Cour d’appel administrative de Marseille, le 25 avril 2025, n°24MA01910

Par un arrêt en date du 25 avril 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité du classement d’une parcelle en zone à risque élevé au sein d’un plan de prévention des risques naturels.

En l’espèce, un propriétaire foncier a vu ses terrains classés en « zone rouge », en raison d’un aléa fort d’éboulements et de ravinement, par un arrêté préfectoral du 16 mars 2020 approuvant un plan de prévention des risques naturels prévisibles. Cette décision limitait de manière drastique les possibilités de construction sur les parcelles concernées.

Le propriétaire a saisi le tribunal administratif de Nice afin d’obtenir l’annulation de cet arrêté en tant qu’il concernait ses biens. Par un jugement du 12 juin 2024, le tribunal a rejeté sa demande. Suite au décès du requérant initial, ses ayants droit ont interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision du préfet était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Ils faisaient valoir, notamment, l’absence de désordres historiques sur la propriété et contestaient l’analyse des risques effectuée par l’administration. Se posait alors la question de savoir si le classement d’un terrain en zone à risque élevé, fondé sur une analyse prospective et à l’échelle d’un secteur élargi, constituait une erreur manifeste d’appréciation lorsque aucun sinistre n’avait été constaté sur la parcelle elle-même et que certains indices de risque en étaient absents.

La cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle a jugé que l’administration n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en se fondant sur une méthodologie globale et sur des critères objectifs tels que la géologie et la pente, et ce, même en l’absence de sinistres passés sur les parcelles individuelles. La cour a ainsi validé l’approche préventive et sectorielle de l’autorité administrative.

Cette décision rappelle l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’administration dans l’élaboration des plans de prévention des risques (I), tout en précisant les limites du contrôle exercé par le juge administratif sur ces mesures techniques (II).

I. Le rappel de l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’administration en matière de risques naturels

La cour confirme la validité de l’approche adoptée par l’administration pour évaluer le danger, laquelle repose sur une méthodologie globale et prospective (A) et fait prévaloir la notion de danger potentiel sur l’absence de sinistralité avérée (B).

A. Une évaluation fondée sur une méthodologie globale et prospective

L’arrêt souligne que l’évaluation des risques ne saurait se limiter aux frontières d’une propriété privée ni se fonder uniquement sur son historique. En effet, l’autorité administrative a évalué les aléas sur « un espace géographique de l’ordre de 14 000 m² », démontrant une volonté de cohérence à l’échelle d’un secteur homogène du point de vue des risques. Cette approche permet de mutualiser les données et d’appréhender les phénomènes géologiques dans leur ensemble, sans être contraint par le découpage cadastral.

De surcroît, la cour valide le caractère prospectif de l’analyse. Elle écarte l’argument des requérants selon lequel l’absence de désordres sur une longue période suffirait à écarter tout risque futur. L’arrêt précise que « la circonstance, à la supposer établie, que la maison des requérants n’ait subi aucun désordre lié à des mouvements de terrains depuis plus de 100 ans, n’est pas de nature, à elle seule, à exclure la probabilité de survenance d’un tel risque à l’avenir ». Ce faisant, elle légitime une démarche préventive, fondée sur une probabilité d’occurrence, même pour des événements rares ou inédits à l’échelle d’une vie humaine.

B. La primauté du danger potentiel sur l’absence de sinistralité avérée

La décision illustre de manière concrète comment le risque est caractérisé à partir de facteurs objectifs, indépendamment de la survenance effective de dommages passés. Pour le risque d’éboulement, le juge retient comme pertinents les éléments géologiques et topographiques. Il constate que la présence de poudingues et d’une « pente, dont il est constant qu’elle se situe au versant Sud, présente un degré variable entre 20 et 40 degrés », suffit à considérer la probabilité d’occurrence comme forte.

Concernant le risque de ravinement, la cour admet que les parcelles litigieuses ne comportent pas de talwegs ou de ravines. Toutefois, elle relève que le préfet « a apprécié la nature du risque à l’échelle d’un secteur de 14 000 m² » et n’était donc pas tenu de s’arrêter à cette seule constatation. En se référant également au rapport d’expertise produit par les requérants eux-mêmes, qui admettait la nécessité d’un classement partiel en zone rouge, le juge conforte l’idée que l’analyse du risque doit primer sur l’observation ponctuelle des lieux.

Si la cour reconnaît ainsi une large latitude à l’administration dans son évaluation, elle n’en exerce pas moins un contrôle, dont elle délimite précisément la portée.

II. Les contours et l’application du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation

L’arrêt est une application orthodoxe du contrôle restreint du juge en matière technique (A), qui se traduit par le rejet d’une appréciation purement parcellaire au profit de la cohérence de la mesure de police (B).

A. La nature d’un contrôle restreint en matière technique

En matière de plan de prévention des risques, qui relève de la police administrative spéciale, le juge n’exerce qu’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation. Il ne substitue pas sa propre évaluation des risques à celle de l’administration. Son office se limite à sanctionner les erreurs grossières, celles qui apparaissent évidentes au vu des pièces du dossier. L’enjeu est de concilier la protection des personnes et des biens avec le respect de l’expertise technique de l’administration.

Dans cette affaire, la cour examine en détail chaque argument des requérants et chaque élément de l’analyse du préfet. Elle vérifie la cohérence du raisonnement administratif, la pertinence des données mobilisées et l’adéquation des conclusions tirées. Le fait que l’intensité du phénomène d’éboulement soit jugée « susceptible, d’être élevée » au regard de la nature des sols et des talus existants suffit à écarter toute erreur manifeste. Le juge valide une décision qui, sans être la seule possible, n’apparaît ni illogique ni inappropriée.

B. Le rejet d’une appréciation parcellaire au profit d’une cohérence sectorielle

La décision apporte un enseignement clair sur le niveau de granularité exigible dans la délimitation des zones de risque. Les requérants plaidaient implicitement pour une analyse micro-locale, voire intra-parcellaire, qui aurait pu conduire à un zonage plus favorable pour une partie de leurs terrains. La cour rejette cette vision, considérant que le préfet « n’avait pas à opérer une telle différenciation au sein d’une même parcelle ».

Cette solution est justifiée par la nature même du risque. Un mouvement de terrain est un phénomène qui dépasse les limites de propriété et doit être appréhendé de manière globale pour garantir l’efficacité des mesures de prévention. Un zonage trop morcelé serait non seulement complexe à mettre en œuvre, mais aussi potentiellement dangereux, en créant des ruptures artificielles dans la gestion du risque. En validant un classement uniforme à l’échelle de la parcelle, la cour privilégie la sécurité publique et la lisibilité de la réglementation d’urbanisme.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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