Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 7 février 2025 offre un aperçu détaillé du contrôle exercé par le juge sur la légalité d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale. En l’espèce, une société a obtenu de l’autorité municipale compétente un permis de construire pour l’édification d’un bâtiment commercial. Une autre société, propriétaire d’un fonds de commerce voisin et concurrent, a formé un recours en annulation contre cette autorisation d’urbanisme. La procédure s’est déroulée devant la juridiction administrative, qui a été saisie de plusieurs moyens de légalité externe et interne. La société requérante soutenait que l’arrêté était entaché d’un vice de forme, que ses prescriptions étaient illégales, et qu’il méconnaissait plusieurs articles du plan local d’urbanisme. En défense, la société bénéficiaire du permis et la commune ont conclu au rejet de la requête, arguant notamment de la possibilité de régulariser d’éventuels vices. En cours d’instance, un permis de construire modificatif a été délivré pour corriger une illégalité soulevée par la requérante. Se posait alors la question de savoir si les multiples illégalités invoquées, tenant tant à la forme de l’acte qu’au respect des règles d’urbanisme de fond, étaient de nature à justifier l’annulation du permis de construire, y compris au regard de l’intervention d’un permis modificatif. Par sa décision, la cour administrative d’appel a rejeté l’ensemble des moyens soulevés par la société requérante, validant ainsi l’autorisation de construire initialement délivrée.
L’analyse de la décision révèle une volonté du juge de ne pas sanctionner des irrégularités purement formelles tout en assurant une application pragmatique des règles de fond. Il convient ainsi d’examiner la manière dont le juge a confirmé la régularité formelle et procédurale du permis de construire (I), avant d’analyser son appréciation souple de la conformité du projet aux règles substantielles d’urbanisme (II).
I. La confirmation de la régularité formelle et procédurale du permis de construire
La cour écarte avec méthode les arguments tirés de vices de procédure, qu’il s’agisse des défauts formels de l’acte initial (A) ou de la portée des prescriptions et de l’effet d’une régularisation en cours d’instance (B).
A. Le rejet des vices de forme et de procédure externes
La société requérante invoquait en premier lieu une irrégularité formelle tenant à l’identification de l’auteur de l’acte. L’arrêté de permis de construire ne comportait ni le prénom ni le nom du maire, en méconnaissance de l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration. Le juge administratif considère cependant que cette omission est « sans incidence sur sa légalité dès lors que son auteur peut être identifié sans ambiguïté ». Cette solution, classique en contentieux administratif, privilégie une approche substantielle de la formalité, considérant que la finalité de la règle, qui est d’assurer que l’auteur de l’acte est identifiable, est ici atteinte. L’indication de la qualité de maire et la signature suffisent à lever toute incertitude.
Dans un second temps, le juge examine l’argument relatif à l’absence d’un certificat de lotisseur. La requérante soutenait que le dossier de demande de permis était incomplet faute de contenir le certificat indiquant la surface de plancher constructible sur le lot, comme le prévoit l’article R. 431-22 du code de l’urbanisme. La cour rejette ce moyen en se fondant sur la caducité des règles d’urbanisme du lotissement. Elle rappelle qu’en application de l’article L. 442-9 du code de l’urbanisme, les règles du lotissement, autorisé en 2007, sont devenues caduques dix ans plus tard. Par conséquent, l’exigence de production du certificat, qui découle de l’application de ces règles, n’avait plus lieu d’être. Ce faisant, le juge confirme que la disparition des règles de fond du lotissement emporte la disparition des obligations procédurales qui leur sont attachées.
