Tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion, le 23 juin 2025, n°24/00019

La juridiction départementale de l’expropriation près le tribunal judiciaire de Saint‑Denis (Réunion), le 23 juin 2025, fixe les indemnités consécutives à l’expropriation d’une emprise de 683 m² destinée à l’aménagement de voiries rurales et à l’écoulement des eaux pluviales. La déclaration d’utilité publique date de 2012, prorogée en 2017, l’enquête parcellaire complémentaire de 2018, la cessibilité de 2019 et l’ordonnance d’expropriation du 2 septembre 2019. L’expropriant a saisi le juge en 2024 et proposé 983 euros, soit 1,20 euro/m² et 20 % d’indemnité de remploi. La commissaire du gouvernement a proposé 1,77 euro/m² au regard de termes de référence récents, pour un total de 1 450,69 euros.

Le litige porte sur la méthode d’évaluation et les paramètres de fixation de l’indemnité intégrale en matière d’expropriation. Il s’agit d’arrêter la consistance à la bonne date, de déterminer la date de référence pour l’estimation, d’apprécier la qualification de terrain à bâtir, enfin de sélectionner des termes de comparaison pertinents. Le juge rappelle que « les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation ». Il décide, au vu de l’article L. 322‑1, que « le juge fixe le montant des indemnités d’après la consistance des biens à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété » et retient l’ordonnance du 2 septembre 2019. Au titre de l’article L. 322‑2, « les biens sont estimés à la date de la décision de première instance », l’usage effectif un an avant l’ouverture de l’enquête étant seul pris en considération. Le terrain ne bénéficie pas de la qualification de terrain à bâtir, l’évaluation s’opère donc selon l’usage agricole. À partir de six termes récents, le prix moyen est arrêté à 1,66 euro/m², l’indemnité de remploi étant calculée à 20 % selon l’article R. 322‑5, pour un total de 1 361 euros.

I. Les paramètres légaux d’évaluation retenus

A. Datation de la consistance et date de référence de l’estimation
Le juge articule rigoureusement les textes applicables afin d’ordonner les temps de l’évaluation. D’abord, la consistance se fixe à la date de l’ordonnance d’expropriation, conformément à l’article L. 322‑1, dont il cite que « le juge fixe le montant des indemnités d’après la consistance des biens à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété ». Ce choix sécurise l’assiette des éléments physiques et juridiques, y compris servitudes et affectations administratives.

Ensuite, l’estimation est opérée à la date de première instance, en neutralisant les variations liées à l’annonce des travaux et en retenant l’usage effectif un an avant l’enquête, selon l’article L. 322‑2. Le juge rappelle que « les biens sont estimés à la date de la décision de première instance », tout en précisant la date de référence urbanistique, tirée du plan local d’urbanisme approuvé en 2012. L’articulation entre consistance et estimation respecte la construction légale, donnant un cadre temporel stable à la valorisation.

B. Refus de la qualification de terrain à bâtir et conséquence indemnitaire
La juridiction décline la qualification de terrain à bâtir au sens de l’article L. 322‑3, qui la « réserve aux terrains qui, à la date de référence, sont (…) situés dans un secteur désigné comme constructible » et « effectivement desservis ». La zone A, jointe à l’absence des réseaux requis au sens du texte, exclut la constructibilité normative, indépendamment des travaux déjà réalisés sur la voie.

Le juge en tire des conséquences immédiates sur l’assiette de l’indemnité. Les parcelles sont évaluées « selon leur usage effectif de terrains strictement agricoles », sans situation privilégiée, ni plus-value de ce chef. Cette qualification influe sur les comparables admissibles et sur l’écart acceptable par rapport aux références locales récentes, stabilisant l’échelle des valeurs.

II. La méthode de comparaison et la portée de la solution

A. Pertinence, actualité des comparables et office du juge
L’office juridictionnel est borné par l’article R. 311‑22 selon lequel « le juge statue dans la limite des prétentions des parties ». La formation contrôle toutefois la pertinence des termes, en écartant l’acte isolé à 2,50 euros/m² jugé trop dissemblable. Elle souligne que les références proposées par la commissaire du gouvernement sont « plus pertinentes comme étant plus récentes » que celles de l’expropriant, ce qui renforce la fiabilité de la base comparative.

De ce faisceau de six ventes homogènes naît un prix moyen « de 1,66 euros le m² ». Le rejet motivé de l’extrême haut, la conservation de références proches géographiquement et temporellement, et la neutralisation des biais liés aux aléas ponctuels attestent une méthode proportionnée. La solution, équilibrée entre offres et réquisitions, conforte l’usage d’un échantillon récent en zone agricole.

B. Conséquences pratiques en zone agricole et points de vigilance
La décision consolide un référentiel opératoire pour les emprises agricoles en zone A : recentrer les comparables, expliciter l’écartement des valeurs aberrantes, et arrimer l’estimation à l’usage effectif. Le rappel de l’article R. 322‑5 sur le remploi harmonise la pratique, l’assiette étant identique à l’indemnité principale et le taux fixé à 20 %, dans une logique de frais normaux.

Le motif relevé, selon lequel « il est, au surplus, important de relever que la réalisation du projet bénéficie de façon très favorable à l’exproprié », appelle une vigilance de principe. Les avantages du projet ne sauraient réduire l’indemnité du bien exproprié, la réparation devant rester intégrale et objective. Ici, la mention demeure contextuelle et ne minore pas le quantum, arrêté sur des références de marché. La portée pratique est claire : pour les terres agricoles, la décision valorise l’actualité des comparables, la netteté des exclusions, et la stabilité des paramètres légaux, offrant un guide de fixation robuste et lisible.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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