Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 6 février 2025, n°23BX00158

Par un arrêt en date du 6 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur les conditions d’application de l’exonération des plus-values professionnelles en cas de cession d’une branche complète d’activité. En l’espèce, une société exploitant une activité d’agence immobilière a cédé son activité de gestion locative annuelle. Estimant qu’il s’agissait d’une branche complète d’activité, elle a placé la plus-value réalisée sous le régime d’exonération prévu par l’article 238 quindecies du code général des impôts. L’administration fiscale a remis en cause cette exonération, ce qui a conduit à l’émission de cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés. Saisi par la société, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande de décharge de ces impositions. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la cession portait bien sur une branche complète d’activité, dès lors que l’ensemble des éléments essentiels permettant au cessionnaire une exploitation autonome et durable avaient été transférés. Il s’agissait donc pour la cour de déterminer si la cession d’une activité de gestion locative, sans le transfert direct du contrat de travail du personnel indispensable à son exploitation autonome, pouvait être qualifiée de cession d’une branche complète d’activité au sens de l’article 238 quindecies du code général des impôts. La cour administrative d’appel de Bordeaux répond par la négative et rejette la requête de la société. Elle juge qu’en l’absence du transfert d’un salarié titulaire de la carte professionnelle nécessaire à l’exercice de l’activité, le cédant n’a pas « opéré un transfert complet des éléments essentiels à l’exploitation autonome et durable de l’activité ». La solution retenue par la cour, si elle réaffirme une conception stricte de la notion d’exploitation autonome (I), consacre le caractère substantiel du transfert de personnel dans l’appréciation d’une branche complète d’activité (II).

I. La réaffirmation d’une conception stricte de l’exploitation autonome

La cour administrative d’appel, pour refuser l’exonération, s’appuie sur une lecture rigoureuse de la notion de branche complète d’activité, en rappelant d’abord l’exigence d’un transfert de l’ensemble des éléments essentiels (A), avant de faire de la capacité d’exploitation durable un critère déterminant de son appréciation (B).

A. L’exigence d’un transfert des éléments essentiels à l’activité

Pour bénéficier de l’exonération prévue par l’article 238 quindecies du code général des impôts, la cession doit porter sur une « branche complète d’activité ». La jurisprudence définit traditionnellement celle-ci comme un ensemble d’éléments d’actif et de passif d’une division d’une société qui constituent, du point de vue de l’organisation, une exploitation autonome. L’arrêt commenté s’inscrit dans cette ligne en précisant que « la branche d’activité cédée est susceptible de faire l’objet d’une exploitation autonome chez la société cédante comme chez la société cessionnaire ». Cette condition vise à s’assurer que l’opération ne constitue pas une simple cession d’actifs isolés, mais bien la transmission d’un ensemble cohérent et fonctionnel capable de fonctionner par ses propres moyens.

La cour rappelle ainsi que le bénéfice du régime de faveur est subordonné au « transfert complet des éléments essentiels de cette activité tels qu’ils existaient dans le patrimoine de la société cédante ». L’analyse ne se limite donc pas aux seuls éléments comptables ou aux actifs matériels et immatériels comme la clientèle ou les fichiers. Elle impose de vérifier que le cessionnaire se trouve en mesure de poursuivre l’activité sans avoir à reconstituer lui-même les composantes fondamentales qui lui permettraient de fonctionner. C’est précisément sur ce point que la cour administrative d’appel concentre son raisonnement, en ne se limitant pas à l’analyse des actifs formellement cédés.

B. Le critère déterminant de la capacité d’exploitation durable

La cour administrative d’appel ne s’est pas arrêtée à la cession du fonds de commerce et des fichiers clientèle, mais a examiné les conditions réelles de l’exploitation. Il ressort de l’instruction que l’activité de gestion locative, pour être exercée légalement, requiert qu’un salarié soit titulaire d’une carte professionnelle spécifique. Or, la société cédante n’employait plus directement de personnel affecté à cette tâche, ayant externalisé la gestion technique et administrative auprès d’une autre société, laquelle employait la seule salariée disposant de la qualification requise. Le jour de la cession, cette salariée a été embauchée par le cessionnaire, mais sans qu’il y ait eu un transfert de son contrat de travail depuis la société cédante, celle-ci n’étant plus son employeur.

