Cour d’appel administrative de Nancy, le 6 février 2025, n°22NC01712

Par un arrêt en date du 6 février 2025, la Cour administrative d’appel a annulé une délibération municipale qui, par la voie d’une modification simplifiée du plan local d’urbanisme, avait reclassé un secteur de la commune. Cette décision met en lumière la distinction entre les différentes procédures d’évolution des documents d’urbanisme et les garanties qui y sont attachées.

En l’espèce, un conseil municipal avait approuvé, par une délibération du 4 mars 2021, une modification simplifiée de son plan local d’urbanisme. Cette modification avait pour effet de reclasser des parcelles, situées dans un secteur dit « B… », d’une zone à urbaniser de type 1AU en une zone de type 2AU. Un propriétaire de terrains concernés par ce changement de zonage a saisi le tribunal administratif de Besançon pour en demander l’annulation. Par un jugement du 5 mai 2022, sa demande a été rejetée. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la commune aurait dû recourir à une procédure de modification avec enquête publique, et non à une procédure simplifiée, au motif que le reclassement opéré entraînait une diminution des possibilités de construire.

La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si le passage d’un secteur de zone 1AU, où l’urbanisation est ouverte sous conditions, à une zone 2AU, où l’urbanisation est subordonnée à une modification ou révision ultérieure du plan, constitue une diminution des possibilités de construire au sens de l’article L. 153-41 du code de l’urbanisme. Une telle qualification imposerait en effet le recours à la procédure de modification de droit commun, et non à la procédure simplifiée.

La Cour administrative d’appel répond par l’affirmative. Elle juge que le classement en zone 2AU, en conditionnant l’urbanisation de la zone à une nouvelle procédure d’évolution du plan local d’urbanisme et en rendant caduque l’orientation d’aménagement et de programmation antérieure qui en prévoyait le développement, « a ainsi pour effet de diminuer les possibilités de construire dans la zone AU ». Partant, la juridiction d’appel conclut que la commune ne pouvait légalement employer la procédure de modification simplifiée et annule en conséquence le jugement de première instance ainsi que la délibération litigieuse.

Cette solution conduit à examiner comment la Cour qualifie la nature du changement de zonage pour en déduire la procédure applicable (I), avant d’analyser la portée de cette décision quant à la protection des droits des administrés (II).

I. La caractérisation d’une diminution des droits à construire et ses conséquences procédurales

La Cour fonde son raisonnement sur une analyse précise des effets du changement de zonage, ce qui la conduit à requalifier juridiquement l’opération (A) et à en tirer les conséquences procédurales qui s’imposent (B).

A. La requalification juridique du passage d’une zone 1AU à une zone 2AU

L’arrêt met en évidence la différence substantielle qui existe entre les zones 1AU et 2AU, telle que définie par l’article R. 151-20 du code de l’urbanisme. Les premières correspondent à des secteurs destinés à être ouverts à l’urbanisation et suffisamment équipés en périphérie pour permettre la construction. Dans le cas d’espèce, le règlement du plan local d’urbanisme rendait les constructions possibles en zone 1AU, le secteur faisant même l’objet d’une orientation d’aménagement et de programmation qui « prévoyait le développement d’un quartier à vocation résidentielle » et fixait un calendrier de viabilisation. Le passage en zone 2AU, réservée aux secteurs dont les équipements ne sont pas suffisants, a eu pour conséquence directe de rendre cette programmation « caduque » et de « conditionner l’urbanisation de la zone à une procédure de révision ou de modification du PLU ».

C’est cette analyse des effets concrets de la délibération qui permet au juge de déterminer la nature véritable de la modification. Plutôt que de s’en tenir à un examen formel du changement de dénomination de la zone, il examine l’impact sur les droits à construire des propriétaires. La suspension de l’ouverture à l’urbanisation, désormais soumise à une décision future et incertaine de la collectivité, est interprétée non comme un simple ajustement, mais comme une régression des possibilités de construire. La Cour opère ainsi une qualification matérielle de la modification, fondée sur ses conséquences directes pour les terrains concernés.

