Par un arrêt en date du 28 mai 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité d’un permis de construire délivré par une commune littorale, en opposition avec l’avis de l’autorité préfectorale. En l’espèce, le maire d’une commune avait accordé à une société un permis de construire pour une maison individuelle dans un lieu-dit situé à proximité d’un lac et à distance du bourg principal. Saisi par la préfète du département, le tribunal administratif de Bordeaux avait annulé ce permis de construire, jugeant le projet contraire aux dispositions de la loi littoral. La commune a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le secteur était déjà urbanisé et que, par conséquent, la construction était autorisée. Elle contestait également le bien-fondé de l’avis défavorable du préfet, qui selon elle, ne la liait pas. Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si un ensemble de constructions dispersées, séparé du centre de la commune par des espaces naturels et dépourvu de services significatifs, pouvait être qualifié de village ou d’agglomération au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, autorisant ainsi une nouvelle construction en son sein. En rejetant la requête de la commune, la cour confirme l’analyse des premiers juges et la solution qui en découle. Elle estime que le secteur d’implantation du projet ne constitue ni une agglomération ni un village, rendant de ce fait le permis de construire illégal car ne respectant pas le principe d’extension de l’urbanisation en continuité. Cette décision, qui confirme l’illégalité du permis de construire au regard de la loi littoral (I), constitue un rappel significatif de la portée des règles d’urbanisme en zone côtière pour les autorités locales (II).
I. La confirmation du caractère illégal du permis de construire au regard de la loi littoral
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une appréciation stricte de la notion de village existant (A), ce qui la conduit à constater l’application rigoureuse du principe d’extension en continuité de l’urbanisation (B).
A. Une appréciation stricte de la notion de village existant
Pour évaluer la légalité de l’autorisation d’urbanisme, le juge administratif examine en détail les caractéristiques du lieu-dit où le projet devait s’implanter. Il retient une approche qualitative et fonctionnelle de la notion de village, au-delà de la seule présence d’un certain nombre de constructions. La cour relève que le quartier en question, bien que présentant une « certaine densité », est distant de deux kilomètres du bourg principal et en est séparé par « de vastes espaces laissés à l’état naturel ». Elle s’appuie sur une méthode d’analyse par faisceau d’indices pour refuser la qualification de village ou d’agglomération.
Le juge souligne ainsi la structuration éclatée du bâti, notant que « l’urbanisation du quartier se présente en deux ensembles en forme de triangles séparés par des espaces naturels, sans cohérence globale ». De plus, l’absence ou la faible présence de services et d’équipements collectifs ouverts à l’année est un critère déterminant. La cour note que le secteur « abrite peu de commerces, et il ne ressort d’ailleurs pas des pièces du dossier qu’ils soient ouverts en dehors des saisons touristiques ». En s’appuyant sur le document d’urbanisme alors en vigueur, qui qualifiait le lieu de « hameau lacustre » marqué par une « émergence quasi spontanée » et une absence de services, elle conforte son analyse. La qualification retenue par un nouveau schéma de cohérence territoriale, postérieur à la décision attaquée, est logiquement écartée comme étant sans incidence sur l’appréciation des faits au moment du litige.
B. L’application rigoureuse du principe d’extension en continuité de l’urbanisation
La disqualification du secteur en tant que village existant emporte une conséquence juridique directe : l’application stricte du principe d’urbanisation en continuité posé par l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Selon cette disposition, toute extension de l’urbanisation doit se réaliser en continuité avec les agglomérations et villages existants. Le projet, situé « à l’extrémité nord du quartier » et s’ouvrant « sur les vastes espaces naturels séparant Lachanau du centre bourg », ne pouvait dès lors être regardé comme s’inscrivant dans la continuité du bâti.
Dans ce contexte, l’avis défavorable émis par le préfet sur le fondement de la méconnaissance de ce principe était légalement justifié. Or, en vertu de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme, dans les communes non couvertes par un document d’urbanisme local, l’avis du préfet sur une demande de permis de construire est un avis conforme. Le maire se trouvait donc en situation de compétence liée. La légalité de l’avis préfectoral rendait illégal tout octroi du permis par le maire. En délivrant l’autorisation de construire malgré cet avis, l’autorité municipale a méconnu l’étendue de sa compétence et violé les dispositions combinées du code de l’urbanisme.
II. La portée de la décision : un rappel à l’ordre pour les autorités locales
Au-delà de la solution d’espèce, l’arrêt constitue une réaffirmation des objectifs protecteurs de la loi littoral (A) et opère une clarification utile des critères d’urbanisation pour les zones littorales (B).
A. La réaffirmation des objectifs protecteurs de la loi littoral
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à faire prévaloir les objectifs de préservation des espaces naturels et de lutte contre le mitage des paysages côtiers. En refusant d’assimiler un groupement d’habitations dispersé et faiblement équipé à un village, le juge administratif réaffirme que la loi littoral impose une conception exigeante de la continuité de l’urbanisation. L’objectif est d’éviter une extension diffuse du bâti qui dénaturerait les sites et porterait atteinte à l’environnement.
La cour écarte par ailleurs l’argument de la commune tiré d’une rupture d’égalité, au motif que d’autres permis auraient été délivrés dans le même secteur sans être contestés. Elle rappelle avec fermeté un principe fondamental selon lequel « le principe d’égalité des citoyens devant la loi ne saurait être invoqué pour justifier la demande d’un avantage illégal ». Cette position souligne la primauté du principe de légalité sur toute autre considération, empêchant une partie de se prévaloir d’une illégalité commise au profit d’un tiers pour en obtenir une à son tour. La protection de l’environnement littoral prime sur les situations de fait potentiellement irrégulières.
B. Une clarification des critères d’urbanisation pour les zones littorales
L’arrêt offre un guide d’interprétation concret aux autorités compétentes en matière d’urbanisme. Il confirme que l’appréciation du caractère urbanisé d’un secteur ne peut se limiter à une approche quantitative ou géographique. Elle doit intégrer des critères fonctionnels tels que la présence d’une vie collective, de commerces et de services publics, ainsi que la cohérence et la structuration du tissu bâti. Une simple juxtaposition de constructions, même d’une certaine densité, ne suffit pas à constituer un pôle d’urbanisation autorisant une extension.
Enfin, la décision rappelle une règle essentielle de l’application de la loi dans le temps. En jugeant que le classement futur du quartier en tant que « village » par un nouveau schéma de cohérence territoriale est sans incidence, la cour rappelle que la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction. Les élus locaux ne peuvent donc se fonder sur des évolutions futures de la planification pour justifier des décisions qui sont illégales au regard du droit en vigueur. Cette solution renforce la sécurité juridique et contraint les autorités à fonder leurs décisions sur les documents et les règles applicables au moment où elles statuent.