Cour d’appel administrative de Nantes, le 27 juin 2025, n°24NT01063

Par un arrêt en date du 27 juin 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la responsabilité d’une collectivité publique du fait des dommages causés à un bien privé par un ouvrage public. En l’espèce, des propriétaires d’une maison d’habitation ont constaté l’apparition de fissures sur le mur longeant leur propriété, suite à l’effondrement d’un tronçon de ce même mur chez leurs voisins. Estimant que ces désordres résultaient des travaux d’aménagement de la voie publique adjacente, ils ont recherché la responsabilité de la communauté urbaine en charge de cette voie. Le tribunal administratif de Caen, saisi par les propriétaires, a fait droit à leur demande en enjoignant à la collectivité de réaliser les travaux de réparation et en la condamnant à indemniser une partie de leurs préjudices. La communauté urbaine a interjeté appel de ce jugement, contestant le lien de causalité entre les désordres et l’ouvrage public. Par la voie d’un appel incident, les propriétaires ont sollicité une exécution plus rapide des travaux ainsi qu’une indemnisation plus importante de leurs préjudices. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si la responsabilité sans faute du maître d’ouvrage public pouvait être engagée pour les dommages subis par un mur privé fonctionnellement transformé en accessoire de la voie publique, et de définir, le cas échéant, l’étendue de la réparation due aux victimes. La cour administrative d’appel confirme la responsabilité de la communauté urbaine, en jugeant que le mur, bien que privé, est devenu un ouvrage public par destination en assurant le soutènement de la route. Elle valide ainsi l’essentiel de l’analyse des premiers juges quant à l’imputabilité des dommages, avant de procéder à une évaluation rigoureuse des préjudices indemnisables. La solution retenue illustre la pleine application du régime de responsabilité sans faute pour les dommages de travaux publics (I), tout en rappelant le contrôle strict opéré par le juge sur la qualification et le montant des préjudices réparables (II).

I. La confirmation de la responsabilité sans faute du maître d’ouvrage

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse classique de la notion d’ouvrage public et des conditions d’engagement de la responsabilité du fait des dommages qu’il peut causer. Elle qualifie d’abord le mur litigieux d’ouvrage public par sa fonction (A), avant de caractériser le lien de causalité direct entre celui-ci et les désordres constatés (B).

A. La qualification d’ouvrage public par la fonction de soutènement

Le juge rappelle une solution jurisprudentielle constante en disposant qu’« un mur situé sur un terrain privé, en bordure d’une voie publique qu’il soutient, constitue l’accessoire de la voie publique et présente le caractère d’un ouvrage public ». Cette qualification est déterminante, car elle emporte l’application d’un régime de responsabilité spécifique. En l’occurrence, le rapport d’expertise a établi que le mur, initialement simple clôture, a vu sa fonction modifiée par les aménagements successifs de la rue. Les remblais réalisés pour surélever la chaussée et créer un trottoir ont transformé la nature de l’ouvrage, le contraignant à supporter la poussée des terres de la voie publique.

Ainsi, bien qu’implanté sur une parcelle privée et appartenant à des personnes privées, le mur est devenu « l’accessoire indispensable de cette voie de circulation ». Son entretien incombe dès lors entièrement à la collectivité en charge de la gestion de la voie, qui en est le gardien. La cour écarte par conséquent toute argumentation visant à situer la responsabilité sur le terrain de la propriété privée, pour la placer sans équivoque dans le champ du droit public et des dommages de travaux publics. Cette analyse fonctionnelle de l’ouvrage public est une manifestation claire de la prééminence de la réalité physique et de l’utilité d’un bien sur son statut juridique de propriété.

B. La caractérisation du lien de causalité comme condition de la responsabilité

La décision rappelle ensuite le principe selon lequel « même en l’absence de faute, le maître de l’ouvrage est responsable vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l’ouvrage public ». La responsabilité de la personne publique est donc engagée de plein droit, à la seule condition que la victime rapporte la preuve d’un lien de causalité entre le dommage et l’ouvrage. La collectivité ne peut s’exonérer qu’en prouvant la force majeure ou la faute de la victime. En l’espèce, la communauté urbaine tentait de démontrer que les désordres provenaient de travaux réalisés par les propriétaires eux-mêmes, notamment un décaissement du terrain et l’arrachage d’arbres.

