Cour d’appel administrative de Lyon, le 9 juillet 2025, n°24LY02039

Par un arrêt en date du 9 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Lyon se prononce sur les modalités d’exécution forcée d’une décision de justice administrative, confrontée à l’inertie prolongée d’une autorité municipale. En l’espèce, une société s’était vu opposer un refus de permis de construire par une maire pour la réalisation d’un projet immobilier. Saisi par la société, le tribunal administratif de Lyon avait annulé ce refus par un jugement du 16 février 2023, et avait enjoint à la commune de délivrer l’autorisation d’urbanisme sollicitée.

La commune avait interjeté appel de ce jugement, mais la cour administrative d’appel de Lyon avait rejeté son recours par un arrêt du 2 juillet 2024. Le pourvoi en cassation formé par la commune contre cet arrêt d’appel n’a pas été admis par le Conseil d’État par une décision du 5 mars 2025, conférant ainsi un caractère définitif à l’obligation d’exécuter le jugement de première instance. Face à l’absence de délivrance du permis de construire, la société pétitionnaire a saisi la cour d’une demande d’exécution. Par un premier arrêt d’exécution en date du 4 mars 2025, la cour a assorti l’injonction d’une astreinte de 150 euros par jour de retard. L’inexécution persistante de la part de la commune a conduit la société à saisir de nouveau la cour afin de voir liquider l’astreinte et en augmenter le taux.

Le problème de droit soulevé par cette affaire est de déterminer dans quelle mesure le juge administratif, confronté à l’inertie délibérée d’une administration, peut user de son pouvoir d’astreinte pour garantir la pleine effectivité d’une injonction qu’il a préalablement prononcée.

À cette question, la cour administrative d’appel répond en procédant, d’une part, à la liquidation de l’astreinte initialement fixée en raison de l’inexécution constatée et, d’autre part, en majorant substantiellement le taux de cette astreinte pour l’avenir afin de vaincre la résistance de l’administration. La décision illustre ainsi la gradation des outils à la disposition du juge pour assurer le respect de l’autorité de la chose jugée, en tirant les conséquences financières de l’inexécution passée (I), avant de renforcer la contrainte exercée pour garantir l’exécution future (II).

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I. La sanction de l’inexécution avérée : une conséquence financière inéluctable

La décision de la cour tire la conséquence logique de l’absence de toute diligence de la part de l’administration condamnée. Cette démarche se fonde d’abord sur une constatation formelle du manquement (A), qui déclenche ensuite une liquidation mécanique de la pénalité financière (B).

A. La constatation formelle du défaut d’exécution

L’office du juge de l’exécution consiste en premier lieu à vérifier si l’obligation contenue dans la décision de justice a été satisfaite dans le délai imparti. En l’espèce, la cour relève que la commune, débitrice de l’obligation de délivrer un permis de construire, n’a fourni aucun élément probant. Elle énonce que « La commune de Décines-Charpieu n’a pas communiqué à la cour copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la décision du 16 février 2023 ».

De cette absence de justification, le juge déduit une présomption irréfragable de carence. La charge de la preuve de l’exécution pèse en effet sur l’administration condamnée. En gardant le silence et en s’abstenant de produire le permis de construire qu’elle aurait dû émettre, la collectivité s’expose à ce que son inaction soit officiellement reconnue. La cour conclut ainsi logiquement qu’elle « doit être, par suite, regardée comme n’ayant pas exécuté cette décision ». Cette constatation, qui clôt la phase d’analyse de la situation passée, ouvre nécessairement la voie à la sanction financière qui avait été fixée à titre préventif.

B. La liquidation de l’astreinte provisoire

Une fois le manquement établi, la liquidation de l’astreinte provisoire s’impose au juge comme une suite nécessaire, conformément à l’article L. 911-7 du code de justice administrative. La cour procède à un calcul purement arithmétique en fonction du taux journalier et de la période d’inexécution. Elle juge qu’« il y a lieu, dès lors, de procéder au bénéfice de la société Cezam à la liquidation provisoire de l’astreinte pour la période du 5 mai au 9 juillet 2025, au taux de 150 euros par jour de retard, soit 9 900 euros ».

Si le juge dispose du pouvoir de modérer ou de supprimer une astreinte provisoire, même en cas d’inexécution, il choisit ici de ne pas en faire usage. Cette absence de modération témoigne déjà d’une appréciation défavorable du comportement de la commune. En appliquant le taux dans sa plénitude, la cour envoie un premier signal de fermeté. Toutefois, cette liquidation ne règle que le passé et ne résout pas l’enjeu principal : l’obstruction continue de l’administration, qui appelle une réaction plus vigoureuse pour l’avenir.

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II. Le renforcement de la contrainte face à une résistance caractérisée

Confrontée à une situation de blocage qui perdure malgré une première condamnation pécuniaire, la cour décide d’intensifier la pression sur l’administration défaillante. Cette intensification se manifeste par une majoration significative du taux de l’astreinte (A), qui réaffirme avec force la portée du pouvoir coercitif du juge administratif (B).

A. La majoration du taux de l’astreinte, une mesure dissuasive

Le cœur de la décision réside dans l’augmentation spectaculaire du montant de la pénalité journalière. Le juge ne se contente plus de la menace initiale, devenue manifestement insuffisante, et adapte son outil de contrainte à l’opiniâtreté de la résistance qu’il rencontre. Il considère en effet qu’« il y a lieu par ailleurs, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment du mauvais vouloir persistant opposé par la commune de Décines-Charpieu, de porter (…) le taux de l’astreinte (…) à 1 000 euros par jour de retard ».

Le passage d’un taux de 150 euros à 1 000 euros par jour constitue un changement d’échelle destiné à rendre le coût de l’inexécution prohibitif pour le budget de la collectivité. L’emploi de l’expression « mauvais vouloir persistant » est particulièrement notable. Elle qualifie une attitude qui excède la simple négligence ou le retard administratif pour caractériser une opposition consciente et durable à l’autorité de la chose jugée. C’est cette défiance caractérisée qui justifie le durcissement de la mesure coercitive, dont le but reste d’obtenir l’exécution en nature.

B. La portée du pouvoir d’injonction et d’astreinte du juge administratif

Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt est une illustration de la vitalité des pouvoirs d’injonction et d’astreinte confiés au juge administratif depuis la loi du 8 février 1995. Ces prérogatives sont essentielles pour garantir l’effectivité de ses décisions et éviter que les condamnations prononcées à l’encontre de l’administration ne demeurent lettre morte. Le juge n’est plus seulement celui qui dit le droit, mais aussi celui qui s’assure de son application concrète.

La gradation de la réponse juridictionnelle – injonction simple, puis injonction sous astreinte modérée, et enfin astreinte fortement majorée – démontre une utilisation réfléchie et proportionnée de la force coercitive. La décision rappelle que si l’administration bénéficie du privilège du préalable, elle reste soumise au principe de légalité et au respect des décisions de justice. En sanctionnant fermement une obstruction délibérée, la cour administrative d’appel de Lyon réaffirme que le juge de l’exécution est le garant ultime de l’État de droit face à toute tentative de l’administration de s’y soustraire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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