Par un arrêt en date du 20 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a statué sur la légalité d’un permis d’aménager délivré par le maire d’une commune. Cette décision offre un éclairage sur les conditions de mise en œuvre de l’évaluation environnementale des projets d’urbanisme et sur l’appréciation de leur conformité aux documents de planification locaux.
En l’espèce, une société s’était vu délivrer un permis d’aménager pour la réalisation d’un lotissement sur une partie d’une parcelle. Une association et d’autres requérants ont formé un recours gracieux contre cet arrêté, lequel a été rejeté. Ils ont alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d’une demande d’annulation du permis et de la décision de rejet du recours gracieux. Par un jugement du 30 mars 2023, le tribunal a rejeté leur demande. Les requérants ont interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la régularité du jugement qu’au bien-fondé de la décision administrative. Ils arguaient notamment de l’insuffisance du dossier de demande, de la nécessité d’une évaluation environnementale au cas par cas, de l’incompatibilité du projet avec une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) et de l’illégalité du classement de la zone par le plan local d’urbanisme (PLU).
Il appartenait ainsi à la cour de déterminer si un projet de lotissement, dont l’emprise est inférieure aux seuils réglementaires, doit néanmoins faire l’objet d’une évaluation environnementale au cas par cas en raison de la présence alléguée de zones humides et de son inscription dans une opération d’aménagement d’ensemble. La cour devait également apprécier la compatibilité du projet avec les objectifs fixés par les documents d’urbanisme applicables.
La cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle a considéré que l’existence de zones humides n’était pas établie par les requérants et que le projet ne pouvait être regardé comme une simple fraction d’une opération plus vaste justifiant de retenir une assiette foncière supérieure. La cour a en outre estimé que le projet n’était pas incompatible avec les orientations d’aménagement et de programmation. Cette décision, qui s’attache à une application rigoureuse des conditions de mise en œuvre de l’évaluation environnementale (I), confirme par ailleurs la conformité du projet aux autres documents et règles d’urbanisme applicables (II).
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I. Le rôle déterminant de la preuve dans l’appréciation environnementale du projet d’aménagement
La cour administrative d’appel a fondé une part essentielle de son raisonnement sur l’examen des preuves apportées par les requérants pour contester le projet au regard de ses incidences environnementales. Elle rejette ainsi le moyen tiré de la présence de zones humides faute de preuve suffisante (A) et adopte une interprétation restrictive de la notion de fractionnement de projet pour écarter l’obligation d’un examen au cas par cas (B).
A. Le rejet du moyen tiré de la présence de zones humides faute de preuve suffisante
Les requérants soutenaient que le dossier de demande était incomplet car il omettait de mentionner la présence de zones humides sur le terrain d’assiette du projet. Une telle présence aurait, selon eux, dû conduire l’autorité compétente à imposer des prescriptions spécifiques, voire à soumettre le projet à une étude d’impact en raison de sa localisation. La cour écarte ce moyen en relevant que les requérants ne parviennent pas à démontrer l’existence de ces zones. Elle juge que les éléments produits sont insuffisants, notant qu’ils se bornent à se prévaloir « des mentions du système d’information géographique (SIG) disponible sur internet selon lesquelles l’unité foncière comporterait une zone potentiellement humide et, d’autre part, des indications du rapport de présentation du plan local d’urbanisme qui fait référence à la présence probable de zones humides ».
En statuant ainsi, la cour réaffirme une solution classique en contentieux administratif : la charge de la preuve incombe au requérant. Les allégations, même lorsqu’elles s’appuient sur des documents à caractère général ou prospectif, ne sauraient suffire à établir la réalité d’une caractéristique matérielle du site. Le juge exige des éléments probants, précis et circonstanciés, tels qu’une expertise de terrain ou une étude pédologique, pour remettre en cause les informations fournies par le pétitionnaire et validées par l’administration. Cette exigence de rigueur probatoire a pour effet de sécuriser les autorisations d’urbanisme contre des contestations fondées sur des potentialités non avérées, mais elle place également les associations de protection de l’environnement devant la nécessité de produire des dossiers techniquement étayés.
B. L’interprétation restrictive du fractionnement de projet écartant l’examen au cas par cas
Le deuxième argument majeur des requérants portait sur l’assujettissement du projet à une évaluation environnementale. Le terrain d’assiette étant inférieur à cinq hectares, le projet n’entrait pas, a priori, dans le champ de l’examen au cas par cas prévu par la rubrique 39 du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. Les appelants soutenaient cependant que le lotissement constituait le fractionnement d’une opération plus vaste, celle de l’OAP n° 8, et qu’il fallait donc prendre en compte la superficie totale de la parcelle, supérieure au seuil.
