Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 1 juillet 2025, n°23BX00519

Par un arrêt en date du 1er juillet 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité du classement de parcelles dans le cadre de l’élaboration d’un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, une propriétaire foncière avait sollicité auprès d’un établissement public de coopération intercommunale la modification du document d’urbanisme afin de transformer le classement de ses terrains, situés en zone naturelle, en une zone à urbaniser. Face au rejet implicite de sa demande, la requérante a saisi le tribunal administratif de Pau, qui a rejeté son recours par un jugement du 30 décembre 2022. La propriétaire a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le classement de ses parcelles en zone naturelle était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. L’autorité intercommunale a conclu au rejet de la requête, arguant de son irrecevabilité et du bien-fondé de sa décision. Se posait dès lors à la cour la question de savoir si le classement en zone naturelle de terrains situés en lisière d’une zone urbanisée, mais présentant un intérêt écologique et des risques naturels, relevait d’une erreur manifeste d’appréciation. La cour administrative d’appel a écarté le moyen de la requérante, jugeant que les auteurs du plan n’avaient pas commis d’erreur manifeste en décidant de protéger ces espaces de l’urbanisation. Cette décision, classique dans sa motivation, réaffirme la portée limitée du contrôle du juge sur les choix d’aménagement urbanistique (I), tout en confirmant le poids déterminant des objectifs de protection environnementale dans la justification de ces choix (II).

I. La réaffirmation d’un contrôle juridictionnel limité en matière de zonage

La cour administrative d’appel rappelle d’abord la nature restreinte de son contrôle sur les décisions de classement opérées par les auteurs d’un plan local d’urbanisme (A), avant de procéder à une application concrète et factuelle de ce contrôle à l’espèce qui lui était soumise (B).

A. Le principe d’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation

En matière d’urbanisme, il est de jurisprudence constante que le juge administratif exerce un contrôle restreint sur les choix effectués par l’autorité compétente. La cour prend soin de rappeler ce principe dans son considérant de principe, en énonçant qu’il « appartient aux auteurs d’un plan local d’urbanisme, qui ne sont pas liés par les modalités existantes d’utilisation du sol, de déterminer le parti d’aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d’avenir ». Cette formule consacre la grande liberté dont disposent les planificateurs pour définir les orientations d’aménagement et fixer, en conséquence, les règles de constructibilité applicables aux différentes zones du territoire.

La contrepartie de cette liberté est un contrôle juridictionnel qui se limite à la censure de l’erreur manifeste d’appréciation ou des faits matériellement inexacts. Ainsi que le précise la cour, « leur appréciation sur ces différents points ne peut être censurée par le juge administratif qu’au cas où elle serait entachée d’une erreur manifeste ». Le juge ne substitue donc pas sa propre appréciation à celle des auteurs du plan ; il vérifie seulement que leur décision n’est pas manifestement illogique, incohérente ou inadaptée au regard des faits et des objectifs poursuivis. Ce contrôle restreint garantit la sécurité juridique des documents d’urbanisme et préserve la marge de manœuvre des collectivités dans la conduite de leurs politiques d’aménagement.

B. Une application factuelle rigoureuse du critère de l’erreur

La cour administrative d’appel procède ensuite à une analyse détaillée des caractéristiques des parcelles concernées pour déterminer si, en l’espèce, le classement en zone N excédait les limites de l’erreur manifeste. Elle relève que les terrains, bien que jouxtant des secteurs urbanisés, s’ouvrent sur un vaste espace non construit et présentent des qualités environnementales objectives. La juridiction s’appuie sur des éléments précis, tirés « des pièces du dossier et du site Géoportail », pour constater que les parcelles « se trouvent sur un corridor écologique au sein de la trame verte et bleue du PLUi ».

De surcroît, la cour prend en compte les contraintes de sécurité publique, notant que « selon le plan de prévention des risques inondation, ces deux terrains sont partiellement classés en zone rouge ». La présence d’un risque naturel, même partiel, constitue un argument puissant justifiant une limitation du droit de construire et, par conséquent, un classement en zone naturelle. En confrontant ces éléments factuels aux objectifs du plan, qui visent à « protéger les espaces agricoles et naturels de l’extension de l’urbanisation », la cour conclut logiquement que le choix des auteurs du plan n’était pas manifestement erroné, malgré la situation des parcelles en périphérie d’une zone déjà construite.

Le raisonnement de la cour illustre la prévalence des justifications objectives sur la simple logique de continuité urbaine. Au-delà de la méthode de contrôle, cette décision confirme la place centrale qu’occupent les considérations environnementales dans l’appréciation de la légalité d’un document d’urbanisme.

II. La consécration des objectifs environnementaux dans le choix du classement

La solution retenue par la cour administrative d’appel de Bordeaux met en lumière la primauté accordée aux motifs écologiques pour justifier un classement protecteur (A), et par conséquent, l’inefficacité de l’argument tiré de l’existence d’une alternative de classement pour le propriétaire (B).

A. La protection de l’environnement comme justification prépondérante du classement

L’arrêt commenté confirme que la protection des espaces naturels et la préservation de la biodiversité sont des objectifs majeurs qui peuvent légitimement fonder une décision de classement restrictive. La cour ne se contente pas de mentionner l’existence d’un « caractère d’espaces naturels », mais qualifie précisément la fonction écologique des parcelles, identifiées comme un « corridor écologique au sein de la trame verte et bleue ». Cette référence explicite à un outil de la politique de préservation de la biodiversité démontre que la protection des continuités écologiques est une considération de premier ordre dans l’appréciation du juge.

En validant un classement en zone N pour des motifs liés à la préservation d’un paysage ouvert, d’une trame écologique et à la prévention des risques, la cour s’inscrit dans une conception moderne de l’urbanisme. Cette approche vise à maîtriser l’étalement urbain et à préserver les ressources naturelles, en cohérence avec les objectifs énoncés aux articles L. 101-1 et L. 101-2 du code de l’urbanisme. Le juge administratif confirme ainsi que le droit de l’urbanisme n’a pas seulement pour fonction d’organiser la construction, mais aussi et surtout de ménager un équilibre durable entre les zones bâties et les espaces à protéger.

B. L’inoppérance de l’existence d’un autre classement possible

Une conséquence directe du contrôle restreint exercé par le juge est le rejet de l’argumentation fondée sur l’opportunité d’un autre choix de classement. La cour l’exprime sans ambiguïté en affirmant que « la requérante ne peut utilement soutenir que ces parcelles auraient dû être classées en zone à urbaniser (…) dès lors qu’il appartient seulement au juge administratif de s’assurer que le classement retenu n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation, et non de vérifier qu’un autre classement était possible ». Cette formule, d’une portée significative, ferme la porte à tout débat sur la meilleure solution d’aménagement possible devant le juge de l’excès de pouvoir.

Pour le propriétaire, cette position signifie que la simple démonstration qu’une urbanisation future de son terrain serait envisageable, voire souhaitable d’un point de vue économique, est insuffisante pour obtenir l’annulation du classement. Tant que le choix de l’administration repose sur des justifications cohérentes et n’est pas manifestement erroné, il est à l’abri de la censure. Cet arrêt rappelle ainsi aux justiciables que le contentieux de l’urbanisme n’a pas pour objet de trancher des conflits d’opportunité, mais de garantir le respect de la légalité et de la cohérence des choix d’aménagement opérés par la puissance publique.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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