Cour d’appel administrative de Nancy, le 19 décembre 2024, n°22NC02357

Par un arrêt en date du 19 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Nancy a statué sur les conditions de report des déficits fonciers et sur la portée des garanties offertes aux contribuables. En l’espèce, des contribuables propriétaires de plusieurs immeubles ont réalisé des travaux de rénovation entre 2005 et 2007, avant de mettre ces biens en location à partir de 2012. Lors de leur déclaration de revenus pour l’année 2015, ils ont majoré le déficit foncier reportable d’un montant de 90 526 euros, correspondant selon eux à ces dépenses de travaux. À la suite d’un contrôle sur pièces portant sur les années 2016 et 2017, l’administration fiscale a remis en cause cette majoration, considérant que le montant du déficit reportable avait été erronément augmenté. Les impositions supplémentaires en résultant ont été contestées par les contribuables. Saisi par ces derniers, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande de décharge par un jugement du 31 mai 2022. Les contribuables ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant d’une part que la réalité des travaux était suffisamment établie par des pièces de procédure antérieures et d’autre part, que l’administration était liée par une prise de position formelle quant à la déductibilité future de ces dépenses. La question de droit soumise à la Cour était double : elle devait d’abord déterminer si un contribuable est dispensé de prouver la nature et le montant de dépenses de travaux à l’origine d’un déficit foncier reporté au seul motif que l’administration, lors d’une procédure antérieure, n’avait pas contesté ces éléments. Ensuite, il lui appartenait de décider si une déclaration de l’administration, indiquant qu’elle ne refuserait pas une déduction à l’avenir sous certaines conditions, constituait une prise de position formelle opposable sur le fondement de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales. La Cour administrative d’appel a rejeté la requête, jugeant que la charge de la preuve de la nature et du montant des dépenses incombe au contribuable, et qu’une simple déclaration conditionnelle de l’administration ne saurait constituer une prise de position formelle engageante. Il convient d’analyser la solution retenue par la Cour, laquelle réaffirme la rigueur exigée en matière de preuve du déficit foncier (I), avant de confirmer l’interprétation stricte de la notion de prise de position formelle de l’administration (II).

I. La réaffirmation des exigences probatoires en matière de déficit foncier

La décision de la Cour administrative d’appel rappelle avec fermeté les règles gouvernant la justification des déficits fonciers reportés. Elle confirme d’abord la légitimité du contrôle opéré par l’administration sur des déficits nés au cours d’exercices prescrits (A), pour ensuite souligner la défaillance probatoire du contribuable quant à la réalité des dépenses alléguées (B).

A. Le droit de contrôle de l’administration sur les déficits prescrits

La Cour fonde son raisonnement sur la mécanique du report déficitaire, qui autorise un contribuable à imputer sur les revenus d’une année non prescrite des déficits générés au cours d’années antérieures, fussent-elles couvertes par la prescription. En contrepartie de cette faculté, l’administration dispose du droit de vérifier la réalité et le montant de ces déficits anciens. Comme le rappelle l’arrêt, cette prérogative permet à l’administration de « remettre en cause, le cas échéant, les résultats prétendument déficitaires d’années prescrites ». Une telle rectification n’a pas pour effet de modifier l’imposition des années prescrites, mais vise uniquement à « réduire ou de supprimer les reports déficitaires opérés sur des années non prescrites ». Cette solution, classique en droit fiscal, est une garantie pour le Trésor public. Elle évite que le mécanisme du report déficitaire ne devienne un moyen de cristalliser des déficits non justifiés ou frauduleux à l’abri de la prescription. L’arrêt réitère ainsi une jurisprudence constante qui établit un équilibre entre les droits du contribuable et le pouvoir de contrôle de l’administration.

B. La charge de la preuve incombant au contribuable

Le cœur du litige portait sur la preuve des dépenses de travaux. Les requérants avançaient que des documents de procédures antérieures, dans lesquels l’administration ne s’était opposée à la déduction qu’en raison de l’absence de mise en location des biens, valaient reconnaissance implicite de la réalité et du montant des travaux. La Cour écarte cet argument avec force en relevant que les requérants « n’apportent aucun élément de preuve sur la nature des travaux qu’ils ont effectués ni sur le montant des dépenses déductibles à l’origine de ces déficits fonciers ». Ce faisant, elle refuse de déduire d’une absence de contestation antérieure une quelconque validation des dépenses par l’administration. La charge de la preuve pèse entièrement sur le contribuable qui entend bénéficier d’une déduction fiscale. Il ne peut se contenter d’invoquer le silence de l’administration sur un point particulier lors d’un contrôle précédent pour se considérer comme dispensé de fournir les justificatifs nécessaires lors d’un contrôle ultérieur. La solution est rigoureuse mais juridiquement fondée : chaque procédure fiscale est indépendante, et le fait que l’administration ait concentré son argumentation sur un motif de redressement ne signifie pas qu’elle a validé tous les autres aspects de la déclaration.

II. L’interprétation stricte de la garantie contre les prises de position de l’administration

Le second axe de l’argumentation des contribuables reposait sur la garantie prévue à l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales. La Cour rejette également ce moyen en adoptant une lecture restrictive de la notion de prise de position formelle, qu’elle refuse de déduire d’une absence de contestation (A) comme d’une déclaration purement conditionnelle (B).

A. Le rejet d’une prise de position formelle implicite

Les requérants soutenaient que le fait pour l’administration, dans une proposition de rectification antérieure, de n’avoir soulevé que le motif tiré de la réserve de jouissance pour refuser la déduction des travaux, valait prise de position implicite sur le caractère déductible desdites dépenses une fois le bien loué. La Cour rejette cette analyse en affirmant que cette circonstance « n’implique pas, contrairement à ce que soutiennent les requérant, qu’elle ait pris implicitement une position, au sens de l’article L. 80-B précité, sur la nature et le montant des dépenses de travaux en litige ». Pour qu’il y ait prise de position formelle, il faut une manifestation de volonté expresse et non équivoque de l’administration sur une situation de fait précise au regard d’un texte fiscal. Le silence ou l’absence de contestation sur un point ne saurait être interprété comme une prise de position engageant l’administration pour l’avenir. Cette approche préserve la portée de la garantie de l’article L. 80 B, qui ne doit pas devenir un instrument permettant de lier l’administration par ses silences.

B. L’absence de garantie issue d’une déclaration conditionnelle

De manière plus déterminante, les contribuables se prévalaient d’une phrase écrite par l’administration selon laquelle, « le moment venu, l’administration ne refuserait pas la déduction des dépenses ou des travaux en question pour peu que les biens en question soient donnés en location et que la réalité de ces locations soit justifiée ». La Cour juge qu’une telle formulation « ne saurait valoir prise de position formelle au sens des dispositions précitées de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales ». Une déclaration hypothétique et conditionnelle, qui se borne à rappeler les conditions légales d’une déduction sans se prononcer sur l’éligibilité effective des dépenses présentées par le contribuable, ne constitue pas une analyse d’une situation de fait déterminée. Pour être opposable, la prise de position doit être inconditionnelle et porter sur des éléments que le contribuable a précisément soumis à l’appréciation de l’administration. En refusant de voir une garantie dans une simple déclaration de principe, la Cour rappelle aux contribuables qu’ils ne peuvent se fier à des assurances générales et qu’ils doivent solliciter des réponses précises sur des situations de fait clairement exposées pour pouvoir ensuite s’en prévaloir.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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