Par un arrêt en date du 23 janvier 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité du classement de parcelles en zone naturelle par un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, un propriétaire contestait la décision d’une communauté de communes d’inclure ses terrains, situés en bordure d’une voie et à proximité de parcelles bâties, dans une zone N inconstructible. Le requérant soutenait que ce classement procédait d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une rupture d’égalité, les parcelles voisines ayant bénéficié d’autorisations de construire par le passé. Suite au rejet de sa demande par le tribunal administratif d’Amiens, d’abord par un jugement avant-dire droit du 20 septembre 2022 puis par un jugement définitif du 26 mars 2024, le propriétaire a saisi la cour d’appel. Il soulevait également l’irrégularité du projet d’aménagement et de développement durables, au motif qu’il ne comportait pas d’objectifs chiffrés de modération de la consommation de l’espace. La question posée aux juges d’appel était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si le classement en zone naturelle de parcelles non bâties, mais jouxtant un espace urbanisé, était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de leur situation et des objectifs de protection environnementale. D’autre part, il convenait d’établir si les exigences de quantification issues d’une loi nouvelle s’imposaient à une procédure d’élaboration de document d’urbanisme initiée antérieurement à son entrée en vigueur. La cour administrative d’appel rejette le recours, confirmant ainsi l’appréciation des premiers juges. Elle considère que le classement litigieux est justifié par l’insertion des parcelles dans un vaste ensemble écologique protégé, écartant l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation. Elle juge en outre inopérant le moyen relatif à l’absence d’objectifs chiffrés, en application des dispositions transitoires de la loi concernée. Cet arrêt illustre la portée du contrôle juridictionnel sur les choix d’aménagement, confrontant la protection des espaces naturels au droit de propriété (I), tout en sécurisant l’application de la norme d’urbanisme dans le temps (II).
I. La confirmation du contrôle restreint sur les choix de classement
La décision commentée réaffirme le caractère limité du contrôle exercé par le juge administratif sur les décisions de zonage, en validant un classement en zone naturelle fondé sur des considérations environnementales globales (A) et en appliquant avec rigueur la théorie de l’erreur manifeste d’appréciation (B).
A. Une appréciation environnementale globale justifiant le classement
La cour fonde son raisonnement sur une analyse d’ensemble du territoire concerné, dépassant la seule situation des parcelles litigieuses. Elle relève que le projet d’aménagement et de développement durables de la communauté de communes vise à « préserver et à valoriser les espaces naturels, dont les corridors naturels ». Le juge prend ainsi acte de la cohérence entre le classement opéré et les objectifs affichés par les auteurs du plan. Le fait que les terrains du requérant ne soient pas directement inclus dans un périmètre de protection stricte comme un site Natura 2000 n’est pas déterminant. La cour souligne en effet que les parcelles « sont comprises dans la ZNIEFF « Marais de la Vallée de la Somme entre Ailly-sur-Somme et Yzeux » et se situent de chaque côté le long de la rue Jean Catelas située elle-même entre deux vastes espaces boisés classés relevant du site Natura 2000 ». Cette motivation démontre que la protection ne s’arrête pas aux limites administratives des zones classées, mais s’étend aux espaces qui assurent une continuité écologique. En qualifiant ainsi les parcelles de maillons d’un ensemble plus vaste, la juridiction légitime le choix de l’autorité locale de les soustraire à l’urbanisation pour préserver une trame verte et bleue. Le juge valide ainsi une vision prospective de l’urbanisme, où l’intérêt général environnemental prime sur la situation particulière de terrains même remblayés et situés en discontinuité du bâti existant.
