Par un arrêt en date du 14 mars 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité du retrait d’une délibération par laquelle une commune avait approuvé la cession d’un tènement foncier à une société privée. En l’espèce, une commune avait lancé un appel à projets pour la cession d’un ensemble immobilier, en partie relevant de son domaine public, en vue de la réalisation d’une opération de construction mixte. Une société avait été sélectionnée et, par une délibération du 11 décembre 2018, le conseil municipal avait approuvé la cession du bien à cette société, suivie de la signature d’un compromis de vente. Ultérieurement, la société a proposé des modifications substantielles à son projet initial. En conséquence, par une délibération du 6 mai 2021, le conseil municipal a décidé de renoncer à cette cession.
La société a saisi le tribunal administratif de Toulon d’une demande d’annulation de cette dernière délibération. Par un jugement du 26 octobre 2023, le tribunal a rejeté sa demande. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la délibération initiale avait créé des droits à son profit et que la décision de renonciation était entachée d’un détournement de pouvoir. La commune, en défense, a conclu au rejet de la requête. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si une collectivité territoriale peut légalement revenir sur son engagement de céder une dépendance de son domaine public lorsque le cocontractant modifie substantiellement le projet qui justifiait l’opération, au point de potentiellement compromettre la continuité du service public.
La cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle juge que la délibération initiale approuvant la cession ne conférait pas un droit acquis à l’acquéreur, notamment parce que la vente portait sur une dépendance du domaine public non encore déclassée. Elle estime en outre que la renonciation de la commune était justifiée par les modifications notables du projet, lesquelles étaient de nature à porter atteinte à la continuité des services publics dont le maintien conditionnait la cession.
La solution retenue par la cour rappelle ainsi la précarité des droits nés d’une promesse de vente portant sur le domaine public (I), tout en confirmant que la sauvegarde de l’intérêt général constitue un motif légitime de retrait pour l’administration (II).
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I. La précarité du droit à l’acquisition d’une dépendance domaniale
L’arrêt met en lumière le caractère conditionnel de l’engagement pris par une personne publique de céder un bien de son domaine public (A), ce qui exclut la constitution de droits acquis pour le bénéficiaire lorsque les termes du projet initial sont unilatéralement modifiés (B).
A. Le caractère conditionnel d’une promesse de vente portant sur le domaine public
La décision commentée souligne avec force que la cession d’un bien du domaine public obéit à un régime juridique strict qui déroge au droit commun de la vente. En l’espèce, une partie du tènement foncier promis à la vente comprenait des parcelles qui, accueillant des services municipaux et une agence postale, étaient « affectées à l’usage direct du public et relevaient ainsi de son domaine public ». Conformément au principe d’inaliénabilité posé par l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, un tel bien ne peut être cédé qu’après avoir été désaffecté et formellement déclassé.
La cour en déduit logiquement qu’une simple délibération approuvant le principe de la cession ne suffit pas à créer des droits certains au profit de l’acquéreur pressenti. Elle juge qu’« une telle délibération ne saurait être regardée comme conférant, par elle-même, à la personne qu’elle désigne comme l’acquéreur, un droit à la réalisation de la vente ». Cette solution, classique, rappelle que l’engagement de la personne publique reste subordonné à l’accomplissement des procédures de désaffectation et de déclassement. Même en recourant au mécanisme de déclassement anticipé prévu à l’article L. 2141-2 du même code, la promesse demeure précaire, la collectivité conservant la possibilité de maintenir le bien dans le domaine public pour un motif d’intérêt général.
B. L’absence de droits acquis face à la modification substantielle du projet
L’analyse de la cour ne se limite pas au statut du bien ; elle se porte également sur la cause même de l’engagement de la collectivité. La cession n’était pas une simple opération immobilière, mais le moyen de réaliser un projet d’aménagement précis, sélectionné à l’issue d’un appel à projets. Or, la société a, par la suite, proposé des « modifications notables de son projet en réduisant sensiblement la surface de plancher totale du projet dont celle affectée aux services municipaux, le nombre de logements, dont les logements sociaux, et de places de stationnement publiques ».
