Un propriétaire, après avoir déposé une déclaration préalable en vue de la division de son terrain en plusieurs lots, s’est vu opposer un sursis à statuer par le maire. Cette décision a été par la suite annulée par le tribunal administratif de Grenoble, dont le jugement fut confirmé par la cour administrative d’appel de Lyon. Parallèlement, le plan local d’urbanisme, qui classait le terrain concerné en zone naturelle, a également été annulé par la cour en raison d’une erreur manifeste d’appréciation. S’estimant victime de préjudices financiers du fait de ces décisions illégales, le propriétaire a engagé une action en responsabilité contre la commune. Sa demande a été rejetée en première instance par le tribunal administratif de Grenoble le 4 octobre 2022. Le requérant a donc interjeté appel de ce jugement, soutenant que les illégalités commises par la commune étaient la cause directe de ses préjudices, notamment les frais liés à un prêt relais contracté en prévision de l’opération immobilière. La commune, en défense, a fait valoir qu’en tout état de cause, le projet de division n’aurait pu être autorisé en raison de la non-conformité des lots projetés avec les dispositions de l’article 5 du règlement de la zone U5 du plan local d’urbanisme, qui imposait une superficie minimale pour les terrains non raccordés à l’assainissement collectif. La question de droit qui se posait à la cour administrative d’appel de Lyon était donc de savoir si la responsabilité d’une commune peut être engagée du fait de décisions d’urbanisme illégales, alors même que le projet du pétitionnaire aurait pu être légalement refusé pour un autre motif. Dans son arrêt du 6 mai 2025, la cour répond par la négative, considérant que l’existence d’un motif légal de refus, bien que non initialement opposé par l’administration, est de nature à rompre le lien de causalité entre la faute de la commune et les préjudices allégués par le requérant. Si la cour reconnaît sans difficulté la faute de l’administration (I), elle en écarte cependant les conséquences indemnitaires en retenant l’absence de lien de causalité direct avec les préjudices invoqués (II).
I. La reconnaissance d’une faute administrative privée d’effet indemnitaire
La cour administrative d’appel, tout en confirmant le caractère fautif des décisions prises par la commune (A), procède à une neutralisation de cette faute en constatant que le projet était de toute façon voué à l’échec pour un autre motif (B).
A. L’établissement indiscutable d’une double illégalité fautive
L’engagement de la responsabilité de l’administration suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre ces deux éléments. En l’espèce, la faute de la commune ne faisait guère de doute, celle-ci résultant de deux décisions administratives préalablement annulées par le juge administratif. La cour rappelle ainsi que le sursis à statuer du 5 octobre 2012 et la délibération approuvant le plan local d’urbanisme du 16 septembre 2013 ont fait l’objet d’annulations par des décisions de justice devenues définitives. Elle en déduit logiquement que « les illégalités ainsi relevées sont constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Montélier ». La cour prend également soin d’écarter l’argument de la commune tiré d’une prétendue imprudence du requérant qui aurait contracté des emprunts avant d’obtenir les autorisations d’urbanisme nécessaires, considérant que cette circonstance n’est pas de nature à avoir concouru à la réalisation des préjudices.
La faute de l’administration étant ainsi clairement établie et non susceptible d’être atténuée par le comportement de la victime, la voie de l’indemnisation semblait ouverte. C’était cependant sans compter sur l’analyse du lien de causalité à laquelle se livre le juge.
B. La neutralisation de la faute par l’existence d’un motif de refus alternatif
Le raisonnement de la cour s’articule autour de la recherche d’un lien de causalité direct et certain entre la faute et le préjudice. Pour ce faire, elle admet que l’administration puisse invoquer un motif qui, bien que non utilisé pour fonder sa décision initiale, aurait justifié légalement un refus. La cour énonce que « l’administration peut utilement faire valoir que le projet dont la mise en œuvre aurait été retardée par ces décisions illégales, n’aurait pas, pour un autre motif que ceux reconnus illégaux, pu être réalisé ». En l’occurrence, la commune soutenait que la déclaration préalable de division méconnaissait l’article 5 du règlement de la zone U5 du plan local d’urbanisme, lequel imposait une superficie minimale de 2000 m² pour les terrains nécessitant un assainissement autonome.