B. L’orthodoxie du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation
Face au moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, la cour administrative d’appel adopte une position classique et mesurée. Elle rappelle qu’il appartient aux auteurs d’un plan local d’urbanisme de « déterminer le parti d’aménagement à retenir », et que leur appréciation ne peut être censurée par le juge qu’en cas d’erreur grave et évidente. Les arguments du requérant, bien que pertinents en apparence, ne suffisent pas à caractériser une telle erreur. La qualification de « dent creuse », la proximité de constructions ou encore le classement antérieur en zone à vocation urbaine par un plan de prévention des risques sont considérés comme insuffisants. Le juge estime que ces éléments ne sauraient lier l’autorité compétente pour l’avenir ni la priver de sa faculté de modifier l’affectation des sols dans l’intérêt de l’urbanisme. En statuant de la sorte, la cour refuse de substituer sa propre appréciation à celle de la collectivité. La décision de classer les parcelles en zone N n’apparaît ni illogique, ni incohérente au regard des faits et des objectifs poursuivis. De même, le moyen tiré de la rupture d’égalité est écarté au motif qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que les autres parcelles sont placées dans la même situation que les siennes ». Cette décision confirme que le juge administratif maintient une déférence envers le pouvoir discrétionnaire des collectivités en matière de planification urbaine, dès lors que leurs choix reposent sur des justifications cohérentes.
II. La sécurisation de l’application des normes d’urbanisme dans le temps
L’arrêt apporte un éclairage utile sur la gestion des conflits de lois dans le temps en matière d’urbanisme, en consacrant le caractère inopérant d’une exigence nouvelle pour une procédure en cours (A), ce qui renforce le principe de sécurité juridique pour les collectivités (B).
A. L’inopérance d’une exigence légale nouvelle en présence de dispositions transitoires
Le requérant soutenait que le projet d’aménagement et de développement durables était illégal, faute de fixer des « objectifs chiffrés » de modération de la consommation de l’espace, comme l’impose l’article L. 151-5 du code de l’urbanisme, issu de la loi du 24 mars 2014. La cour écarte cet argument en se fondant sur les dispositions transitoires prévues par le législateur. Elle constate que l’élaboration du plan a été prescrite par une délibération du 18 novembre 2013, soit avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Or, l’article 139 de cette loi offrait aux collectivités la faculté de poursuivre la procédure selon le droit antérieur. Le juge en déduit que les auteurs du plan « doivent être regardés comme ayant implicitement opté pour poursuivre son élaboration conformément aux dispositions antérieures ». L’exigence de fixation d’objectifs chiffrés, bien que d’application immédiate pour les nouveaux plans, ne pouvait donc être opposée à la procédure litigieuse. Le moyen est par conséquent qualifié d’inopérant, car il se prévaut d’une norme qui n’était pas applicable à l’acte contesté. Cette solution témoigne d’une application rigoureuse des règles de droit transitoire, lesquelles visent précisément à ménager une transition entre l’état du droit ancien et le droit nouveau.
B. La consécration de la sécurité juridique des procédures d’urbanisme
Au-delà de la stricte application des textes, la décision de la cour révèle l’importance accordée au principe de sécurité juridique. Les procédures d’élaboration des documents d’urbanisme sont longues et complexes, impliquant de nombreuses étapes de concertation et d’études techniques. Soumettre une procédure déjà engagée à des règles de fond nouvelles et plus contraignantes aurait pour effet de fragiliser l’action des collectivités et de retarder l’adoption de documents essentiels à la gestion du territoire. En validant l’option, même implicite, de poursuivre sous l’empire du droit antérieur, le juge administratif protège les autorités planificatrices contre l’instabilité normative. Il admet qu’il n’est pas nécessaire qu’une délibération formalise expressément le choix de se prévaloir des dispositions transitoires. Cette souplesse pragmatique permet de ne pas invalider un document pour un vice purement formel, dès lors que la volonté de la collectivité peut se déduire des circonstances. La portée de cette solution est significative : elle offre une garantie aux collectivités engagées dans des procédures au long cours, en assurant que le cadre juridique applicable est celui en vigueur au moment où elles ont défini les grandes orientations de leur projet.