En agissant de la sorte, l’opérateur privé a rompu l’équilibre contractuel et modifié l’objet même de l’opération envisagée par la commune. La cour établit un lien direct entre le respect du projet initial et le maintien de l’engagement de la collectivité. La décision de vendre était intrinsèquement liée à la réalisation d’un programme spécifique répondant à des objectifs d’intérêt général. En s’écartant de ce programme, la société ne pouvait plus se prévaloir d’un droit à la réalisation de la vente, car les conditions qui avaient présidé à son choix n’étaient plus réunies. La précarité du droit de l’acquéreur est donc double : elle tient tant à la nature domaniale du bien qu’à l’obligation de respecter les finalités d’intérêt général poursuivies par la personne publique.
La cour confirme ainsi que la modification substantielle du projet par le cocontractant fragilise ses droits et ouvre la voie à une remise en cause de l’opération par la personne publique, fondée sur la sauvegarde de l’intérêt général.
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II. La justification du retrait par la sauvegarde de l’intérêt général
La décision de la cour administrative d’appel consacre la légitimité de la renonciation de la commune en se fondant sur la nécessité d’assurer la continuité du service public (A), tout en écartant l’argument d’un détournement de pouvoir (B).
A. La continuité du service public, motif légitime de retrait
L’apport principal de l’arrêt réside dans la reconnaissance explicite que la menace pesant sur la continuité des services publics justifie le retrait de la promesse de vente. La cour relève que les modifications envisagées par la société étaient « de nature à mettre en péril la continuité des services publics présents sur site ». Ce faisant, elle s’appuie sur les dispositions de l’article L. 3112-4 du code général de la propriété des personnes publiques, qui subordonne expressément la promesse de vente d’un bien du domaine public « à l’absence, postérieurement à la formation de la promesse, d’un motif tiré de la continuité des services publics (…) qui imposerait le maintien du bien dans le domaine public ».
Le raisonnement des juges est particulièrement pragmatique. Ils constatent qu’à la date de la délibération litigieuse, non seulement le projet initial était devenu « irréalisable » en raison d’un recours contentieux, mais surtout que les alternatives proposées par la société portaient directement atteinte aux objectifs de service public qui avaient motivé la cession. La réduction des surfaces allouées aux services municipaux et du nombre de places de stationnement publiques constituait une remise en cause des contreparties attendues par la collectivité. Par conséquent, la cour estime que c’est « sans méconnaître les dispositions précitées que la commune (…) a, par la délibération attaquée, renoncé à son engagement ». La protection de l’intérêt général prime ainsi sur les attentes, même légitimes en apparence, de l’opérateur économique.
B. Le rejet du détournement de pouvoir allégué
Face à une telle justification, l’argument tiré du détournement de pouvoir apparaissait difficile à soutenir. La société requérante avançait que la décision de retrait procédait en réalité d’une opposition politique du nouveau maire au projet. La cour écarte ce moyen de manière concise mais ferme, en relevant que l’allégation « n’est pas établi ». Elle prend soin de lier ce rejet aux faits de l’espèce, à savoir que « le projet initial avait été très nettement modifié par l’acquéreuse ».
Cette motivation illustre la démarche du juge administratif, qui, pour apprécier l’existence d’un détournement de pouvoir, ne se contente pas d’allégations sur les intentions de l’auteur de l’acte mais recherche si la décision repose sur des considérations d’intérêt général objectivement vérifiables. En l’occurrence, les modifications substantielles du projet constituaient un motif légal et suffisant pour justifier la renonciation. L’existence d’un tel motif objectif suffit à écarter l’hypothèse selon laquelle la décision aurait été prise dans un but exclusivement étranger à l’intérêt public. La cour se refuse à sonder les mobiles politiques de l’administration dès lors que sa décision est matériellement justifiée par des faits pertinents et fondée sur un motif de droit opérant.