En relevant cette circonstance, la cour en déduit que la société cédante « n’est pas fondée à soutenir (…) qu’elle a opéré un transfert complet des éléments essentiels à l’exploitation autonome et durable de l’activité ». Le raisonnement est implacable : un élément indispensable à l’exercice même de l’activité, en l’occurrence la compétence professionnelle incarnée par une salariée qualifiée, n’a pas été transmis dans le cadre de la cession. L’exploitation n’était donc ni autonome chez le cédant avant la vente, qui dépendait d’un tiers, ni assurée de manière durable pour le cessionnaire par le seul effet de la transmission, celui-ci ayant dû procéder lui-même à l’embauche du personnel clé.

II. La consécration du caractère substantiel du transfert de personnel

En faisant du défaut de transfert du personnel qualifié le pivot de son refus, la cour élève la composante humaine au rang de condition de fond (A), ce qui l’amène à préciser l’articulation entre les règles du droit fiscal et celles du droit du travail (B).

A. L’assimilation du personnel à un élément essentiel de l’activité

La décision commentée revêt une importance particulière pour les cessions d’activités de services, où le savoir-faire et les qualifications humaines sont souvent plus déterminants que les actifs matériels. En l’espèce, la cour considère que l’absence de transfert d’un unique salarié, mais dont la qualification est légalement requise pour l’activité, suffit à dénaturer l’opération et à lui ôter le caractère de cession d’une branche complète. Cette approche confirme que les « éléments essentiels » ne s’entendent pas seulement des actifs cessibles inscrits au bilan, mais de toute composante, y compris humaine, sans laquelle l’activité ne peut être poursuivie.

La cour énonce clairement que la transmission « est, au regard de la finalité poursuivie par le législateur, subordonnée au transfert effectif du personnel nécessaire à la poursuite d’une exploitation autonome ». Cette solution pragmatique ancre l’analyse fiscale dans la réalité économique de l’activité transmise. Pour une activité de gestion immobilière, la compétence technique et l’habilitation légale du personnel ne sont pas accessoires ; elles en sont la substance même. En refusant l’exonération, le juge administratif adresse un signal clair aux opérateurs économiques : la structuration juridique d’une cession ne doit pas masquer l’absence de transfert de ses forces vives.

B. L’interprétation de l’articulation entre droit fiscal et droit du travail

L’arrêt tire également des conséquences fiscales d’une situation relevant du droit du travail. Il se réfère implicitement à la notion d’entité économique autonome dont le transfert entraîne l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail, qui prévoit le maintien de plein droit des contrats de travail. La cour précise d’ailleurs que le transfert de ces contrats « assure, en principe, un tel transfert effectif du personnel ». La solution retenue en l’espèce est l’exact contrepoint de ce principe : l’absence de transfert du contrat de travail de la salariée indispensable, du fait de son externalisation, démontre qu’un élément essentiel n’a pas été transmis avec l’entité.

Cette décision illustre la manière dont le juge de l’impôt peut s’appuyer sur des mécanismes du droit social pour apprécier la réalité d’une opération économique. Bien que l’application de l’article L. 1224-1 ne soit pas une condition expresse de l’exonération fiscale, la cour en fait un indice majeur de l’existence d’un transfert complet. La portée de cet arrêt est donc significative : elle incite les entreprises cédant une branche d’activité à s’assurer, en amont de l’opération, que le personnel nécessaire à son autonomie est bien employé directement par la structure cédée et sera effectivement transféré avec elle, sous peine de perdre le bénéfice d’un régime fiscal de faveur.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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