Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 6 mai 2025, n°23BX02341

Par un arrêt rendu le 6 mai 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conséquences procédurales de l’abrogation d’un acte administratif contesté en cours d’instance. En l’espèce, une communauté de communes avait approuvé un plan local d’urbanisme intercommunal le 27 février 2020, classant deux parcelles en zone urbaine. Une association et deux autres requérants ont demandé au président de cet établissement public, par un courrier du 3 mai 2021, de procéder à l’abrogation de ce classement. Face au refus implicite qui leur a été opposé, les requérants ont saisi le tribunal administratif de Pau, lequel a rejeté leur demande par un jugement du 27 juin 2023. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement. Or, postérieurement à l’introduction de l’instance d’appel, le conseil communautaire a, par une délibération du 27 juin 2023, abrogé le classement contesté et classé les parcelles en zone naturelle. Il revenait dès lors au juge d’appel de déterminer l’incidence de cette nouvelle délibération sur le litige dont il était saisi. La cour administrative d’appel juge que la satisfaction obtenue par les requérants en cours d’instance rend leur requête sans objet et qu’il n’y a par conséquent plus lieu de statuer sur leurs conclusions en annulation. Elle condamne néanmoins la communauté de communes à verser aux requérants une somme au titre des frais de justice. La décision illustre ainsi parfaitement la portée du non-lieu à statuer en contentieux administratif, démontrant son effet extinctif sur l’instance (I), tout en réservant une solution pragmatique quant à la charge des frais liés au litige (II).

I. L’effet extinctif du non-lieu à statuer résultant de l’acquiescement de l’administration

La cour administrative d’appel tire la conséquence logique de la disparition de l’objet du litige en cours de procédure (A), ce qui la conduit à constater son dessaisissement et l’impossibilité de se prononcer sur le fond de l’affaire (B).

A. La satisfaction des prétentions du requérant, cause du non-lieu

Le non-lieu à statuer est une règle de procédure contentieuse qui trouve à s’appliquer lorsque, pour une raison survenant en cours d’instance, la requête perd son objet. Dans la présente affaire, les requérants demandaient l’annulation d’une décision de refus d’abroger un classement en zone U de certaines parcelles. La cour constate que, par une délibération postérieure à l’engagement du procès en appel, l’autorité administrative a fait droit à leur demande initiale. L’acte qui cristallisait le litige, à savoir le refus de modifier le plan d’urbanisme, a donc disparu et la situation de droit a été modifiée dans le sens souhaité par les appelants.

La cour relève ainsi que l’intervention de cette nouvelle délibération a pour effet de donner « satisfaction à l’association requérante au cours de l’instance d’appel ». Ce faisant, elle applique une jurisprudence constante selon laquelle l’abrogation ou le retrait de l’acte attaqué en cours d’instance par l’autorité administrative compétente rend sans objet le recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet acte. La prétention des requérants étant satisfaite, leur intérêt à agir, condition de recevabilité de toute action en justice, disparaît pour l’avenir. Le litige n’a plus de raison d’être, ce qui impose au juge de clore la procédure sans examiner la légalité des actes qui lui étaient initialement soumis.

B. L’impossibilité matérielle et juridique pour le juge de se prononcer

La conséquence directe de cette disparition de l’objet du litige est l’impossibilité pour la juridiction de poursuivre l’examen de l’affaire. La cour énonce cette solution de manière très claire : « Il s’ensuit qu’à la date à laquelle la cour se prononce, la demande tendant à l’annulation de la décision implicite […] est devenue sans objet. Il n’y a donc plus lieu de statuer sur les demandes principale et subsidiaire des requérants ». Le prononcé du non-lieu à statuer met fin à l’office du juge. Il ne peut ni ne doit analyser les moyens de légalité soulevés par les parties, tels que l’erreur d’appréciation au regard des articles L. 121-8 et L. 121-22 du code de l’urbanisme.

Le non-lieu s’impose au juge, qui n’a d’autre choix que de constater l’extinction de l’instance. Cette solution, dictée par l’économie processuelle, évite la poursuite de contentieux devenus purement théoriques. Elle prive cependant les requérants d’une décision juridictionnelle tranchant explicitement la question de la légalité de l’acte initial. La reconnaissance de leurs droits ne résulte pas d’un jugement, mais de la seule initiative de l’administration. Si le résultat matériel est le même, la portée symbolique et juridique est différente, ce qui peut avoir une incidence sur d’autres aspects du litige, notamment financiers.

Si la disparition de l’objet du litige éteint l’action principale, la cour administrative d’appel considère néanmoins qu’elle n’efface pas toutes les conséquences pécuniaires du contentieux.

II. Le règlement des frais de justice, ultime enjeu du litige devenu sans objet

La cour, tout en prononçant le non-lieu, opère une dissociation en condamnant l’administration aux dépens (A), reconnaissant ainsi de manière implicite la part de responsabilité de cette dernière dans la naissance du contentieux (B).

A. La condamnation au titre des frais irrépétibles malgré l’absence de jugement au fond

De manière qui pourrait sembler paradoxale, la cour, après avoir constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le fond, examine et fait droit à la demande des requérants présentée sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle met à la charge de la communauté de communes une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par les appelants et non compris dans les dépens. Traditionnellement, une telle condamnation est prononcée à l’encontre de la partie perdante dans le litige. Or, en l’absence de jugement au fond, il n’y a techniquement ni gagnant ni perdant.

La décision de la cour s’explique par le fait que le juge conserve la faculté d’apprécier, en équité, qui doit supporter la charge des frais de procès. En présence d’un non-lieu, le juge se livre à une appréciation globale des circonstances de l’affaire. Il examine si l’introduction de la requête était justifiée et si l’attitude de l’administration n’est pas à l’origine des frais inutilement exposés par le requérant. En décidant qu’« il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 », la cour signale qu’elle ne se désintéresse pas de la genèse du litige.

B. L’appréciation implicite de la légitimité de la démarche contentieuse

En condamnant l’administration, le juge reconnaît implicitement que la requête n’était pas abusive et que, sans le revirement de l’autorité publique, les requérants auraient eu des chances sérieuses de voir leurs prétentions accueillies. Cette condamnation aux frais constitue une forme de compensation pour les justiciables qui ont été contraints d’engager une procédure pour obtenir le respect de leurs droits. L’administration, en cédant en cours de route, a reconnu le bien-fondé de leur demande initiale. Il est donc équitable qu’elle supporte les conséquences financières de son refus initial, qui a rendu le recours nécessaire.

Cette solution a une portée pratique importante. Elle évite qu’une administration puisse systématiquement échapper à toute condamnation aux frais en abrogeant ses décisions illégales juste avant l’audience. Elle assure ainsi une forme de régulation du comportement processuel des parties et garantit une protection effective des droits des administrés. La décision commentée, bien que ne tranchant aucun débat de fond sur le droit de l’urbanisme, réaffirme avec force que la fin du litige par non-lieu ne signifie pas une absence totale de jugement de valeur sur les conditions dans lesquelles ce litige a été engagé.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture