Cour d’appel administrative de Marseille, le 27 juin 2025, n°22MA02052

Par un arrêt en date du 27 juin 2025, la cour administrative d’appel de Marseille a précisé les modalités d’indemnisation d’un agent public, victime d’un accident survenu dans le cadre de son activité de sapeur-pompier volontaire. En l’espèce, un infirmier et sapeur-pompier volontaire a été grièvement blessé par la chute du portail d’un funérarium communal, ouvrage public mis à la disposition du service d’incendie et de secours. La victime a alors recherché la responsabilité pour faute de la collectivité territoriale. Par un jugement du 24 mai 2022, le tribunal administratif de Nice a reconnu la responsabilité de la commune pour défaut d’entretien normal, tout en retenant une part de responsabilité des constructeurs de l’ouvrage. Insatisfaite du montant des réparations allouées, la victime a interjeté appel. La commune a formé un appel incident, contestant sa responsabilité et le montant des préjudices, tandis que l’établissement public de santé employeur de la victime et les constructeurs ont également formé des appels provoqués. Il appartenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si un sapeur-pompier volontaire, victime d’un accident imputable à un défaut d’entretien d’un ouvrage public, peut prétendre à la réparation intégrale de ses préjudices sur le fondement du droit commun, malgré l’existence d’un régime d’indemnisation forfaitaire spécifique. Se posait également la question de la recevabilité de l’appel provoqué d’un tiers payeur dont la situation n’est pas aggravée par l’appel principal de la victime. La cour administrative d’appel répond positivement à la première question, en affirmant que le régime spécial d’indemnisation n’exclut pas une action de droit commun. Elle répond négativement à la seconde, en jugeant irrecevable l’appel provoqué de l’hôpital. La décision permet ainsi de réaffirmer le droit à la réparation intégrale pour la victime d’un ouvrage public (I), tout en précisant les conséquences procédurales et financières qui en découlent pour les autres parties à l’instance (II).

I. La réaffirmation du droit à la réparation intégrale pour la victime d’un ouvrage public

La cour confirme d’abord le droit d’agir de la victime sur le fondement de la responsabilité administrative classique (A), avant de retenir sans surprise l’existence d’un défaut d’entretien normal imputable à la commune (B).

A. Le droit d’option ouvert entre régime spécial et action de droit commun

L’arrêt applique avec clarté les dispositions relatives à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires. La loi du 31 décembre 1991 institue un régime de réparation forfaitaire des préjudices subis en service. Toutefois, la cour rappelle que ce régime n’est pas exclusif. Elle énonce en effet que ces dispositions « ne font, en revanche, pas obstacle à ce que le sapeur-pompier volontaire qui subit, du fait de l’invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d’une autre nature ou des préjudices personnels obtienne de la personne publique auprès de laquelle il est engagé, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire ».

La juridiction souligne surtout la possibilité d’engager « une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage ». Cette action est ouverte lorsque l’accident est imputable à une faute de la personne publique ou, comme en l’espèce, à l’état défectueux d’un ouvrage public. Ayant constaté que la victime n’avait pas opté pour le régime forfaitaire spécifique, la cour en déduit logiquement qu’il était recevable à rechercher la responsabilité de la collectivité sur le terrain du défaut d’entretien normal. Cette solution réaffirme un principe fondamental de libre choix pour la victime, qui peut préférer la voie de la réparation intégrale, potentiellement plus complète que l’indemnisation forfaitaire.

B. La caractérisation d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage

Une fois le droit d’agir confirmé, la cour examine le fondement de la responsabilité de la commune. Elle qualifie la victime d’usager de l’ouvrage public, et le portail litigieux d’accessoire indispensable à cet ouvrage. Dans ce cadre, il appartient à la victime de prouver le lien de causalité entre l’ouvrage et le dommage, charge ensuite à la collectivité de s’exonérer en prouvant un entretien normal, la faute de la victime ou un cas de force majeure. En l’espèce, le rapport d’expertise judiciaire mettait en évidence une faiblesse dans la conception initiale du portail.

Néanmoins, la cour relève que la commune n’établit pas l’impossibilité alléguée de procéder à l’entretien de l’installation. L’expert avait en effet précisé « qu’un entretien et des visites annuelles de routine auraient permis de déceler les anomalies ». La juridiction en conclut que la commune ne rapporte pas la preuve d’un entretien normal de l’ouvrage, engageant ainsi sa responsabilité. Elle écarte par là même l’argument de la collectivité qui tentait de s’exonérer en imputant la cause exclusive du dommage aux constructeurs, rappelant ainsi l’obligation de surveillance et de maintenance qui pèse sur le gardien de l’ouvrage.

II. Les conséquences procédurales et financières de la responsabilité engagée

La décision se prononce ensuite sur l’évaluation des préjudices, tâche centrale des juges du fond (A), et statue de manière restrictive sur la recevabilité des appels provoqués, clarifiant une règle de procédure importante (B).

A. L’évaluation souveraine mais détaillée des chefs de préjudice

La partie la plus substantielle de l’arrêt est consacrée à la réévaluation des différents postes de préjudice de la victime. La cour administrative d’appel se livre à un examen minutieux de chaque demande, qu’il s’agisse des préjudices patrimoniaux, temporaires et permanents, ou des préjudices extra-patrimoniaux. Elle corrige sur plusieurs points l’appréciation des premiers juges, augmentant par exemple l’indemnisation au titre des pertes de gains professionnels actuels en tenant compte de la perte d’une chance sérieuse d’avancement de carrière.

Inversement, elle rejette certaines demandes jugées hypothétiques, comme la perte d’une pension future au titre de l’activité de sapeur-pompier, au motif que l’ancienneté requise n’était pas atteinte. Cette analyse détaillée, qui conduit à une augmentation significative de l’indemnité totale, illustre le rôle de contrôle de la cour d’appel sur l’évaluation des préjudices. Elle confirme que si cette évaluation relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, elle doit reposer sur des justifications précises et un lien de causalité direct et certain avec l’accident.

B. L’application stricte des conditions de recevabilité de l’appel provoqué

L’un des apports notables de l’arrêt réside dans sa position sur la recevabilité de l’appel provoqué formé par l’établissement hospitalier. La cour rappelle la règle selon laquelle un tel appel « est recevable dès lors que l’appel principal est accueilli, que les conclusions ne soulèvent pas un litige distinct et que la décision rendue sur l’appel principal est susceptible d’aggraver la situation de l’auteur de l’appel provoqué ». En l’espèce, l’appel de la victime visait uniquement à augmenter le montant de l’indemnité due par la commune.

La cour juge que cette demande n’aggrave pas la situation de l’établissement hospitalier, tiers payeur. Elle rejette en outre l’analogie que ce dernier tentait d’établir avec le régime plus favorable dont bénéficient les caisses de sécurité sociale. Cette interprétation stricte des conditions de recevabilité de l’appel provoqué a pour effet de clore la discussion au stade de l’appel pour les parties qui, n’ayant pas fait appel principal dans les délais, ne peuvent démontrer que leur situation est dégradée par l’appel d’un autre. La solution renforce la sécurité juridique en encadrant fermement les voies de recours accessoires.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture