Par un arrêt en date du 10 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a précisé les modalités d’appréciation du seuil d’investissement conditionnant l’octroi d’une réduction d’impôt pour des investissements réalisés outre-mer. La décision portait sur la remise en cause, par l’administration fiscale, d’un avantage fiscal dont avait bénéficié une contribuable au titre de sa souscription au capital d’une société civile immobilière. Cette société avait pour objet la construction de logements neufs en Nouvelle-Calédonie, dans le cadre d’un programme immobilier de grande envergure. L’administration a notifié des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu à la contribuable, estimant que l’opération aurait dû recevoir un agrément ministériel préalable en raison de son coût total. Saisi par la contribuable, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande de décharge des impositions par un jugement du 3 octobre 2024. La requérante a alors interjeté appel de cette décision, contestant tant la régularité de la procédure d’imposition que le bien-fondé des redressements. Il s’agissait pour la cour de déterminer si le seuil d’investissement de deux millions d’euros, fixé par l’article 199 undecies A du code général des impôts pour conditionner l’éligibilité à la réduction d’impôt à l’obtention d’un agrément, devait être apprécié au niveau de la seule société bénéficiaire des souscriptions ou à l’échelle du programme immobilier global auquel elle participait. La cour administrative d’appel a jugé que le seuil devait être analysé au regard du coût total de l’ensemble du projet immobilier. Elle énonce que « le seuil de deux millions d’euros doit être apprécié, non pas au regard des souscriptions au capital des sociétés, mais au regard du coût total du programme immobilier en vue duquel les souscriptions de parts ou d’actions de sociétés ont été réalisées ». En l’absence d’agrément pour un projet dont le montant excédait largement ce seuil, l’avantage fiscal a donc été légitimement remis en cause.
La solution retenue par la cour administrative d’appel consacre une appréciation globale du programme d’investissement (I), validant ainsi une approche rigoureuse face aux montages d’optimisation fiscale (II).
I. L’affirmation d’une appréciation globale du programme d’investissement
La cour fonde sa décision sur une interprétation finaliste de la loi fiscale (B), après avoir écarté les arguments de la requérante relatifs à la procédure d’imposition (A).
A. Le rejet des moyens de procédure protecteurs du contribuable
La requérante soulevait plusieurs irrégularités procédurales tenant, d’une part, à une motivation insuffisante de la proposition de rectification et, d’autre part, à un défaut d’information sur l’origine des renseignements obtenus par l’administration. La cour a écarté ces moyens en adoptant une lecture pragmatique des obligations de l’administration. S’agissant de la motivation, elle a considéré que la proposition de rectification était suffisamment détaillée pour permettre à la contribuable de « formuler ses observations de façon entièrement utile », conformément à l’article L. 57 du livre des procédures fiscales. Le fait que les treize autres sociétés civiles immobilières participant au programme n’aient pas été explicitement identifiées n’a pas été jugé comme une carence substantielle. De même, concernant l’obligation d’information prévue à l’article L. 76 B du même livre, la cour a estimé que les mentions relatives à l’origine des documents, transmis par l’administration fiscale de Nouvelle-Calédonie, et à leur teneur étaient suffisantes pour permettre à l’intéressée de demander leur communication.
B. L’application d’une interprétation téléologique de la loi fiscale
Sur le fond, la cour s’est attachée à l’objectif poursuivi par le législateur en instaurant le mécanisme de l’agrément ministériel. Les dispositions de l’article 199 undecies A du code général des impôts visent à soumettre les projets d’investissement d’une certaine ampleur à un contrôle de l’État, afin de vérifier leur intérêt économique et leur conformité avec les politiques publiques. En jugeant que le seuil de deux millions d’euros doit s’apprécier au regard du « coût total du programme immobilier », la cour neutralise les stratégies de division artificielle d’un projet unique en plusieurs entités juridiques distinctes. Cette interprétation prévient le contournement de l’obligation d’agrément, qui perdrait toute sa substance si les opérateurs pouvaient le fractionner en autant de sociétés qu’il serait nécessaire pour rester en deçà du seuil légal. La décision s’appuie sur les travaux préparatoires de la loi du 27 mai 2009, qui confirment la volonté du législateur de contrôler les investissements d’envergure.
II. La validation d’une approche rigoureuse face à l’optimisation fiscale
La décision de la cour administrative d’appel de Nantes se justifie par une analyse factuelle précise du montage (A) et réaffirme la primauté de la loi sur l’interprétation administrative que pourrait en faire le contribuable (B).
A. La caractérisation d’un programme immobilier unique
Pour appliquer une lecture globale du dispositif, la cour s’est fondée sur un faisceau d’indices matériels démontrant l’existence d’un programme immobilier unique et indivisible. Elle relève que l’opération consistait en la réalisation d’un ensemble de cent dix-sept logements pour lequel « a été délivrée une seule autorisation de défrichement et a été déposée, en 2010, une unique demande de permis de construire ». De plus, l’ensemble immobilier était « raccordé à la voie publique par une voie commune et ne dispose également que d’un seul raccordement au réseau d’assainissement public ». Ces éléments factuels ont permis d’établir que les différentes sociétés civiles immobilières, bien que juridiquement distinctes, ne constituaient en réalité que les véhicules d’investissement pour un seul et même projet immobilier, dont le coût total s’élevait à près de vingt millions d’euros. L’analyse ne s’arrête donc pas à la structure juridique formelle mais s’attache à la réalité économique de l’opération.
B. La prééminence de la loi sur la doctrine administrative
La requérante tentait de se prévaloir de certaines énonciations de la doctrine administrative pour contester le redressement. La cour écarte cet argument en rappelant une règle constante en droit fiscal. Elle juge que la contribuable « ne saurait se prévaloir utilement de l’illégalité ou de l’inapplicabilité de la documentation administrative (…) dès lors que, comme il vient d’être dit, les impositions litigieuses ont été établies conformément à l’application de la loi fiscale ». Ce faisant, elle réaffirme le principe selon lequel un contribuable ne peut opposer à l’administration une doctrine qui serait contraire au texte de loi. La garantie prévue par l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales protège le contribuable contre les changements d’interprétation de l’administration, mais elle ne lui permet pas de bénéficier d’une interprétation illégale. La décision renforce ainsi la sécurité juridique en donnant sa pleine portée à la volonté du législateur, en particulier pour des dispositifs dérogatoires conditionnés par des exigences strictes.