Cependant, le juge, s’appuyant sur les conclusions de l’expert, rejette cette argumentation. Il constate que les remblais successifs au contact du mur, sans protection adéquate, ont permis des infiltrations d’eau qui ont dégradé la structure de l’ouvrage. De plus, « l’augmentation de la circulation automobile […] a généré des vibrations plus fréquentes qui ont aggravé le délitement du rejointoiement des pierres ». Si le juge admet que « l’absence d’entretien du mur par ses propriétaires peut être regardée comme une cause aggravante », il refuse de la qualifier de faute exonératoire, la cause principale et directe des désordres demeurant les aménagements de la voirie. Cette approche confirme que seule une faute caractérisée de la victime, et non une simple négligence concourant au dommage, est de nature à exonérer le maître d’ouvrage.

II. L’appréciation souveraine du juge dans la détermination des préjudices

Une fois la responsabilité établie, la cour se livre à un examen détaillé des différents chefs de préjudice invoqués par les victimes, illustrant le pouvoir modérateur du juge administratif. Elle privilégie la réparation en nature ordonnée par les premiers juges (A) et procède à un tri rigoureux entre les préjudices accessoires jugés légitimes et ceux qui ne le sont pas (B).

A. La primauté de la réparation en nature sur l’indemnisation financière

Les juges du fond avaient enjoint à la communauté urbaine de réaliser elle-même les travaux de réfection du mur. Les victimes, par leur appel incident, demandaient à titre subsidiaire l’allocation d’une somme de 57 011 euros pour y procéder elles-mêmes. La cour d’appel rejette cette demande, la jugeant « dépourvue d’objet » dès lors que l’injonction de faire est confirmée. Cette position réaffirme un principe essentiel : la réparation des dommages de travaux publics doit viser, en priorité, à rétablir la situation antérieure et à assurer la sécurité de l’ouvrage.

L’injonction de faire, qui contraint le maître d’ouvrage à effectuer les réparations, apparaît comme la solution la plus adéquate pour garantir la pérennité du mur de soutènement et, par conséquent, la stabilité de la voie publique. En maintenant cette injonction, la cour assure non seulement la réparation du dommage subi par les particuliers, mais aussi la préservation de l’intégrité du domaine public dont le mur est devenu l’accessoire. Le choix de la réparation en nature prime donc sur l’octroi d’une indemnité, qui pourrait être utilisée à d’autres fins et ne garantirait pas la bonne exécution des travaux nécessaires.

B. Le contrôle strict des préjudices accessoires

La cour examine ensuite méticuleusement les autres demandes indemnitaires des victimes. Elle valide le remboursement des frais d’études engagés pour diagnostiquer les désordres, considérant que la justification par des factures acquittées est suffisante. En revanche, elle rejette plusieurs autres postes de préjudice. La demande d’indemnisation pour la recréation d’un jardin est écartée, car la remise en état des plantations est déjà incluse dans l’injonction de faire. Le préjudice esthétique futur lié à la présence de contreforts est également rejeté, faute de preuve de son caractère certain, la collectivité ayant indiqué que ces renforts seraient habillés de pierre.

De même, le préjudice d’angoisse n’est pas retenu, les juges estimant qu’il n’est pas établi au-delà du simple trouble dans les conditions d’existence. Enfin, concernant le préjudice de jouissance, la cour évalue forfaitairement à 3 000 euros l’ensemble des troubles subis, tenant compte du « risque d’éboulement empêchant l’accès sécurisé à cette partie du jardin ». Cette évaluation souveraine, qui agrège plusieurs chefs de préjudice de jouissance en un montant unique et modéré, témoigne de la volonté du juge de n’indemniser que les préjudices directs et certains, tout en écartant les demandes qu’il estime excessives ou insuffisamment prouvées.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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