La cour rejette cette analyse en rappelant le principe selon lequel la seule inscription dans un périmètre de planification plus large est insuffisante pour caractériser un projet unique. Elle précise qu’il n’est « pas démontré et il ne ressort aucunement des pièces du dossier qu’il existerait des liens fonctionnels et concrets entre le permis d’aménager contesté et les futurs aménagements voisins envisagés par l’OAP ». Cette position s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence constante qui vise à prévenir les stratégies de « saucissonnage » de projets, tout en évitant une extension excessive du champ de l’évaluation environnementale. La notion de « liens fonctionnels et concrets » demeure l’élément central d’appréciation, renvoyant à une dépendance technique, économique ou de maîtrise d’ouvrage entre plusieurs opérations. En l’absence de tels liens, chaque projet est apprécié de manière autonome, ce qui confirme ici la légalité du permis d’aménager au regard de cette obligation procédurale.
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II. La conformité confirmée du permis d’aménager aux autres règles d’urbanisme
Après avoir écarté les moyens relatifs à l’évaluation environnementale, la cour examine la conformité du projet aux autres règles d’urbanisme qui lui sont opposables. Elle valide sa compatibilité avec l’orientation d’aménagement et de programmation (A) avant d’écarter les autres contestations relatives à sa légalité (B).
A. La validation de la compatibilité avec l’orientation d’aménagement et de programmation
Les requérants invoquaient l’incompatibilité du permis d’aménager avec l’OAP n° 8 au motif que l’espace vert collectif prévu par le projet ne respectait pas la localisation préférentielle indiquée dans le document de planification, à savoir en limite Est du périmètre. L’OAP décrivait en effet un « espace vert collectif […] se déployant sur la frange Est de la zone ». Le projet de lotissement, tout en prévoyant une portion d’espace vert à cet endroit, en aménageait une autre au nord-ouest de la parcelle.
La cour rappelle que le rapport entre une autorisation d’urbanisme et une OAP est un rapport de compatibilité, et non de conformité stricte. Cette nuance est fondamentale : la compatibilité autorise une certaine marge de manœuvre, pourvu que le projet ne contrarie pas les objectifs essentiels de l’orientation. En l’espèce, le juge estime que bien que l’espace vert situé à l’Est ait « une emprise moins importante que celle qui est représentée sur le document graphique de l’OAP », il « ne compromet pas l’objectif tendant à la création d’une zone de promenade et de détente ». Cette appréciation pragmatique permet de concilier la vision d’ensemble de l’aménageur public, traduite dans l’OAP, et la réalité opérationnelle d’un projet qui ne porte que sur une partie du secteur. Le juge administratif se refuse à une lecture littérale et graphique des OAP, privilégiant une analyse finaliste de leurs objectifs.
B. L’éviction des autres contestations relatives à la légalité du projet
Enfin, la cour se prononce sur deux derniers moyens soulevés par les requérants. Le premier consistait en une exception d’illégalité du classement du secteur en zone 1AUm par le plan local d’urbanisme. La cour déclare ce moyen inopérant au motif que les requérants « ne démontrent pas que les dispositions réglementaires applicables au zonage […] sous l’empire du document d’urbanisme précédent s’opposeraient au projet en litige ». Cette solution est une application rigoureuse de la jurisprudence issue de l’arrêt du Conseil d’État du 7 février 1986, *Commune de CERGY-PONTOISE*. Pour qu’une exception d’illégalité soit opérante, il ne suffit pas de prouver l’illégalité du document d’urbanisme en vigueur ; il faut aussi établir que l’application des règles antérieures remises en vigueur aurait fait obstacle à la délivrance de l’autorisation contestée.
Le second moyen portait sur l’absence de prescriptions spécifiques, notamment concernant l’autorisation « loi sur l’eau ». La cour le rejette en considérant qu’il s’agit de « simples règles d’exécution » que l’autorité délivrant le permis n’est pas tenue de rappeler dans son arrêté. Cette position confirme que le permis d’aménager statue sur la conformité d’un projet aux règles d’urbanisme, sans avoir à intégrer l’ensemble des polices administratives connexes qui régissent sa mise en œuvre ultérieure. La décision circonscrit ainsi clairement le périmètre de contrôle de l’autorité compétente en matière de permis, renforçant la distinction entre la légalité de l’autorisation et les conditions de son exécution.