Par un arrêt en date du 10 janvier 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur l’étendue des obligations d’une commune au titre des pouvoirs de police du maire face à un risque d’éboulement dont l’imminence était contestée. En l’espèce, une société civile immobilière avait acquis de nombreuses années auparavant plusieurs parcelles d’une commune, situées à flanc de calanque. À la suite de deux glissements de terrain successifs, le maire avait pris un arrêté interdisant l’accès à ces propriétés pour des raisons de sécurité. S’appuyant sur des rapports d’expertise judiciaire, la société propriétaire a formellement demandé au maire de réaliser des travaux de confortement de la falaise afin de sécuriser la zone. Face au rejet implicite de sa demande, la société a saisi le tribunal administratif.
Par un jugement en date du 23 juin 2022, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à la demande de la société, annulant la décision de refus du maire et enjoignant à la commune de procéder aux travaux de confortement dans un délai d’un an. La commune a interjeté appel de ce jugement, contestant la recevabilité de la demande initiale et le bien-fondé de la décision des premiers juges. Elle soutenait notamment qu’une clause de l’acte de vente initial interdisait à la société d’agir en justice contre elle et que le danger n’était plus imminent, rendant toute action superfétatoire. La question de droit qui se posait alors à la cour était de savoir dans quelle mesure l’existence d’expertises contradictoires sur la réalité et l’imminence d’un péril naturel affecte l’obligation pour le maire de prescrire des mesures de sûreté sur le fondement de ses pouvoirs de police générale.
À cette question, la cour administrative d’appel répond en décidant de surseoir à statuer. Elle estime être « insuffisamment informée sur le caractère grave et imminent du danger » ainsi que sur les mesures qui seraient nécessaires pour y remédier. Par conséquent, elle ordonne une nouvelle expertise afin d’éclairer sa décision sur ces points techniques essentiels avant de se prononcer sur le fond du litige.
Cette décision, si elle ne tranche pas le débat au fond, illustre la tension entre le principe de la responsabilité administrative en matière de police et la nécessaire appréciation souveraine du juge face à des incertitudes techniques. La cour réaffirme ainsi les fondements de l’obligation d’agir qui pèse sur l’autorité de police (I), tout en faisant preuve d’une grande prudence en conditionnant sa décision finale à l’obtention de certitudes techniques (II).
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I. La confirmation des principes directeurs de la police administrative
La cour administrative d’appel, avant de se déclarer insuffisamment informée, prend soin de valider l’analyse des premiers juges sur deux points fondamentaux. Elle rappelle ainsi le caractère impératif de l’obligation d’agir qui incombe au maire face à un danger avéré pour la sécurité publique (A), et écarte logiquement les obstacles contractuels qui lui étaient opposés (B).
A. Le devoir d’intervention du maire face aux risques naturels
La décision commentée s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui fait peser sur le maire une obligation d’agir pour garantir la sécurité publique. Le fondement de cette obligation réside dans les dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, qui confient à l’autorité de police municipale la mission de prévenir les accidents et fléaux calamiteux. L’arrêt rappelle que cette mission inclut spécifiquement « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser […] les éboulements de terre ou de rochers ».
En l’espèce, le tribunal administratif avait, en première instance, appliqué cette règle sans détour, en enjoignant à la commune de réaliser des travaux. La cour d’appel ne remet pas en cause ce principe. L’existence passée de glissements de terrain, la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et les conclusions de plusieurs expertises, même divergentes, suffisent à établir l’existence d’un risque. Dès lors, l’inaction du maire est susceptible de constituer une carence fautive. La question n’est donc pas de savoir *si* le maire doit agir, mais *quand* et *comment*. La cour confirme que le maire ne peut rester passif face à un tel risque documenté.
B. L’inopposabilité d’une clause contractuelle à une obligation d’ordre public
La cour écarte avec fermeté l’une des fins de non-recevoir soulevées par la commune, qui se prévalait d’une clause de l’acte de vente de 1977 par laquelle la société s’engageait à ne pas exercer de recours contre elle au sujet de l’état géologique des sols. La solution est juridiquement imparable et rappelle un principe fondamental du droit administratif. Les pouvoirs de police administrative sont des prérogatives de puissance publique, exercées dans un but d’intérêt général et ayant un caractère d’ordre public.
Par conséquent, une personne publique ne peut s’en défaire par la voie contractuelle. La renonciation de la société, quand bien même elle serait valable en droit privé, ne peut faire obstacle à l’exercice d’une action visant à contraindre l’autorité administrative à user de ses pouvoirs de police. La sécurité publique n’est pas une chose qui se négocie. En jugeant que cette clause « ne fait pas obstacle à ce que cette société puisse demander l’annulation de la décision implicite de rejet », la cour réaffirme la primauté des obligations d’ordre public sur les conventions privées, même lorsque la personne publique est partie au contrat.
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II. La prudence du juge face à l’incertitude sur la gravité du péril
Si la cour confirme les principes de la responsabilité administrative, elle refuse cependant de suivre aveuglément le raisonnement des premiers juges. Elle met en lumière l’incertitude factuelle qui entoure le litige, laquelle justifie, à ses yeux, de ne pas ordonner immédiatement des mesures de travaux. Cette position révèle l’importance de la caractérisation précise du danger (A) et consacre le recours à l’expertise comme un outil indispensable à la prise de décision en matière de risques complexes (B).
A. L’absence de certitude sur le caractère imminent du danger
Le cœur de la décision d’appel réside dans le constat d’une incertitude technique insurmontable en l’état du dossier. La cour relève avec soin les contradictions entre les différents rapports d’expertise. Alors qu’un expert évoquait un « danger imminent » pour certaines constructions, l’autre décrivait un « talus faiblement actif », et tous deux proposaient des solutions techniques différentes. De surcroît, la cour note qu’aucun mouvement de terrain n’a été constaté depuis plus de dix ans.
Cette divergence est fatale à la thèse de la société requérante à ce stade de la procédure. Pour qu’un maire soit contraint d’agir sur le fondement de l’article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, l’existence d’un « danger grave ou imminent » doit être établie avec un degré de certitude suffisant. Face à des analyses d’experts contradictoires et à l’absence d’incident récent, le juge d’appel considère qu’il ne dispose pas des éléments lui permettant de forger sa conviction. Il ne peut se substituer aux experts pour trancher un débat technique aussi complexe. Il en conclut être « insuffisamment informée sur le caractère grave et imminent du danger ».
B. Le recours à l’expertise comme mesure de bonne administration de la justice
Face à cette incertitude, la cour adopte une solution pragmatique en ordonnant une nouvelle expertise. Cet arrêt, qualifié d’« avant-dire droit », ne tranche pas le litige mais vise à éclairer la religion du juge. La mission confiée à l’expert est particulièrement précise. Il devra se prononcer non seulement sur le caractère grave et imminent du danger à la date de la décision implicite de refus du maire en 2020, mais également sur l’état actuel du risque et les mesures adéquates pour y parer.
Cette démarche démontre la volonté du juge de fonder sa décision sur des éléments objectifs et actualisés. Plutôt que de confirmer une injonction de travaux potentiellement disproportionnée ou inutile, ou d’annuler purement et simplement le jugement de première instance au risque de méconnaître un danger réel, la cour choisit une voie médiane. Cette décision d’espèce illustre la méthode du juge administratif, qui, face à un enjeu de sécurité publique majeur mais techniquement incertain, préfère suspendre sa décision pour s’assurer que les mesures qu’il pourrait ordonner seront à la fois nécessaires et strictement proportionnées au risque.