B. La censure du recours à la procédure de modification simplifiée

Une fois établie la diminution des possibilités de construire, la censure de la procédure suivie par la commune devient inéluctable. L’article L. 153-45 du code de l’urbanisme réserve la procédure de modification simplifiée aux cas qui ne relèvent pas de l’article L. 153-41 du même code. Or, ce dernier article impose expressément le recours à une procédure de modification de droit commun, incluant une enquête publique, lorsque le projet « a pour effet (…) de diminuer ces possibilités de construire ». En l’espèce, la Cour juge que le passage de la zone 1AU à la zone 2AU entre précisément dans ce champ d’application.

La décision de la Cour d’appel constitue un rappel à l’ordre sur le respect de la hiérarchie des normes procédurales en matière d’urbanisme. La procédure simplifiée, plus souple et rapide pour l’administration, ne peut être utilisée que pour des ajustements mineurs du plan local d’urbanisme. Dès lors qu’une modification porte atteinte, même potentiellement, aux droits des propriétaires ou réduit la constructibilité d’une zone, le législateur a prévu des garanties procédurales plus fortes, au premier rang desquelles figure l’enquête publique. L’arrêt affirme ainsi que la commune a commis une erreur de droit en choisissant une procédure inadaptée à l’objet réel de sa délibération. L’illégalité de la décision est donc la conséquence directe de cette analyse, sans qu’il soit besoin pour le juge d’examiner les autres moyens soulevés.

La solution, bien que techniquement centrée sur le choix de la procédure, a une portée qui dépasse ce seul cadre et vient renforcer les garanties accordées aux citoyens face aux évolutions des documents d’urbanisme.

II. La portée de la solution : une protection accrue des droits des administrés

L’arrêt, en censurant le recours à la procédure simplifiée, réaffirme l’importance des garanties procédurales (A) et protège ainsi les attentes légitimes des propriétaires concernés par les documents de planification (B).

A. La réaffirmation de la fonction de garantie de l’enquête publique

En imposant le recours à la procédure de droit commun, la Cour administrative d’appel souligne indirectement mais fermement le rôle essentiel de l’enquête publique. Cette phase de la procédure n’est pas une simple formalité ; elle constitue un instrument de participation du public et de protection des droits des tiers. Elle permet aux personnes concernées d’être informées du projet de l’administration, de formuler des observations et de faire valoir leurs arguments avant que la décision ne soit prise. Dans un cas comme celui-ci, où les possibilités de construire sont diminuées, l’enquête publique offre aux propriétaires une plateforme pour contester l’opportunité ou les modalités du projet de déclassement de leurs terrains.

La décision renforce ainsi l’idée que toute mesure ayant un impact négatif sur la constructibilité d’un terrain doit être soumise au débat public. Elle empêche les communes de réduire de manière substantielle les droits à construire par le biais d’une procédure accélérée et moins transparente. Ce faisant, l’arrêt s’inscrit dans une logique de préservation de l’équilibre entre les prérogatives de puissance publique des collectivités en matière de planification et le droit de propriété, qui inclut une certaine prévisibilité quant à l’usage des sols.

B. La consolidation des attentes légitimes des propriétaires en zone 1AU

Bien qu’un plan local d’urbanisme soit par nature un document évolutif et ne confère pas de droits acquis à son maintien, le classement d’un terrain en zone 1AU crée une attente légitime pour son propriétaire. Ce classement signifie que la collectivité a non seulement projeté l’urbanisation de ce secteur, mais a également estimé que les conditions techniques pour cette urbanisation étaient réunies ou imminentes. Le passage en zone 2AU, qui revient à ajourner sine die ce projet, constitue une remise en cause significative de cette perspective.

L’arrêt commenté, en exigeant une procédure plus lourde et plus protectrice pour opérer un tel changement, confère une certaine solidité au statut conféré par un classement en zone 1AU. Il ne s’agit pas d’interdire à la commune de revoir ses orientations en matière d’aménagement, mais de l’obliger à le faire en suivant un processus qui garantit l’information et la participation des personnes directement affectées par ce changement de stratégie. La solution apparaît donc comme un juste équilibre, qui préserve la liberté de l’administration tout en la soumettant à des contraintes procédurales proportionnées à l’impact de ses décisions sur la situation des administrés. Elle confirme ainsi que le droit de l’urbanisme, s’il organise la planification, doit également composer avec la stabilité nécessaire aux projets des propriétaires fonciers.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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