Cour d’appel administrative de Lyon, le 9 juillet 2025, n°23LY02840

Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 9 juillet 2025 offre un éclaircissement sur l’étendue du pouvoir discrétionnaire des autorités locales en matière de classement des sols dans un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, des propriétaires contestaient la délibération d’un établissement public de coopération intercommunale ayant approuvé un plan classant une de leurs parcelles en zone agricole. Ce terrain, d’une superficie modeste et jouxtant leur résidence, se trouvait à la lisière d’un hameau et à l’état naturel, s’ouvrant sur un vaste espace non urbanisé. Les requérants soutenaient que ce classement était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation et incohérent avec les objectifs du projet d’aménagement et de développement durables.

Saisis en première instance, les juges du tribunal administratif de Grenoble avaient rejeté la demande par un jugement du 3 juillet 2023. Les propriétaires ont alors interjeté appel, reprenant pour l’essentiel les mêmes moyens. Ils arguaient que le classement en zone agricole d’une parcelle dépourvue de potentiel agronomique et située en bordure d’une zone déjà urbanisée contrevenait à la logique de développement modéré prônée pour ce secteur par le projet d’aménagement et de développement durables. La question de droit posée à la cour était donc de déterminer si le classement d’un terrain en zone agricole, justifié par une volonté de limiter l’étalement urbain, pouvait être considéré comme une erreur manifeste d’appréciation ou une incohérence avec les orientations du plan, alors même que la parcelle concernée ne présentait pas de valeur agricole intrinsèque.

La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant la légalité de la décision de classement. Elle juge que l’appréciation des auteurs du plan ne peut être censurée que si elle est manifestement erronée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Selon la cour, le classement contesté s’inscrit dans un parti d’aménagement global visant à fixer des limites claires à l’urbanisation et à préserver les espaces agricoles et naturels, un objectif en soi cohérent avec le projet de développement durable. Cette décision rappelle la marge d’appréciation dont disposent les autorités planificatrices et la nature du contrôle exercé par le juge administratif sur leurs choix. L’analyse de la décision révèle la primauté du parti d’aménagement sur les caractéristiques individuelles d’une parcelle (I), tout en confirmant la portée limitée du contrôle de cohérence exercé par le juge (II).

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I. La consécration d’un parti d’aménagement comme justification du classement

La cour valide le classement de la parcelle en zone agricole en se fondant principalement sur le parti d’aménagement retenu par les auteurs du plan. Cette approche permet de justifier la décision au regard d’une vision d’ensemble du territoire (A), reléguant au second plan les caractéristiques propres au terrain concerné (B).

A. La légitimation du zonage par une vision territoriale globale

Le juge administratif rappelle que « Il appartient aux auteurs d’un plan local d’urbanisme de déterminer le parti d’aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d’avenir ». En validant le classement, la cour ne s’attache pas à la seule parcelle en litige mais évalue la pertinence du choix au regard de la stratégie globale de la collectivité. Le rapport de présentation du plan précisait d’ailleurs que la délimitation de la zone agricole visait à maîtriser le développement urbain et à préserver l’activité agricole, en tenant compte des espaces agricoles existants.

Ainsi, le classement de la parcelle BT n° 337 n’est pas analysé comme une mesure isolée mais comme un élément d’une politique plus large. Cette politique vise à « fixer des limites intangibles à l’urbanisation » en s’appuyant sur la géographie des lieux. La parcelle, bien que petite, forme une continuité avec une vaste zone naturelle et agricole. Son classement en zone A permet donc de matérialiser une rupture nette avec l’espace urbanisé du hameau et d’éviter un phénomène de mitage que les auteurs du plan ont explicitement entendu combattre en dehors des zones de développement préférentiel.

B. La neutralisation des caractéristiques intrinsèques de la parcelle

Les requérants avançaient plusieurs arguments tenant à la nature de leur terrain : son absence de potentiel agronomique, sa situation en bordure de leur habitation et la présence de réseaux. La cour écarte ces éléments en considérant qu’ils ne sont pas déterminants. Elle admet que la parcelle puisse n’avoir « pas de vocation ou de potentiel agronomique ou de valeur agricole particulière ni ne serai[t] exploitée ». Cette affirmation est centrale, car elle dissocie la qualification de zone agricole de l’existence ou de l’exploitabilité d’une activité agricole effective.

Le classement en zone A, tel que défini par l’article R. 151-22 du code de l’urbanisme, vise à protéger les secteurs « en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ». La cour interprète cette disposition de manière fonctionnelle plutôt que littérale. La protection n’est pas subordonnée à un potentiel immédiat et avéré, mais peut se justifier par le rôle que joue la parcelle dans la préservation d’un équilibre territorial et la constitution d’une ceinture verte, conformément aux objectifs plus généraux de modération de la consommation d’espace.

II. Un contrôle juridictionnel restreint sur la cohérence du document d’urbanisme

Face aux arguments des requérants, la cour exerce un contrôle qui se veut à la fois global dans son approche de la cohérence (A) et limité à l’erreur manifeste dans son appréciation du fond (B), illustrant la déférence du juge envers le pouvoir d’appréciation de l’administration.

A. Une appréciation globale de la cohérence avec le projet de développement durable

L’article L. 151-8 du code de l’urbanisme impose que le règlement du plan local d’urbanisme soit cohérent avec le projet d’aménagement et de développement durables (PADD). Les requérants pointaient une contradiction entre le classement de leur parcelle et l’identification du hameau comme un « espace périurbain de développement modéré ». La cour répond en précisant la méthode d’analyse de cette cohérence, qui doit s’opérer « dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle du territoire couvert par le document d’urbanisme ».

Le juge refuse de constater une incohérence sur la base d’une simple inadéquation ponctuelle. Il met en balance les différentes orientations du PADD. Si ce dernier encourage un développement modéré, il en précise les formes : renouvellement urbain, comblement des dents creuses, et non l’urbanisation en extension. Le classement litigieux est donc jugé cohérent avec d’autres objectifs du PADD, tels que la maîtrise de l’étalement urbain et la préservation des paysages. L’un des objectifs n’efface pas les autres, et c’est à l’autorité planificatrice de les arbitrer, sous le contrôle d’un juge qui en vérifie l’équilibre général.

B. La censure limitée à l’erreur manifeste d’appréciation

La cour rappelle que l’appréciation des auteurs du plan « ne peut être censurée par le juge administratif que dans le cas où elle est entachée d’une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts ». Ce standard de contrôle restreint laisse une large marge de manœuvre à l’administration dans l’exercice de son pouvoir de planification. Le juge ne substitue pas sa propre appréciation à celle des élus, mais vérifie seulement que leur choix n’est pas manifestement déraisonnable.

En l’espèce, la distinction opérée par le PADD entre le comblement de « dents creuses » et l’urbanisation de « renfoncements » comme celui que constitue la parcelle litigieuse, est jugée suffisante pour écarter l’erreur manifeste. Le fait que le terrain se rattache à une vaste zone agricole et naturelle, malgré sa proximité avec une habitation, constitue une caractéristique objective justifiant le parti d’aménagement. En refusant de classer ce choix comme manifestement erroné, la cour confirme que la décision, même si elle est défavorable aux intérêts particuliers des propriétaires, repose sur une logique d’urbanisme cohérente et défendable.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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