En l’espèce, un maire avait délivré un permis de construire à deux sociétés. Des particuliers ont formé un recours gracieux à l’encontre de cet acte, puis ont saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir. Le greffe du tribunal a invité les requérants à justifier de l’accomplissement des formalités de notification de leur recours, conformément à l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme. S’étant mépris sur la portée d’un courriel du greffe relatif aux modalités de communication électronique, les requérants n’ont pas produit l’intégralité des justificatifs attendus, omettant la preuve de la notification du recours gracieux aux bénéficiaires du permis. Le président de la chambre a rejeté leur demande par ordonnance pour irrecevabilité manifeste, sans nouvelle demande de régularisation. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État devait donc se prononcer sur la question de savoir si une juridiction peut rejeter un recours comme irrecevable en raison d’un défaut de justification d’une formalité procédurale, lorsque l’erreur du justiciable a été induite par l’ambiguïté d’une communication émanant de son propre greffe. Par une décision du 22 juillet 2025, la haute juridiction administrative répond par la négative. Elle juge que le président du tribunal a entaché son ordonnance d’irrégularité en ne réitérant pas son invitation à régulariser, alors que l’omission des requérants résultait d’une incompréhension née de l’ambiguïté des informations transmises par le greffe. Le Conseil d’État annule en conséquence l’ordonnance et renvoie l’affaire devant le tribunal administratif.
Cette décision précise l’office du juge et de son greffe face aux obligations procédurales qui pèsent sur les justiciables, en consacrant une obligation de diligence accrue en cas d’ambiguïté (I). Elle dessine ainsi les contours d’une solution pragmatique et protectrice des droits des requérants, dont la portée dépasse le seul contentieux de l’urbanisme (II).
I. La clarification de l’office du greffe face aux obligations procédurales du requérant
Le Conseil d’État articule sa solution en rappelant d’abord la rigueur des exigences formelles en matière de contentieux de l’urbanisme (A), pour ensuite y apporter un tempérament notable en définissant une nouvelle obligation de diligence pour le greffe (B).
A. Le rappel de l’exigence formelle de notification des recours en urbanisme
Le contentieux de l’urbanisme est encadré par des règles de procédure strictes visant à assurer la sécurité juridique des autorisations d’urbanisme. L’article R. 600-1 du code de l’urbanisme impose ainsi à l’auteur d’un recours contentieux de notifier celui-ci à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation. Cette formalité, qui doit être accomplie par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de quinze jours francs, est prescrite à peine d’irrecevabilité du recours. Cette sanction radicale souligne l’importance que le législateur attache à une information rapide des parties concernées, afin de ne pas laisser perdurer une incertitude sur le sort des projets de construction.
Le juge administratif applique cette disposition avec une rigueur constante, considérant que l’irrecevabilité qui en résulte n’est en principe pas susceptible d’être couverte en cours d’instance. C’est dans ce cadre strict que s’inscrivait l’ordonnance du président du tribunal administratif, qui, constatant le défaut de justification de la notification du recours gracieux aux bénéficiaires, a fait une application littérale de la sanction prévue par les textes. La démarche des premiers juges était donc, en apparence, fondée sur une jurisprudence bien établie garantissant l’efficacité du dispositif de notification.
B. La consécration d’une obligation de diligence accrue du greffe en cas d’ambiguïté
Le Conseil d’État innove cependant en introduisant une nuance de taille à cette rigueur procédurale. Il considère que l’obligation du requérant doit être appréciée à l’aune du comportement du greffe de la juridiction. La haute juridiction formule à cet égard un principe de portée générale : « il appartient au greffe du tribunal, si les justificatifs annoncés ne figurent pas dans l’enveloppe reçue du requérant ou si l’un est manquant, d’en aviser ce dernier ». Cette règle nouvelle impose au greffe un rôle actif qui ne se limite pas à une simple demande initiale de régularisation. Il doit faire preuve d’une vigilance particulière lorsque la réponse du justiciable, bien que tentant de satisfaire à la demande, se révèle incomplète.
En l’espèce, cette obligation était d’autant plus forte que l’erreur des requérants trouvait sa source dans « l’ambiguïté du courrier qui leur avait été adressé » par le greffe lui-même. Le Conseil d’État retient que cette ambiguïté a provoqué une « incompréhension » légitime de la part des justiciables. Dès lors, le juge ne pouvait sanctionner une défaillance procédurale dont l’administration de la justice était, au moins en partie, à l’origine. En omettant de les inviter à nouveau à compléter leur envoi, le juge de première instance a méconnu son office et commis une irrégularité.
II. La portée d’une solution protectrice des droits des justiciables
En retenant une telle solution, le Conseil d’État privilégie une approche concrète de l’erreur du requérant (A), ce qui a pour effet de renforcer le dialogue entre le juge et les parties au procès (B).
A. Une appréciation *in concreto* de l’erreur du requérant
La décision commentée se distingue par son approche pragmatique, fondée sur les « circonstances particulières de l’espèce ». Le Conseil d’État ne remet pas en cause le principe de l’irrecevabilité posé par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, mais il refuse de l’appliquer de manière automatique et aveugle. Il procède à une analyse *in concreto* des raisons pour lesquelles le justificatif manquant n’a pas été produit. Il constate que les requérants avaient fait preuve de diligence en répondant au greffe et que leur omission n’était pas le fruit d’une négligence manifeste, mais bien la conséquence d’une information déroutante.
Cette prise en compte du caractère excusable de l’erreur du justiciable marque un équilibre entre deux impératifs : d’une part, la nécessité de préserver la sécurité juridique et l’efficacité des règles de procédure ; d’autre part, la garantie du droit à un recours effectif, qui implique de ne pas priver un requérant de l’accès au juge pour une raison qui ne lui est pas entièrement imputable. La sanction de l’irrecevabilité, par sa rigueur, doit être réservée aux manquements procéduraux qui dénotent une véritable inaction ou une faute du justiciable, et non à ceux qui résultent d’un dysfonctionnement, même mineur, du service public de la justice.
B. Le renforcement du dialogue entre le juge et les parties
Au-delà de son apport au contentieux de l’urbanisme, cette décision participe d’un mouvement plus large visant à renforcer la dimension contradictoire et dialoguée du procès administratif. En imposant au greffe, et par extension au juge, de s’assurer que le justiciable a bien compris ce qui est attendu de lui, le Conseil d’État promeut une conception de la justice moins formaliste et plus soucieuse de la pédagogie. L’office du juge ne se limite plus à trancher un litige, mais inclut également le devoir de guider les parties, dans la mesure du raisonnable, pour que le débat puisse se nouer sur le fond du droit.
Cette solution est porteuse d’avenir. Elle pourrait trouver à s’appliquer dans d’autres contextes où des formalités substantielles, prescrites à peine d’irrecevabilité, sont exigées des requérants. Elle rappelle que si le justiciable a des obligations, la juridiction a également une responsabilité dans la clarté de ses propres communications. En sanctionnant une ordonnance qui faisait prévaloir une rigueur procédurale excessive sur le droit au recours, le Conseil d’État réaffirme que la procédure est un moyen au service de la justice, et ne doit pas devenir un obstacle à sa manifestation lorsque l’erreur est partagée.