La cour examine alors la conformité du projet à cette règle. Elle constate que la déclaration préalable prévoyait la création de trois lots à bâtir d’une superficie largement inférieure à ce seuil. Elle en conclut que le projet « n’était, dès lors, pas conforme aux dispositions précitées de l’article 5 du règlement de la zone U5 du PLU de Montélier et ne pouvait donc pas être autorisé ». Cette non-conformité intrinsèque du projet à une règle d’urbanisme en vigueur suffit, pour le juge, à priver de lien direct les fautes commises par la commune avec les préjudices financiers subis par le requérant, qu’il s’agisse des conséquences du sursis à statuer ou de celles du classement illégal en zone naturelle.
II. La portée de la rupture du lien de causalité en matière de responsabilité urbanistique
Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif apprécie le lien de causalité en contentieux de la responsabilité (A), ce qui a des conséquences significatives sur la sécurité juridique des administrés qui entreprennent des projets de construction (B).
A. L’application rigoureuse de la théorie de la causalité adéquate
En retenant qu’un projet illégal pour un motif de fond ne peut donner lieu à indemnisation, même en présence d’une faute avérée de l’administration, la cour fait une application stricte de la théorie de la causalité adéquate. Selon cette théorie, seule la cause déterminante du dommage doit être retenue pour établir le lien de causalité. Dans cette affaire, la cause adéquate du préjudice n’est pas tant le sursis à statuer ou le classement illégaux que l’impossibilité juridique de réaliser le projet de division tel que conçu par le pétitionnaire. Les fautes de l’administration n’ont fait que révéler une inconstructibilité qui préexistait en raison d’une autre règle d’urbanisme.
Le juge se livre ainsi à une reconstitution de ce qu’aurait été la situation en l’absence de faute. Si le maire n’avait pas illégalement sursis à statuer, il aurait dû, pour respecter le droit de l’urbanisme, refuser la déclaration préalable en se fondant sur l’article 5 du règlement. Par conséquent, le requérant n’a pas véritablement perdu une chance sérieuse de réaliser son opération. Cette approche permet de s’assurer que l’indemnisation ne vient pas réparer un préjudice qui serait de toute façon survenu, évitant ainsi un enrichissement sans cause du demandeur. La responsabilité administrative ne vise pas à sanctionner l’illégalité en soi, mais à réparer les conséquences dommageables qui en découlent directement.
B. Les conséquences pour la sécurité juridique des pétitionnaires
La solution retenue par la cour administrative d’appel de Lyon, si elle est orthodoxe sur le plan des principes de la responsabilité, souligne l’aléa auquel s’exposent les porteurs de projets immobiliers. Elle démontre qu’il ne suffit pas d’obtenir l’annulation d’une décision de refus ou d’un obstacle illégal pour avoir droit à réparation. L’administré doit également s’assurer que son projet est, par ailleurs, irréprochable au regard de l’ensemble des règles d’urbanisme applicables. Le juge de l’indemnisation peut en effet être amené, comme en l’espèce, à substituer un motif légal au motif illégal initialement retenu par l’administration, non pas pour sauver la décision, mais pour rompre le lien de causalité.
Cette jurisprudence incite les pétitionnaires à une vigilance accrue et à une analyse exhaustive de la réglementation avant d’engager des frais importants. Elle renforce la position de l’administration dans le cadre des contentieux indemnitaires, en lui permettant de se prévaloir de l’ensemble de l’ordonnancement juridique pour contester l’existence d’un préjudice indemnisable. Le droit à réparation se trouve ainsi subordonné non seulement à l’illégalité de l’action administrative, mais aussi à la parfaite légalité du projet contrarié.