Par un arrêt en date du 1er juillet 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur les conditions de légalité d’une décision d’exercice du droit de préemption urbain. En l’espèce, des particuliers s’étaient portés acquéreurs d’une parcelle située dans le centre-bourg d’une commune. Suite à la déclaration d’intention d’aliéner, un établissement public foncier, agissant par délégation de la commune, a exercé son droit de préemption sur ledit bien. Les acquéreurs évincés ont alors saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe, qui a annulé cette décision de préemption ainsi que le rejet de leur recours gracieux, au motif que la décision n’était pas suffisamment motivée et que la réalité du projet justifiant la préemption n’était pas établie. L’établissement public foncier et la commune ont interjeté appel de ce jugement, soutenant que la référence à un programme de renouvellement urbain constituait une motivation suffisante et que la réalité de ce projet était avérée par plusieurs actes antérieurs. Les acquéreurs évincés, intimés en appel, ont maintenu que la décision était illégale pour divers motifs. Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si une décision de préemption se référant à un programme de renouvellement urbain et à l’objectif de résorption d’une « dent creuse » est suffisamment motivée et justifie de la réalité d’un projet d’aménagement à la date de son édiction. La cour a répondu par l’affirmative, annulant le jugement de première instance et validant la décision de préemption. Elle a estimé que les motifs fournis étaient suffisants pour caractériser la nature de l’opération et que la réalité du projet était établie, confirmant ainsi la légalité de l’exercice du droit de préemption.
L’arrêt permet ainsi de réaffirmer la portée des exigences de motivation de l’acte de préemption au regard de la réalité du projet poursuivi (I), tout en écartant fermement les moyens inopérants soulevés par les acquéreurs évincés (II).
I. La consolidation des exigences de motivation au regard de la réalité du projet
La cour administrative d’appel rappelle que la légalité d’une décision de préemption est subordonnée à une double condition tenant, d’une part, à une motivation suffisante de l’acte (A) et, d’autre part, à la réalité du projet d’aménagement à la date de la décision (B).
A. Une motivation jugée suffisante par référence à un objectif d’aménagement clair
La décision de préemption doit, aux termes de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme, mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé. En l’espèce, les premiers juges avaient considéré cette obligation comme non remplie. La cour censure cette analyse en relevant que la décision litigieuse « procède du programme de renouvellement urbain de la commune » et vise, dans ce cadre, à « assurer la revitalisation du centre-ville de la commune par la résorption d’une « dent creuse » du centre-bourg ». Pour le juge d’appel, ces éléments sont suffisants pour que la décision « indique ainsi clairement la nature du projet d’ensemble auquel concourt l’exercice du droit de préemption ». La solution est conforme à une jurisprudence constante qui admet une motivation par référence à un document de planification ou à un programme d’action, dès lors que cette référence permet d’identifier sans ambiguïté la nature de l’opération poursuivie. La mention expresse d’un objectif de résorption d’une « dent creuse », combinée à son inscription dans un programme plus large de renouvellement urbain, constitue une motivation précise et circonstanciée.
B. L’appréciation de la réalité du projet à la date de la décision
Au-delà de la motivation formelle, la collectivité doit justifier de la réalité du projet d’aménagement à la date où elle exerce son droit. Sur ce point, la cour constate que la réalité du projet d’intérêt général « est, par ailleurs, établie par une délibération du 19 mai 2016 qui a approuvé une convention « d’assistance foncière » avec l’EPF de Guadeloupe tendant à « mettre à niveau les équipements publics et [à] réhabiliter les espaces de déprises urbaines (dents creuses, ilots urbains déstructurés, habitat délabré,) » ». En se fondant sur des actes antérieurs à la décision de préemption, le juge vérifie que l’opération ne constitue pas un simple prétexte pour acquérir un bien. La mention complémentaire, qualifiée de surabondante par la cour, d’un projet de construction d’un bâtiment pour accueillir des services municipaux vient renforcer cette démonstration. Cette approche pragmatique montre que si les caractéristiques précises de l’aménagement futur n’ont pas à être définies, l’intention de la collectivité doit reposer sur des éléments concrets et antérieurs, attestant de la consistance et de la pérennité de son projet.
II. Le rejet des moyens inopérants et la stricte application du droit
La cour administrative d’appel écarte ensuite l’ensemble des autres moyens soulevés par les acquéreurs évincés. Ces rejets témoignent d’une application rigoureuse des règles de procédure (A) et confirment la portée limitée des arguments tirés de la situation personnelle des requérants (B).
A. L’application rigoureuse des règles de procédure de la préemption
Les acquéreurs évincés contestaient la légalité de la décision au regard de plusieurs aspects procéduraux. La cour rejette d’abord le moyen tiré du non-respect du délai de deux mois prévu par l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme, par une simple constatation des dates de réception de la déclaration et de l’édiction de la décision. Elle écarte ensuite l’argument selon lequel les conditions de la vente ultérieure entre les vendeurs et l’établissement public seraient de nature à vicier la décision, jugeant cette circonstance sans incidence sur la légalité de l’acte de préemption lui-même. Enfin, elle précise qu’aucune disposition n’imposait à l’autorité compétente de transmettre le recours gracieux des acquéreurs évincés à la commune pour qu’elle se prononce sur leur propre projet. Ces solutions rappellent le caractère formaliste de la procédure de préemption et la stricte séparation entre la légalité de la décision administrative et les étapes ultérieures de sa mise en œuvre.
B. L’indifférence du préjudice subi par l’acquéreur évincé
Enfin, la cour écarte le moyen tiré du préjudice subi par les acquéreurs évincés du fait de l’abandon forcé de leur projet. Elle affirme de manière péremptoire que « la circonstance que l’exercice du droit de préemption urbain sur la parcelle dont les époux B… se sont portés acquéreurs mette un terme à leur projet et leur cause un important préjudice est sans incidence sur la légalité des décisions attaquées ». Cette position est classique en contentieux administratif, lequel est un contentieux de la légalité objective. Le juge contrôle la conformité de l’acte au droit, indépendamment des conséquences, même dommageables, qu’il peut avoir pour les intérêts privés. L’existence d’un projet privé concurrent, aussi pertinent soit-il, ou l’ampleur du préjudice financier et moral ne sont pas des éléments susceptibles d’entacher d’illégalité une décision de préemption, dès lors que celle-ci est justifiée par un motif d’intérêt général suffisant et respecte les formes et procédures requises.