B. La validation des prescriptions et la neutralisation d’un moyen par un permis modificatif
La légalité des prescriptions assortissant le permis de construire était également contestée. La cour opère une distinction minutieuse entre une simple recommandation et une véritable prescription. Concernant la teinte des façades, le juge relève que l’arrêté indiquait qu’il « serait souhaitable » d’utiliser certaines couleurs. Il en déduit que le maire « n’a émis qu’une recommandation qui n’a pas le caractère d’une prescription ». Ne créant aucune obligation, cette mention ne pouvait donc être qualifiée de prescription illégale. À l’inverse, s’agissant de l’aire de stationnement pour les deux-roues, le juge estime que la prescription se bornait à rappeler une obligation déjà satisfaite par le projet initial, ou, à tout le moins, qu’elle n’imposait qu’une modification mineure n’appelant pas un nouveau projet.
Enfin, l’arrêt illustre parfaitement l’office du juge face à un permis de construire modificatif délivré en cours d’instance. La requérante soulevait l’illégalité du permis initial au motif qu’il omettait de mentionner l’obligation d’obtenir une autorisation spécifique au titre des établissements recevant du public. Le permis modificatif ayant précisément pour objet de régulariser ce point, la cour écarte le moyen dirigé contre le permis initial comme étant devenu inopérant. Cette solution, qui résulte de l’application de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme, démontre le pragmatisme du contentieux de l’urbanisme, tourné vers la sauvegarde des autorisations dès lors que les illégalités sont purgées.
II. L’appréciation pragmatique de la conformité du projet aux règles de fond
Au-delà des aspects formels, la cour administrative d’appel a également validé la conformité du projet aux règles substantielles du plan local d’urbanisme. Elle a pour cela adopté une interprétation souple des règles d’implantation (A) et une approche globale des exigences environnementales et paysagères (B).
A. Une interprétation souple des règles d’implantation et de construction
La société requérante soutenait que l’implantation d’un local à déchets à moins de cinq mètres du bâtiment principal violait l’article UE 8 du règlement du plan local d’urbanisme, qui impose une distance minimale entre les constructions. Le débat portait sur la qualification juridique de cet espace. Pour la cour, un simple espace délimité par un muret et destiné au stockage de bacs à déchets ne constitue pas une construction au sens de l’article en cause. Le juge considère qu’« un tel espace ne peut être regardé comme une construction au sens de ce second article ». Cette interprétation finaliste et matérielle de la notion de construction permet d’éviter une application excessivement rigide de la règle d’urbanisme qui aurait pu compromettre un aménagement nécessaire et de faible impact.
Cette approche fonctionnelle démontre la volonté du juge de ne pas s’arrêter à une définition purement littérale, mais de rechercher l’intention du rédacteur du plan local d’urbanisme. La règle de distance vise à assurer une bonne insertion des bâtiments, à prévenir les risques et à garantir un certain confort visuel, des objectifs qui ne sont pas remis en cause par la présence d’un simple abri à poubelles de faible hauteur.
B. Une approche globale du respect des exigences environnementales et paysagères
Le même pragmatisme se retrouve dans l’analyse du respect des règles relatives aux espaces verts. Le plan local d’urbanisme imposait la plantation d’un arbre pour six places de stationnement. La requérante dénonçait un déficit d’arbres en se fondant sur un décompte strict au sein de l’aire de stationnement. La cour écarte cet argument en adoptant une vision d’ensemble du projet d’aménagement. Elle estime que « cette voirie peut être considérée comme formant un espace indivisible avec les espaces verts qui y sont directement attenants et qui comportent 13 arbres de hautes tiges ». En refusant de dissocier artificiellement le parking de ses abords paysagers immédiats, le juge s’assure que l’objectif de la règle, qui est de garantir une présence végétale suffisante, est bien atteint.
Enfin, s’agissant de la contestation de la dispense d’évaluation environnementale, la cour exerce un contrôle restreint à l’erreur d’appréciation. Elle vérifie que la décision préfectorale est suffisamment motivée et qu’elle a pris en compte l’ensemble des caractéristiques du projet, y compris ses mesures compensatoires comme la création d’espaces verts et de noues d’infiltration. Constatant que la décision est fondée en fait et en droit, le juge conclut à l’absence d’erreur d’appréciation et valide la dispense, confirmant ainsi la marge d’appréciation laissée à l’administration en la matière.