
I. La substitution de plein droit de l’établissement intercommunal à la commune contractante
La décision de la cour administrative d’appel rappelle avec clarté le mécanisme de substitution d’une personne morale de droit public à une autre dans le cadre d’un transfert de compétences. Cette substitution, qui est intégrale, emporte des conséquences radicales quant à la recherche de la responsabilité contractuelle.
A. L’application du principe de substitution intégrale lors d’un transfert de compétences
Le juge d’appel fonde son raisonnement sur les dispositions combinées du code général des collectivités territoriales et de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Il en déduit que le transfert de compétences à un établissement public de coopération intercommunale entraîne une substitution de plein droit de cet établissement à la collectivité dans l’ensemble de ses droits et de ses obligations. La cour prend soin de préciser la portée temporelle de ce principe en citant que cette substitution s’applique « y compris lorsque ces obligations trouvent leur origine dans un événement antérieur au transfert ».
Cette solution assure une continuité dans la gestion des services publics et des contrats y afférents. Elle permet de désigner sans ambiguïté l’entité désormais responsable de l’exécution contractuelle, garantissant ainsi une certaine sécurité juridique pour les cocontractants de l’administration. La substitution n’est donc pas une simple reprise des obligations pour l’avenir, mais bien un transfert complet du rapport contractuel, passif compris. Le nouvel établissement devient ainsi le seul interlocuteur pour tous les litiges liés à la compétence transférée, quelle que soit la date de naissance de l’obligation litigieuse.
B. La mise hors de cause conséquente de la commune originelle
La conséquence logique de cette substitution intégrale est la possibilité pour la collectivité territoriale d’origine d’être mise hors de cause. La cour administrative d’appel valide la demande de la commune en ce sens pour toutes les conclusions relatives à la résiliation de la convention et à l’indemnisation des préjudices. Dès lors que le contentieux a été engagé postérieurement à la date effective du transfert de compétence, la commune n’est plus partie à l’instance concernant l’exécution du contrat.
La cour énonce ainsi que « la commune de la Ferté-Gaucher est fondée à demander sa mise hors de cause, s’agissant des conclusions tendant à la résiliation de la convention du 19 février 2013 et des conclusions indemnitaires présentées par la société Aoz et M. A… ». Cette application stricte du principe de substitution a pour effet de concentrer le contentieux sur la seule personne publique effectivement compétente au jour où le juge statue. Elle évite une dilution des responsabilités et simplifie l’office du juge, qui n’a plus à rechercher laquelle des deux personnes publiques successives doit répondre des manquements allégués.
Une fois la question de l’interlocuteur de l’administration tranchée, le juge s’est penché sur le fond du litige contractuel.
II. Le rejet de la résiliation pour faute en l’absence de manquements d’une gravité suffisante
La cour administrative d’appel, se conformant à une jurisprudence constante, exerce un contrôle méticuleux sur les faits invoqués par le requérant pour justifier une résiliation du contrat aux torts de l’administration. Elle conclut que les manquements allégués ne présentent pas le caractère de gravité requis, que ce soit au stade de la formation de la convention ou dans son exécution.
A. L’appréciation restrictive des vices affectant la formation et l’exécution de la convention
Le requérant invoquait en premier lieu un vice de son consentement, soutenant avoir subi des pressions pour signer la convention de 2013. Le juge écarte cet argument en relevant l’existence de négociations et d’échanges écrits entre les parties. Il retient que « le projet a été transmis aux occupants du site plusieurs mois auparavant et que la commune a répondu point par point aux observations formulées », ce qui exclut toute contrainte de nature à vicier le consentement de la société. Cette approche factuelle rappelle que l’exigence de loyauté des relations contractuelles s’impose à l’occupant, qui ne peut invoquer un vice du consentement après avoir participé activement à la discussion des clauses contractuelles.
De même, concernant l’absence de viabilisation du terrain, la cour note que la convention ne mettait aucune obligation de la sorte à la charge de la commune. Elle souligne que l’occupant connaissait parfaitement l’état des lieux pour les occuper depuis plusieurs années et qu’il lui appartenait de se raccorder aux réseaux. Le juge fait ici une application stricte de la loi des parties, refusant de découvrir des obligations qui ne sont pas explicitement prévues au contrat, surtout lorsque le cocontractant est un professionnel averti.
B. La caractérisation des troubles à la jouissance comme insuffisants pour justifier la résiliation
En second lieu, la cour examine les manquements de l’administration à ses obligations d’assurer une jouissance paisible et de respecter une clause d’exclusivité. Les nuisances invoquées, telles que la présence ponctuelle d’un chasseur ou la gêne occasionnée par une activité de drones, sont qualifiées de difficultés isolées. Le juge relève que la société n’a pas démontré que ces faits l’avaient placée « dans l’impossibilité d’exercer pleinement son activité ». Ce faisant, il fixe un seuil élevé pour la reconnaissance d’un manquement grave ; la simple gêne ou le trouble ponctuel ne suffit pas. La faute de l’administration doit avoir un impact dirimant sur la capacité du cocontractant à remplir l’objet même du contrat.
Enfin, s’agissant de la violation de la clause d’exclusivité, le juge la relativise en constatant que la société requérante n’avait pas elle-même débuté l’activité pour laquelle elle revendiquait l’exclusivité. L’absence de préjudice direct et certain lié à la violation alléguée conduit la cour à écarter ce moyen. Cet arrêt illustre ainsi l’exigence jurisprudentielle d’un manquement d’une particulière gravité, apprécié concrètement, pour que le juge prononce la résiliation d’un contrat administratif, préservant ainsi l’objectif de stabilité des relations contractuelles.